LGBTI-PHOBIES : Un silence trop pesant - L'Infirmière Magazine n° 395 du 01/07/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 395 du 01/07/2018

 

LGBTI-phobies

DOSSIER

Aurélie Vion  

Propos déplacés, discrimination, harcèlement… Les LGBTI-phobies n’épargnent pas la santé. Patients ou soignants préfèrent donc cacher leur orientation sexuelle, malgré l’impact sur le soin ou leurs conditions de travail.

Par crainte d’être jugés, 40 % des LGBTI (lesbiennes, gays, bisexuels, trans et intersexes) cachent leur sexualité aux professionnels de santé. Tel est l’un des résultats d’une enquête menée par l’Association de lutte contre les discriminations (ALCD), qui a interrogé, courant 2017, 1 200 personnes LGBTI sur leur parcours de soins en cancérologie, bariatrie et santé scolaire(1). Pourtant, pour poser le bon diagnostic ou délivrer des messages de prévention adaptés, l’orientation sexuelle est susceptible de constituer une information essentielle. « Il y a des préjugés, des stéréotypes et une hétéro-normativité(2) du suivi du soin chez les médecins », analyse le sociologue Arnaud Alessandrin, l’un des co-auteurs de l’étude. À l’image de ce médecin qui racontait sur Facebook être passé à côté d’un diagnostic de syphilis : « Le truc, c’est que le patient était homosexuel. Pas un homo de type “fofolle” avec des manières surjouées, plutôt un monsieur Tout-le-Monde. »

Très peu de plaintes des patients

Préjugés et méconnaissance des soignants d’un côté, silence des patients de l’autre : la conjonction des deux facteurs explique une bonne partie des difficultés rencontrées par les personnes LGBTI en matière de santé.

Si l’orientation sexuelle peut provoquer un malaise chez les soignants, elle peut susciter des questions ou des remarques déplacées, voire aboutir à un refus de soins. C’est notamment face à ce constat qu’a été créée, en 2003, l’association Rainbhôpital (aujourd’hui fusionnée avec Homoboulot), qui défend les personnels et usagers de l’AP-HP : « L’un des cofondateurs avait entendu des collègues déclarer haut et fort qu’elles ne voulaient pas s’occuper du “pédé de la chambre 18” », se souvient Philippe Sagot, responsable de la commission santé à l’association Homoboulot et salarié de l’AP-HP. S’il est plutôt rare d’afficher ouvertement son homophobie, celle-ci se déploie de manière généralement plus implicite : c’est l’agrégation de comportements individuels tels que des remarques, des rires, des plaisanteries douteuses, qui crée et fait perdurer un climat homophobe.

Très peu de personnes osent porter plainte ou se tourner vers les structures qui pourraient leur venir en aide. Le Défenseur des droits n’a enregistré l’an passé aucune réclamation anti-LGBTI émanant de patients. France assos santé, non plus. Pourtant, sa ligne Santé infos droits(3) reçoit 10 000 sollicitations par an. « Le fait qu’il y ait très peu de signalements ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de problème. Quand les personnes LGBTI sont victimes d’une stigmatisation dans les soins, elles ne vont pas forcément jouer aux grands justiciers. Déjà, parce que c’est compliqué à prouver, ensuite parce qu’elles n’y voient pas d’intérêt direct, et surtout parce que leur but, c’est de se faire soigner. Elles vont donc chercher un professionnel de santé qui ne les stigmatisera pas », considère Marc Paris, de France assos santé.

Du côté des soignants

Les professionnels de santé LGBTI ne vivent pas toujours très bien leur sexualité sur leur lieu de travail (lire p. 24). On serait tenté de penser que l’orientation sexuelle relève de la vie privée et ne concerne pas la sphère professionnelle mais ce n’est pas si simple, souligne Philippe Chauliaguet de l’association Homoboulot : « Deux tiers des LGBTI choisissent de taire leur orientation sexuelle dans leur vie professionnelle. Certains préférent même passer pour des hétérosexuels. Mais cela crée un malaise, plus ou moins vif. Cacher sa vie privée pose, par exemple, des problématiques au niveau des ressources humaines, si on ne dit pas que l’on vit avec un autre homme ou une autre femme qui a des enfants et que l’on aimerait avoir certains mercredis… C’est également se soustraire des discussions à la machine à café. Cela peut paraître anodin mais cela ne l’est pas : les LGBTI qui préfèrent être invisibles passent pour des personnes effacées, en retrait, pas naturelles… Des caractéristiques qui ne plaisent pas aux managers. Cela contribue à réduire leurs possibilités d’évolution. »

Si les professionnels LGBTI se taisent, c’est pour les mêmes raisons que les patients : parce qu’ils craignent les réactions et la stigmatisation. Pas moins de 51 % des agents de la fonction publique estiment que révéler son homosexualité à son entourage professionnel contribue à mettre mal à l’aise des collègues de travail et, pour une personne sur trois, cela pourrait avoir un impact négatif sur la carrière(4).

Du côté des étudiants, la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi) est, elle aussi, témoin de problèmes liés à l’homophobie : « Nous recevons de nombreux appels alarmants d’étudiants qui ont subi des remarques ou ont entendu des propos homophobes à l’égard de patients. Nous leur conseillons d’en parler à leur formatrice référente mais ce n’est pas toujours facile ; ils ont peur d’aggraver la situation et que cela ait une répercussion sur leur bilan de stage », explique Cyrielle Garreault, vice-présidente en charge de l’innovation sociale. La Fnesi travaille d’ailleurs actuellement sur la question des discriminations, dont celles liées à l’orientation sexuelle.

L’action du Défenseur des droits

Face aux actes ou propos homophobes, mieux vaut alerter sa hiérarchie, la DRH et/ou les représentants du personnel. « Les services de RH n’aiment généralement pas s’occuper de ce genre d’affaires, qui sont souvent réglées en changeant de service la personne discriminée. Il vaudrait mieux prendre le temps de la discussion. Cela ne réglera pas forcément le problème, mais cela permettra peut-être une meilleure prise de conscience des problématiques liées à l’orientation sexuelle », regrette Philippe Sagot.

Du côté du Défenseur des droits(5), l’orientation et l’identité sexuelles constituent des critères ultra minoritaires dans les discriminations (respectivement 1,4 % et 1,1 % des réclamations en 2017, tous secteurs confondus), loin derrière le handicap, l’origine, la race et l’ethnie. « Pour l’année 2017 et début 2018, nous n’avons que trois dossiers dénonçant des discriminations anti-LGBTI concernant des soignants : deux infirmiers et un aide-soignant », indique Charlotte Avril, chef du pôle Fonction publique auprès du Défenseur des droits. Ces dossiers concernent tous des hommes en cours de carrière, exerçant en CH ou en Ehpad. « Dans le premier cas, le réclamant estime que son avancement est freiné du fait de l’homophobie de son supérieur. Pour le deuxième, il s’agit de propos à caractère homophobe de la part d’un médecin et d’une patiente à l’encontre du réclamant, infirmier. Enfin, pour le troisième cas, un infirmier se plaint de harcèlement moral discriminatoire de la part d’un collègue », précise Charlotte Avril. Le Défenseur des droits saisi, des juristes professionnels mènent une instruction : ils s’adressent à l’employeur pour obtenir des éléments (tableau d’avancement, dossiers administratifs…) afin d’opérer des vérifications. La démarche peut aboutir à un règlement à l’amiable. Si ce n’est pas possible, le Défenseur des droits peut prendre une recommandation individuelle ou présenter des observations devant une juridiction pour présenter son analyse du dossier.

Pour faire avancer les pratiques et la prévention des LGBTI-phobies dans le milieu professionnel, la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) a publié, en 2017, un guide intitulé « Homophobie et transphobie. Prévenir et agir : la fonction publique s’engage », qui donne quelques pistes notamment en matière de formation ou de dispositifs d’écoute, comme le label Diversité (lire p. 25). Dans le plan triennal de mobilisation contre la haine et les discriminations anti-LGBTI(6), il est aussi question d’encourager des actions de formation à destination des professionnels de santé (médecins et gynécologues notamment). On a envie de dire : il était temps !

1- Présentation de l’enquête sur : www.sante-lgbti.fr

2- Une présomption d’hétérosexualité.

3- Ligne d’informations juridiques et sociales : 01 53 62 40 30.

4- Selon le 5e Baromètre sur la perception des discriminations au travail, établi par le Défenseur des droits et l’Organisation internationale du travail, 2012. À consulter sur : bit.ly/2J1Bga2

5- Il a publié un guide, « Agir contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre dans l’emploi ». À lire sur : bit.ly/2IYzl5Y

6- Plan de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBTI (Dilcrah) : bit.ly/2GoR54u

CAMPAGNE DE « TESTING »

Mêmes chances à l’embauche ?

L’homosexualité peut-elle nuire à l’embauche ? En partenariat avec la Dilcrah(1), Yannick L’Horty, directeur de la fédération de recherche Travail, emploi et politiques publiques au CNRS, a mené une campagne de testing sur l’accès à l’emploi en se concentrant sur deux métiers : aide-soignant et responsable administratif.

Entre septembre 2017 et mars 2018, l’équipe a répondu à 653 offres d’emploi avec de faux CV : un candidat neutre, un candidat d’origine maghrébine, un candidat résidant dans un quartier politique de la ville, un candidat homme (puisqu’ils sont sous-représentés parmi les AS) et un candidat supposé homosexuel. L’homosexualité étant moins visible que la couleur de peau, les chercheurs l’ont suggérée sur le CV en mentionnant l’appartenance à une association “gay friendy” ou la participation aux “Gay Games”. « Il s’agit de la première campagne de testing réalisée en France sur l’accès à l’emploi et les risques de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle », explique l’économiste. Si l’origine ou le lieu de résidence constituent des critères significatifs de discrimination, cela semble beaucoup moins évident pour l’orientation sexuelle. L’ensemble des résultats fera l’objet d’une communication détaillée courant juillet et sera publié sur www.tepp.eu

1- Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBTI.

DISCRIMINATION

Comment réagir ?

→ En parler à sa hiérarchie : aller voir le cadre de santé, la direction des ressources humaines (DRH), les représentants du personnel, le médecin du travail. L’employeur doit prendre au sérieux tout signalement de discrimination et de harcèlement.

→ Se tourner vers les associations de défense des victimes : telles que SOS Homophobie, Homoboulot, Ravad, InterLGBT, la fédération LGBT…

→ Saisir le Défenseur des droits : il procèdera à une enquête, pourra proposer une médiation, un règlement amiable ou une transaction, émettre des recommandations ou présenter des observations devant des juridictions.

→ Intenter une action en justice : devant les juridictions pénales, l’auteur de discrimination encourt trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende (deux ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende en cas de harcèlement moral). Si la victime se constitue partie civile, l’auteur peut également être condamné à lui verser des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi. Devant les juridictions civiles ou administratives, le salarié peut demander la nullité de l’acte ou de la mesure discriminatoire (en cas de harcèlement, il peut obtenir des indemnités en réparation du préjudice subi).