Soins pédiatriques : quelles alternatives à la contention ? - L'Infirmière Magazine n° 394 du 01/06/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 394 du 01/06/2018

 

FORMATION

BONNES PRATIQUES

Bénédicte Lombart  

Infirmière Cadre Supérieure de Santé, Hôpitaux Universitaires Paris-Est (AP-HP), Docteure en philosophie pratique Paris-Est, LIPHA-PE (EA 7373)

Lors d’un soin à l’enfant, le soignant peut être amené, face aux protestations du malade, à utiliser une contention forte, qui s’avère souvent contre-productive. Il convient de s’interroger sur le bienfait et l’éthique de ces pratiques pour trouver des alternatives.

En pédiatrie, l’enfant effrayé ou douloureux peut se débattre et s’agiter durant un soin et il arrive que plusieurs adultes doivent le maintenir pour poursuivre le geste. Un rapport de force s’installe alors entre soignants et enfant. Dans certains cas, la contrainte physique de l’enfant lors du soin s’apparente littéralement à de la violence. Il est difficile, voire impossible, de renoncer à faire le soin mais cela est pourtant regrettable d’user de la contention forte à l’encontre d’un enfant malade.

Cette problématique, qui est une situation relativement banale pour les soignants, soulève des questions philosophiques et éthiques, relatives à l’usage paradoxal de la force pour le bien de l’enfant. Ce questionnement déontologique ouvre des perspectives de changement de pratique et amène à envisager des alternatives.

1. UN QUESTIONNEMENT DÉONTOLOGIQUE

La fin justifie-t-elle les moyens ?

Agir pour le “bien” de l’enfant, le soigner malgré ses protestations, est ce qui motive la contrainte physique de l’enfant malade lors des soins. La bonne intention semble alors justifier l’usage de la force. La volonté de guérir l’enfant malade se concrétise grâce aux pouvoirs conférés au soignant par la technologie moderne des soins.

Il est désormais possible de sauver l’enfant gravement malade grâce aux avancées de la médecine scientifique. Alors qu’il était anciennement fataliste, le rapport à la fragilité de la vie est devenu combatif car curatif. Il s’agit de combattre, avec rigueur et méthode, la maladie qui menace l’équilibre de l’existence.

Du Triangle des Bermudes des soins à la cécité empathique

La rigueur scientifique, caractérisée par des normes et des mesures, s’applique également aux soins. Les gestes techniques font l’objet de procédures standardisées. Une rationalisation qui s’adapte mal aux aléas émotionnels ou aux débordements comportementaux des enfants qui, apeurés, s’agitent. L’usage de la contrainte physique de l’enfant devient une modalité parmi d’autres, un moyen pour parvenir à ses fins. Une “ronde chaotique” s’engage alors : la résistance de l’enfant appelle la contrainte, entraînant elle-même un surcroît d’agitation, qui renforce par la suite la contention… Toute l’attention soignante se focalise sur le soin à réaliser. On s’aperçoit alors qu’au cœur de cette chorégraphie délétère, l’enfant semble disparaître du “radar émotionnel” du soignant. La contention est comme une zone aveugle où le contact visuel est perdu avec celui qui la traverse. La contention s’apparente alors métaphoriquement au Triangle des Bermudes des soins. Le soignant, aveuglé par la nécessité de réaliser le geste technique, semble sacrifier sa subjectivité le temps de la contention, en mettant entre parenthèses son empathie. Ce constat nous fait avancer le concept de « cécité empathique transitoire » pour caractériser le phénomène de la contention forte. Ce concept ne semble pas correspondre à un phénomène individuel, mais plutôt être la conséquence d’une construction de l’identité professionnelle pré-établie et contraignante.

D’une double contrainte exercée par la technique

La contention n’est pas un élément isolé de la pratique des soins. Elle appartient à un dispositif bien plus vaste, celui de la technique des soins, et plus largement de la technique médicale. Un dispositif auquel l’enfant aussi bien que le soignant appartiennent, bien que ce ne soit pas exactement au même titre. Le professionnel semble lui-même “contraint de contraindre” pour répondre à l’exigence du dispositif qui soigne. Il est, finalement au même titre que l’enfant, comme réquisitionné, c’est-à-dire “commis” par la technique. Une commission de l’homme par la technique, contre laquelle Heidegger mettait en garde(1), mais qui semble particulièrement irrésistible face à la spirale de la biotechnologie médicale.

Mais à quel instant l’usage de la force devient-il illégitime ? Existe-t-il un repère tangible sur le nuancier de la contention qui détermine le passage d’un usage légitime de la force à la violence ? Car toute force n’est pas violence et certaines violences s’expriment sans avoir recours à la force.

La violence exercée envers l’enfant semble tenir au fait de lui refuser le droit de considérer l’usage légitime de la force lors d’un soin comme étant violente de son point de vue à lui. Ce refus semble se caractériser par la disqualification de sa parole lorsqu’il tente de dire son opposition au geste qui va lui être imposé.

Du point de vue des professionnels

Si les soignants peinent à accueillir l’opposition de l’enfant au soin c’est que, de leur point de vue, la contention est considérée comme acceptable lorsqu’elle est appliquée dans son intérêt. Paradoxalement, un travail avait montré que 69 % des 394 infirmières interrogées jugeaient que la contention aggravait le stress de l’enfant, tout en déclarant agir dans le meilleur intérêt pour lui(2).

Pourtant, un certain nombre de moyens non pharmacologiques, prenant notamment en compte les aspects émotionnels de l’enfant, sont efficaces pour limiter le recours à cette pratique. Des recommandations professionnelles ont été rédigées pour limiter l’usage de la contention. Et des moyens alternatifs à la contrainte physique, tels que les méthodes psycho-corporelles, existent pour limiter l’usage de la contention et ont fait l’objet de plusieurs travaux.

Cependant, lorsque les soins se compliquent, en raison des protestations et de l’agitation de l’enfant, il demeure difficile d’envisager les alternatives à la contention. Il s’agit donc de décrire, plus précisément et par étapes, les éléments qui aident à transformer cette pratique.

2. DES ALTERNATIVES À DÉVOILER

Envisager des alternatives à la contention forte lors des soins demande une réflexion d’équipe en amont des situations à risque. Le prérequis est une prise de conscience collective vis-à-vis de ce phénomène.

Objectiver l’usage de la contention

En premier lieu, il faut repérer la nature et la fréquence de la contention de manière plus objective. En effet, il est difficile d’évaluer subjectivement ce qui se produit lors des soins. Cependant, ce phénomène sort peu à peu de la seule perception empirique. Un travail récent aux urgences de Melbourne(3) a montré que 11 % des soins réalisés sur des enfants de moins de 4 ans nécessitaient une contention forte. Un questionnement au sein du centre de lutte contre la douleur de l’enfant à l’hôpital Armand-Trousseau (Assistance publique – Hôpitaux de Paris) a conduit à la création d’une échelle de mesure de la contention lors des soins en pédiatrie (Procedural Restraint Intensity in Children Scale, PRICS). Cette grille a permis de réaliser une étude de la mesure de fréquence de la contention sur un millier de gestes en 2011 dans notre CHU pédiatrique. Cette échelle aide à mieux repérer les critères qui signent une contention forte. Cette démarche initie du dialogue autour d’une pratique professionnelle relativement taboue.

Réduire les situations à risque de contention forte

La contention résulte d’un enchaînement délétère. Détresse, anxiété et défaut d’analgésie entraînent protestations et agitation, qui conduisent parfois à contraindre l’enfant de force. Les alternatives à la contention forte correspondent donc à différents éléments.

Agir avant l’agitation

La chronologie des évènements démontre qu’il est difficile d’agir une fois que l’enfant est débordé par ses émotions. Les principales alternatives se situent donc en amont de la survenue de l’agitation. En premier lieu, l’analgésie médicamenteuse doit être systématique et adaptée(4) afin d’optimiser le déroulement des soins et limiter l’agitation. La qualité de la relation qui s’établit avec l’enfant joue un rôle primordial. Les parents sont des alliés précieux pour obtenir des informations sur le jeune enfant et connaître ce qui attirera le mieux son attention. L’approche est favorisée par l’utilisation d’un objet attrayant. Il s’agit d’aller à la rencontre de l’enfant en rejoignant son univers. Une fois cette rencontre initiée, il devient possible d’accéder à l’enfant. Les explications concernant le soin peuvent alors être fournies(5).

Des astuces pour l’installation de l’enfant

L’installation de l’enfant participe grandement au bon déroulement du soin. Pour optimiser celle-ci, il convient d’anticiper la place que chacun (parent, enfant, soignant) aura lors du soin(6). De manière générale, il faut éviter d’allonger l’enfant. Le choix de l’installation est guidé par la nature du geste.

Afin d’aider l’enfant à s’installer spontanément dans la position requise pour le geste, il faut le distraire stratégiquement. Mettre par exemple à hauteur des yeux de l’enfant un écran avec un dessin animé, dans l’angle de vue qui l’oblige à tourner la tête s’il s’agit d’un examen d’oreille.

Miser sur la distraction

La distraction agit en saturant la sensorialité de l’enfant. Les différents registres sensoriels (la vue, l’ouïe, le toucher, le goût et l’odorat) sont sollicités pour faire concurrence aux sensations douloureuses. Il s’agit de capter l’attention de l’enfant grâce à différents objets ludiques : marionnettes, bulles de savon, caresses et comptines. Ces initiatives réduisent considérablement le stress. Lorsque l’enfant grandit, vers 3 ou 4 ans, on peut utiliser son imaginaire pour balayer les cinq sens et l’aider à se dissocier de la réalité du soin.

L’entrée en contact des mains du soignant avec l’enfant est un aspect à explorer en complément des autres éléments de distraction. On peut imaginer un « toucher distraction » (toucher du bout des doigts la peau de l’enfant au décours d’une comptine par exemple) pour préparer le « toucher soin » et prévenir une réaction de surprise et donc de retrait.

Certains gestes nécessitent l’immobilité d’une partie du corps de l’enfant. Or, plus on l’immobilise, plus l’enfant s’agite. Il est conseillé de favoriser le mouvement de la partie du corps opposée à celle qui doit rester immobile. Faire agiter, par exemple, un objet placé dans la main opposée à celle qui doit rester immobile.

Savoir écouter l’enfant

Si l’enfant s’agite malgré tout, il est préférable de suspendre le soin en laissant quelques instants à l’enfant pour qu’il récupère, et de s’enquérir de ce qui a pu déclencher sa détresse. Certains détails ont pu échapper aux soignants et une simple explication ou un court délai suffisent pour reprendre le soin dans le calme. D’autre fois, un réajustement antalgique permet de poursuivre.

Si, malgré des mesures simples, l’enfant ne se calme pas, il convient d’évaluer si ce soin doit être réalisé le jour même. Lorsque l’état médical de l’enfant le permet, il est recommandé de reporter le soin à un autre jour.

Conclusion

Les limites entre pratique légitime et usage illégitime de la force deviennent floues lorsque la réalisation du soin devient impérieuse et le recours à des alternatives demeure encore aléatoire. La contention forte soulève des questions éthiques qui demandent à être questionnées institutionnellement. La qualité de l’analgésie et le développement de méthodes psychocorporelles sont sans doute les meilleures pistes pour faire en sorte que l’usage de la contention forte en pédiatrie soit exceptionnel.

1- “Commis”, c’est-à-dire mis à disposition de la technique pour que le soin se réalise. « Ce qui se réalise ainsi est partout commis à être sur-le-champ au lieu voulu, et s’y trouver de telle façon qu’il puisse être commis à une commission ultérieure. », Martin Heidegger, Essais et conférences, Collection Tel, Gallimard, 1980.

2- Voir Robinson S., Collier J., Holding children still for procedures, Paediatric Nurses, 1997.

3- Crellin D., Babl F. E., Sullivan T. P., Cheng J., O’Sullivan R., Hutchinson A., Procedural restraint use in preverbal and early-verbal children. Pediatric Emergency Care, 2011.

4- Guide de poche : « Douleur de l’enfant : l’essentiel », Association Pediadol, 2015.

5- Certains soins (les vaccins, les points de suture, etc.) peuvent être expliqués grâce aux brochures illustrées diffusées par l’association Sparadrap.

6- Il existe des fiches “installation”, téléchargeables sur le site de Sparadrap, qui illustrent de nombreux cas de figure.

À RETENIR

→ Éviter de contenir d’emblée : plus l’enfant est maintenu fermement, plus il se débat.

→ Privilégier la position assise : ne pas allonger d’emblée pour un meilleur contrôle de la situation.

→ Encourager un mouvement du membre opposé à celui qui est concerné par le soin.

→ Suspendre le soin qui se déroule mal.