« Une approche “parcours de soin” ancrée dans le réel » - L'Infirmière Magazine n° 393 du 01/05/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 393 du 01/05/2018

 

FORMATION

TÉMOIGNAGES

Marie Fuks  

Cadre supérieure de santé responsable du service qualité du centre hospitalier Simone-Veil de Blois (Loir-et-Cher), Annabelle Mathon anime, depuis 2014, la mise en place et le déploiement de la méthode du patient traceur dans cet établissement. Un retour d’expérience riche en enseignements.

L’Infirmière Magazine : Dans quel contexte avez-vous été amenée à utiliser cette méthode du patient traceur (PT) ?

Annabelle Mathon : L’équipe « qualité et gestion des risques » de l’établissement a commencé à travailler sur la méthode du patient traceur pour préparer la nouvelle visite de certification V 2014. Afin de sensibiliser les professionnels de santé de l’établissement et lancer la dynamique, nous avons préalablement organisé une grande formation générale interne, avec le soutien de la direction des soins et de la Commission médicale d’établissement (CME). La chirurgie urologique, la neurologie, les urgences, l’unité de courte durée, l’obstétrique et la cancérologie ont été les premiers services à expérimenter cette méthode.

L’I. M. : Sur quels critères avez-vous sélectionné les parcours patient traceur ?

A. M. : Les parcours ont été sélectionnés en fonction des priorités du projet d’établissement, qu’il s’agisse des disciplines à développer (chirurgie urologique par exemple) ou de l’amélioration continue de la qualité de la prise en charge des patients (parcours AVC en neurologie, césariennes en obstétrique, entre autres). Il était également primordial de travailler avec des équipes volontaires car nous souhaitions d’emblée inscrire cette méthode dans une démarche de progrès, partagée et plébiscitée par les équipes.

L’I. M. : Au-delà de la certification de la Haute Autorité de santé (HAS), pourquoi avez-vous décidé de retenir le PT parmi les outils d’évaluation de la qualité et de la sécurité des soins ?

A. M. : Parce qu’il s’agit d’une méthode tout à fait complémentaire des autres outils d’EPP (Évaluation de pratiques professionnelles). À la différence des revues de morbi-mortalité (RMM) et du Crex (Comité de retour d’expérience), il s’agit d’une approche « parcours de soins » ancrée dans la réalité du terrain et non d’une approche par problème. Le fait de travailler en équipe sur l’évaluation d’une prise en charge concrète qui associe le patient concerné, présent dans le service, est très motivant pour l’ensemble des professionnels qui participent à la démarche d’évaluation. C’est un outil dynamique, participatif et concret, qui « parle » aux professionnels. En revanche, cette méthode n’a aucune valeur statistique, elle ne remplace pas les démarches d’audit ni le suivi d’indicateurs.

L’I. M. : Quelles sont les clés du succès de cette démarche ?

A. M. : L’un des principaux facteurs de succès de cette méthode réside dans sa préparation préalable et dans le management du projet. La préparation est capitale pour pouvoir faire émerger, dans un temps circonscrit, les points importants susceptibles de déboucher, dès la synthèse faite, sur la ou les action (s) à mettre en œuvre. Elle concerne le choix du cas et de l’objectif du PT, l’organisation de la logistique, le recueil de l’accord du patient, la constitution de l’équipe pluriprofessionnelle, ainsi que la préparation de la grille d’entretien patient et de la grille d’analyse par les professionnels. Il est en effet important de bien sélectionner au sein de la grille HAS les critères correspondant à la prise en charge évaluée afin d’en optimiser le temps de traitement (deux heures maximum). Vouloir réaliser in extenso la totalité de la grille HAS ne serait pas réaliste car trop chronophage. Cela découragerait les équipes et serait préjudiciable à la poursuite de cette méthode. Par ailleurs, il faut que les écarts identifiés au décours du recueil des données et le plan d’action proposé à l’issue de l’analyse soient validés par l’ensemble de l’équipe avec le cadre. Ce temps de communication implique médecin, IDE, aide-soignante, chirurgien, kiné, oncologue, radiothérapeute et tout acteur de soin intervenant dans la prise en charge. Il constitue un moment de partage privilégié qui favorise la cohésion d’équipe et, par voie de conséquence, la qualité et la sécurité des soins (un tiers des évènements indésirables graves sont consécutifs à un manque de communication entre professionnels). Enfin, les actions proposées doivent être modestes et faciles à intégrer dans la pratique courante pour permettre aux professionnels de les appliquer le plus vite possible.

L’I. M. : Quelles actions avez-vous mises en œuvre grâce à la méthode du patient traceur ?

A. M. : En chirurgie urologique, pour sécuriser la gestion des traitements personnels que le patient apporte avec lui, un coffre sécurisé a été installé dans le service pour stocker ces médicaments le temps de l’hospitalisation et prévenir ainsi les risques de doublon. En post-opératoire, il a été mis en évidence que la fiche informatisée de traçabilité spécifique des constantes du patient n’était pas utilisée et un travail de communication a été réalisé afin que les équipes utilisent le bon support du dossier patient pour tracer ces indicateurs physiologiques. Concernant la désignation d’une personne de confiance, aucune trace n’était retrouvée dans le dossier du patient et une action de sensibilisation des équipes a été réalisée afin d’assurer la traçabilité de cette proposition au patient, qui fait désormais l’objet d’un suivi d’indicateurs au niveau de l’établissement.

L’I. M. : Comment entretenir la dynamique dans le temps ?

A. M. : C’est effectivement une question à se poser car l’élan d’enthousiasme suscité par la méthode à l’époque de la certification est retombé dans les mois qui ont suivi la visite, d’autres priorités ayant émergé. De plus, cet « effet soufflé », auquel on peut naturellement s’attendre lorsque la pression d’un enjeu important disparaît ou que l’effet « nouveauté » est passé, a été suivi de changements de gouvernance au niveau de la direction et de l’encadrement supérieur. Aujourd’hui, forts de l’arrivée de nouveaux encadrants et d’une enquête montrant l’engouement des professionnels pour cette méthode, nous relançons cette dynamique, comme une EPP et non plus comme une préparation à une visite de certification. L’adhésion des professionnels et cadres est indispensable pour lever la principale difficulté de la méthode : prévoir la disponibilité de toutes les catégories de professionnels concernés.

L’I. M. : Et demain ?

A. M. : Au-delà du développement de cette dynamique interne, nous réfléchissons à la possibilité de mettre en place, comme le propose notre réseau qualité en région, des PT inter-établissements mais aussi, entre l’hôpital et l’hospitalisation à domicile (HAD), voire dans le secteur libéral. C’est un vrai challenge en termes d’organisation mais c’est très motivant car on sait que c’est souvent aux interfaces que les risques d’écarts et de perte d’informations sont les plus fréquents.

APPLICATION

Des améliorations multiples

→ En neurologie, des actions visant à optimiser la traçabilité de la douleur ont été mises en œuvre et la fiche kiné, primordiale dans le parcours AVC, est désormais accessible dans le dossier de soin du patient afin d’améliorer le suivi de l’évolution de sa prise en charge kiné par le personnel soignant. Les résultats des staffs ont également été intégrés dans le dossier de soin, permettant ainsi de partager les informations avec tous les professionnels amenés à le consulter.

→ En cancérologie, faute de coordination entre l’anesthésiste et le chirurgien, le compte-rendu (CR) opératoire réalisé par le chirurgien ne mentionnait pas la pose concomitante au geste chirurgical de la chambre implantable, pourtant très importante pour le suivi du traitement chimiothérapique. Il a été convenu entre l’anesthésiste (il avait fait séparément le CR pour le dispositif médical implantable) et le chirurgien qu’à l’avenir le CR de l’anesthésiste serait intégré au CR chirurgical. Une décision d’autant plus importante que l’on s’est aperçu, à l’occasion de ce patient traceur (PT), que l’alerte du logiciel d’information médicale n’avait pas fonctionné et que l’acte d’anesthésie n’avait pas été payé.

→ En psychiatrie, nous avons mis en évidence des écarts sur la traçabilité de l’évaluation somatique, de la proposition de la personne de confiance, de l’information du patient et de la traçabilité du poids et de l’IMC. Ces écarts ont pu être corrigés et des temps de pesée ont été mis en place pour surveiller le poids dans le dossier de soin.

→ Enfin, nous avons conduit un PT orienté sur la sortie des patients polypathologiques et dépendants en médecine gériatrique, afin de vérifier que la préparation de la sortie était prise en compte en réunissant, dès l’arrivée du patient et pendant son hospitalisation, toutes les informations (lien avec la famille, mode de vie du patient, recueil de ses habitudes de vie et de sa volonté, évaluation sociale, caractéristiques du logement…) nécessaires à son anticipation et à la recherche d’éventuelles solutions en aval.

EXPÉRIENCE

« C’est la seule méthode qui nous donne un reflet global de notre travail sur le parcours du patient »

Stéphanie Gillard

IDE au CH Simone Veil à Blois (41)

Stéphanie Gillard a participé à la réalisation de trois patients traceurs (PT) dans le service de soins de suite et de réadaptation (SSR). Une méthode qu’elle considère très valorisante.

« Dans notre service, nous avons des prises en charge assez complexes et lourdes, notamment dans le cadre des parcours AVC. La méthode du PT constitue un bon moyen de confronter le ressenti du patient à la perception que nous avons de la qualité de notre prise en charge. En dehors des questionnaires de satisfaction qui restent succincts, c’est la seule méthode capable de nous donner un reflet global de notre travail sur l’ensemble du parcours du patient. C’est très instructif quant aux écarts qu’elle met en évidence entre ce que nous devrions faire et ce que nous faisons réellement. En outre, cette méthode présente l’avantage d’être concrète, d’impliquer tous les acteurs concernés et d’être constructive car les dysfonctionnements pointés sont globalisés et non personnalisés et les actions d’amélioration rapidement intégrées et mises en œuvre. Il n’y a aucun jugement personnel ni aucune recherche de responsabilité, juste la volonté partagée par tous d’améliorer la qualité des soins durant la prise en charge. Dans notre service, cela s’est notamment concrétisé par l’amélioration de la traçabilité de la douleur grâce à la mise en place de formations internes sur l’évaluation de la douleur. Nous avons également amélioré la traçabilité de l’évolution de la prise en charge rééducative, instauré un inventaire des effets du patient à son arrivée dans l’unité et pris la décision de joindre systématiquement au dossier de soin, la copie des ordonnances de médicaments pris à domicile par le patient, ce qui n’était pas fait auparavant. Au-delà des améliorations apportées, la méthode est aussi très valorisante dans la mesure où elle reconnaît tout ce qui est bien fait par les professionnels prenant part à la prise en charge. Ainsi, la méthode du PT a permis de montrer que l’information reçue et le respect des droits des patients étaient satisfaisants. De même, elle a mis en évidence que les staffs réunissant l’ensemble des intervenants et le patient pour faire le point de son évolution, les plans interdisciplinaires individualisés intégrant les professionnels hospitaliers et libéraux et l’intervention précoce du service social, permettaient d’anticiper l’organisation de la sortie du patient et de favoriser ainsi cette ultime étape du parcours de soins beaucoup plus sereinement pour le patient, son entourage et les soignants. En tout état de cause, le PT constitue incontestablement un outil opérationnel simple, facile à utiliser et très accessible pour améliorer la qualité de nos pratiques professionnelles au quotidien et entretenir la motivation des soignants à atteindre un haut niveau de qualité et de sécurité des soins. »

Propos recueillis par Marie Fuks

ÉTUDIANTS EN IFSI

Les UE en lien avec le dossier

Références d’unités d’enseignement et extraits :

→ UE 3.1.S1  : « Raisonnement et démarche clinique infirmière » : modèles cliniques, (compétence 1) ; > UE 3.1.S2 : « Raisonnement et démarche clinique infirmière » : les plans de soins types et les chemins cliniques, etc., (compétence 1) ;

→ UE 3.2.S3 : « Projet de soins infirmiers » : la continuité du projet de soins entre les différentes structures de soins (compétence 2) ;

→ UE 3.3.S3 : « Rôles infirmiers, organisation du travail et interprofessionalité » (compétence 9) ;

→ UE 4.5.S2 : « Soins infirmiers et gestion des risques » et UE 4.5.S4 : objectifs, méthodes spécifiques d’identification, d’analyse et de traitement des risques (compétence 7) ;

→ UE 4.8.S6 : « Qualité des soins, évaluation des pratiques » : évaluer une pratique professionnelle au regard des principes de qualité, de sécurité et de satisfaction de la personne soignée (compétence 7) ;

→ UE 5.2.S2 : « Évaluation d’une situation clinique » : rechercher et sélectionner les informations utiles à la prise en charge de la personne dans le respect des droits du patient (compétence 1) ;

→ UE 5.6.S6 : « Analyse de la qualité et traitement des données scientifiques et professionnelles » (compétences 7 et 8).