JE SAIS QUE JE NE SAIS RIEN - L'Infirmière Magazine n° 396 du 01/09/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 396 du 01/09/2018

 

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C’était un samedi. Cela aurait pu être demain, la semaine dernière ou le mois prochain. Mais c’était le samedi 14 octobre. Dix jours d’expérience. Cela fait presque rire, et pourtant… C’est tout ce sur quoi j’ai pu m’appuyer lorsqu’il a fallu s’improviser à la hauteur. Tes pupilles devenues fixes et ton cœur qui a cessé de battre durant les soins, comme ça, sans me prévenir que ce jour allait être inoubliable. Les choses se sont enchaînées. Pourtant, cette heure où nous avons défié la vie avec de lourdes manœuvres de réanimation m’a paru une éternité. Un instant, j’ai voulu partir en courant, très vite et très loin, sans me retourner. Mais sans vraiment réfléchir, j’étais déjà en train de masser ton cœur. Si le tien ne battait plus, le mien faisait mal tellement il frappait fort.

Le 14 octobre, j’ai vécu ma première situation d’urgence vitale en tant que jeune infirmière, et je pourrais te la raconter dans les moindres détails. On m’a demandé de préparer des produits dont je n’avais plus entendu parler depuis des mois, depuis les cours en Ifsi.

On s’attendait à ce que j’installe du matériel dont j’ignorais l’existence ou, tout du moins, l’emplacement dans le service. Chacun faisait ce qu’il avait à faire comme si tout était écrit. Quand, à bout de forces, j’ai été relayée pour le massage cardiaque, j’ai eu un mouvement de recul et j’ai compris qu’en fait, je ne savais rien.

J’avais eu beau être l’étudiante la plus sérieuse du monde, le stress de l’urgence et la sensation de méconnaissance, on ne nous les apprend pas. Le matériel et les produits, c’était facile dans les manuels ou en travaux pratiques, avec les copines qui jouent au patient-mannequin. Mais dans la vraie vie, avec une patiente en arrêt cardio-respiratoire et dix personnes qui comptent sur vous, votre savoir et vos compétences, c’est autre chose. On m’a donné le diplôme en juillet 2017, comme la permission d’exercer un métier auquel j’aspirais depuis longtemps. Mais il est loin d’être un poids de savoir ou d’expérience…

Nous étions le 14 octobre, j’étais jeune infirmière dans un lourd service hospitalier et je ne savais quasiment rien… Rien à part mon soulagement lorsque j’ai vu ton rythme cardiaque se redessiner sur le scope. Huit mois plus tard, je me souviens encore de ton nom, du regard de ta fille et de l’atmosphère particulière qui régnait, avec ce paradoxe gênant mais bien réel. J’étais infirmière diplômée d’État, ma formation était terminée, et pourtant, mon apprentissage de la profession ne faisait que commencer.