Les dons d’organes et tissus, côté donneur - L'Infirmière Magazine n° 393 du 01/05/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 393 du 01/05/2018

 

CARRIÈRE

GUIDE

Isabel Soubelet  

Les dons d’organes et de tissus, de son vivant ou lors d’un décès, sont très encadrés par la loi et précisés dans des textes d’homologation des règles de bonnes pratiques. Le point sur les procédures à suivre.

En France, la législation sur le don d’organes et de tissus repose sur trois grands principes, énoncés dans la loi de bio-éthique du 6 août 2004. Le premier, c’est le consentement présumé. En effet, chaque Français est un donneur présumé d’organes et de tissus, à moins qu’il ait exprimé de son vivant son refus. Il n’y a pas de registre du « oui ». Ainsi, la personne qui consent au don d’organes n’a pas de démarche à faire. En revanche, si elle y est opposée, elle doit faire connaître son refus. Deuxième principe : la gratuité. Le don d’organes est un acte de générosité et de solidarité gratuit. La loi en interdit toute rémunération, afin de se prémunir du trafic d’organes. Et le troisième, c’est l’anonymat. Le nom du donneur ne peut pas être communiqué au receveur, et réciproquement. Toutefois, les proches du donneur peuvent, à leur demande, être informés des organes et tissus prélevés, et du résultat des greffes. L’anonymat entre donneur et receveur sert à préserver les proches en deuil et aide les personnes greffées à s’approprier leur greffon. Rappelons qu’en 2017, première année du Plan greffe 3 qui court jusqu’en 2021, 6 105 organes ont pu être greffés à des patients en attente, soit une hausse de 3,5 % par rapport à 2016.

L’expression du refus

La loi Caillavet du 22 décembre 1976 a instauré le cadre du prélèvement d’organes. Le décret du 11 août 2016, entré en vigueur le 1er janvier 2017, renforce le principe de consentement présumé en cours depuis 1976 et précise les trois modalités de refus. En premier lieu, il faut s’inscrire sur le Registre national des refus (désormais possible en ligne). La personne peut aussi faire valoir son refus par écrit et confier ce document, daté et signé, à un proche. En cas d’impossibilité d’écrire et de signer, deux témoins peuvent attester que le document rédigé par une tierce personne correspond à son souhait. La personne peut enfin communiquer oralement son opposition à ses proches, qui en attesteront auprès de l’équipe médicale. « Nous sommes dans l’expression du refus du défunt, pas dans la recherche du consentement de la famille, précise le Pr Olivier Bastien, directeur des prélèvements, greffes d’organes et tissus, à l’Agence de biomédecine. Si la personne n’est pas inscrite au registre du refus, l’opposition est recevable, bien sûr, mais la famille devra témoigner en ce sens. On lui demandera les circonstances précises de l’expression de ce refus. Ce document écrit sera signé par l’infirmière de coordination hospitalière (CH) et par un proche qui apporte le témoignage. » Autre nouveauté : la personne peut exprimer un refus partiel, pour certains organes ou tissus.

Le don après le décès

Il intervient dans deux cas : le don du patient en état de mort encéphalique ou le don après le décès dans le cadre d’une limitation ou d’un arrêt des thérapeutiques (Maastricht III). Cette pratique, initiée fin 2014, a permis 234 greffes d’organes en 2017 (114 en 2016). Aujourd’hui, en France, seuls 20 hôpitaux ont le droit de réaliser des prélèvements de ce type. Mais la majorité des greffes viennent de sujets en état de mort encéphalique, avec 1 796 donneurs en 2017 (1 770 en 2016). Dans ce contexte, la décision est difficile : quand les personnes sont opposées à tout, on ne peut aboutir au prélèvement. « La CH joue un rôle pivot, précise Olivier Bastien. Elle accompagne la famille du défunt dans le deuil, respecte la temporalité, est garante de la qualité du processus de soins du recensement à la restitution du corps à la famille. Elle en est personnellement responsable et doit vérifier l’aspect du corps, les cicatrices, les pansements, pour que tout soit conforme à ce qui se fait dans un bloc opératoire. Bien sûr, elle n’est pas seule et travaille avec le service de réanimation, le médecin, mais elle doit réaliser beaucoup de choses dans un temps contraint, de douze à vingt-quatre heures selon les cas. » Superviser les tests, récupérer les examens, réaliser l’entretien avec les proches sans précipitation, en respectant l’intimité de la famille, répondre aux questions, organiser le prélèvement, la venue des équipes chirurgicales et l’entrée au bloc opératoire…

Depuis 2016, les règles de bonnes pratiques de l’entretien avec les proches sont inscrites dans un arrêté (lire encadré), elles sont donc opposables. Le texte décline précisément les modalités à suivre. « L’infirmière doit analyser son entretien a posteriori avec une grille que nous avons proposée pour améliorer la qualité de cette étape et évaluer le dialogue avec les proches », précise Olivier Bastien. Le document a été réalisé en concertation avec les professionnels. « Il faut avoir une certaine expérience en réanimation, des compétences techniques et humaines fortes, lors de la prise de parole avec les familles. » Très enrichissant sur le plan humain, ce métier implique aussi beaucoup de travail de nuit, sans relais sur une période prolongée, pour finaliser le processus avec la famille. À terme, cela devient éprouvant.

Le don du vivant de rein

Il est encore peu connu car il induit, pour le candidat à la greffe, de faire prendre un risque à un proche. En 2017, 611 greffes de rein grâce à des donneurs vivants ont eu lieu (16 % des greffes rénales) et le Plan greffe 3 vise un objectif de 1 000 greffes par an d’ici à 2021. « Ici, nous sommes dans un consentement explicite, souligne Olivier Bastien. C’est une personne, souvent de la famille, qui accepte de donner un organe. » Comme le prévoit la loi, cela peut être un cercle élargi de personnes : père ou mère du receveur, conjoint, fratrie, enfants, grands-parents, oncles, tantes, cousins, beaux-parents, ou toute personne apportant la preuve d’une vie commune ou d’un lien affectif étroit et stable avec le receveur, dans chacun des cas depuis au moins deux ans.

Après le bilan médical du donneur, sa candidature est soumise à l’autorisation d’un comité pour le don du rein. Il doit ensuite exprimer son consentement devant le président du tribunal de grande instance. L’intervention chirurgicale se fait par chirurgie ouverte ou par cœlioscopie assistée par vidéo. L’hospitalisation dure trois à dix jours. Les personnes actives bénéficient de quatre à huit semaines d’arrêt de travail. Le donneur est suivi chaque année après le don et passe tous les deux ans une échographie rénale. Il est possible de vivre avec un seul rein mais des risques existent. On estime un risque de décès à trois pour 10 000 prélèvements. Et la majorité des complications concernent des douleurs au niveau de la cicatrice, des infections urinaires, de l’hypertension artérielle…

L’entretien avec les proches avant le prélèvement

Cette grille est issue de l’arrêté du 16 août 2016 décrivant les règles de bonnes pratiques pour l’entretien de la coordinatrice hospitalière (CH) avec les proches en matière de prélèvement d’organes et de tissus.

SAVOIR PLUS

→ La loi Caillavet, loi n° 76-1181 du 22 décembre 1976 relative aux prélèvements d’organes.

→ Loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique.

→ Décret n° 2016-1118 du 11 août 2016, relatif aux modalités du refus de prélèvement d’organes après le décès.

→ Arrêté du 16 août 2016 portant homologation des règles de bonnes pratiques pour l’entretien avec les proches avant le prélèvement d’organes et de tissus.

→ Registre national du refus : bit.ly/2IVJkoZ

→ Agence de biomédecine : bit.ly/2GfFSrT

→ États généraux de la bioéthique, lancés le 18 janvier 2018. Un avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) et des préconisations aux pouvoirs publics doivent être remis à la rentrée 2018 : bit.ly/2FP5qZm

INTERVIEW

Evelyne Marry docteur, directrice des prélèvements et greffes de moelle osseuse à l’Agence de biomédecine

Qu’est-ce qui caractérise le don de moelle osseuse ?

• Pour être donneur, il faut remplir trois conditions : avoir plus de 18 ans et moins de 51 ans lors de l’inscription (même si l’on peut rester inscrit et donner sa moelle jusqu’à 60 ans), être en parfaite santé, répondre à un questionnaire médical et effectuer une prise de sang qui, à ce stade, consiste à réaliser le typage HLA (Human Leukocyte Antigen), pour déterminer les caractéristiques des cellules de la moelle osseuse du donneur et les comparer à celles des malades qui ont besoin d’une greffe. Pour le malade, la recherche se fait d’abord parmi ses frères et sœurs. Mais, dans trois cas sur quatre, il n’y a pas de donneur compatible dans la fratrie. Et hors fratrie, la compatibilité entre donneur et receveur est extrêmement rare, une chance sur un million ! Une autre particularité, c’est que, contrairement au don du sang, où le côté gratifiant pour le donneur est immédiat, le délai moyen de sollicitation pour un donneur de moelle osseuse inscrit est de huit ans. Et dans tous les cas, on ne peut le promettre. Ce don est un engagement sur la durée, c’est pourquoi nous appelons les donneurs de moelle osseuse les « veilleurs de vie ».

Comment se déroule ce don ?

• Le prélèvement est planifié un à trois mois à l’avance, pour que le donneur s’organise. Il existe deux modes de prélèvement des cellules souches de moelle osseuse : le prélèvement dans le sang ou dans les os du bassin. En s’inscrivant, chaque donneur volontaire donne un accord de principe pour les deux types de prélèvement. Le médecin greffeur propose la méthode la plus appropriée. Le prélèvement par cytaphérèse (dans le sang) est le plus courant (80 % des cas). Le donneur reçoit au préalable, pendant quelques jours, un médicament par injection sous-cutanée, qui stimule les cellules de la moelle osseuse et les fait passer des os vers le sang. Un ou deux prélèvements de trois à quatre heures chacun sont nécessaires, sans anesthésie ni hospitalisation. La deuxième modalité, c’est le prélèvement dans les os postérieurs du bassin, sous anesthésie générale. Cet acte nécessite une hospitalisation de quarante-huit heures au plus, sans dommage. La moelle osseuse se reconstitue rapidement. Le volume prélevé est calculé en fonction du poids du donneur et de celui du malade. Le don de moelle osseuse est sans danger.

Propos recueillis par Isabel Soubelet