Je me retrouve parfois à utiliser l’humour face à un patient. Peut-on y avoir recours sans nuire à la relation soignant-soigné ? - L'Infirmière Magazine n° 393 du 01/05/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 393 du 01/05/2018

 

QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL

SUR LE TERRAIN

MON QUOTIDIEN

Karen Ramsay*   Laurent Vivenza**  


*Cadre de santé et formateur au Grieps (Lyon)

Pourquoi craindre de nuire à la relation soignant-soigné ? L’humour est souvent au cœur de ce lien, qu’on en soit conscient ou non », lance d’emblée Laurent Vivenza, cadre de santé et formateur au Grieps. Qu’il soit exprimé de façon verbale ou autre (mimique, situation, etc.), l’humour s’invite dans tout rapport avec l’autre, et par extension, dans toute relation de soin. Il s’intéresse à la part sensible de l’individu : « C’est un moyen de rompre l’asymétrie du lien entre le professionnel de santé et le patient et d’y réintroduire de l’humain. Quand il est utilisé par le soignant, il peut exprimer la peur de faire mal, notamment dans le cas d’un acte invasif, la crainte d’un moment intime, difficile ou douloureux. Quand il vient du patient, il peut révéler, cette fois, la peur d’avoir mal, l’inconfort face à une situation gênante ou bien – et surtout – le désir d’exprimer quelque chose d’intime, de difficile ou qui fait interdit… Ainsi, un brin d’humour, une touche d’ironie, un éclat de rire, tout cela peut servir de médiation entre le soignant et le patient », poursuit le formateur. Ce que décrit Bruno Autin, infirmier libéral à Paris : « Le soin peut s’avérer douloureux ou la maladie être lourde à supporter. Si je peux faire le soin à ma manière, en allégeant son poids au maximum, en “déviant” la douleur, en faisant oublier le contexte, c’est mieux. Et pour moi aussi, c’est plus simple. Je ne considère jamais mes patients comme des copains, mais je pousse l’humour jusque vers cette limite. »(1)

L’humour s’invite dans une situation précise, dans un moment particulier et singulier – par exemple, lors de la première rencontre avec un patient ou avant un acte touchant à l’intimité – en permettant à l’un et à l’autre d’exprimer une émotion. « Comme médiateur ludique, l’humour ouvre des voies et propose une mise en mots sur un sujet qui n’est pas toujours aisé, précise Laurent Vivenza. L’humour dit toujours quelque chose… Quand un patient fait de l’humour, il se confie, il partage une émotion, il est dans l’échange. L’humour permet de parler de sa vulnérabilité, que l’on porte une blouse de patient ou de soignant. Alors oui, l’humour peut être un subtil et puissant média pour interpeller l’autre et construire une relation plus légère, autorisée et confiante. »

1- Extrait du dossier « Relation de soin, guérira bien qui rira le premier », paru dans L’Infirmière libérale magazine, juillet/août 2014.

1- « La place de l’humour dans la relation soignant-soigné », Étienne Cordier, Association française du personnel paramédical d’électroradiologie, mars 2016.

1- « L’humour dans la relation infirmière-patient : une revue de littérature », Hélène Patenaude et Louise Hamelin-Brabant, Recherche en soins infirmiers, février 2006.

L’humour à l’étude

Faire usage de l’humour dans les soins apparaît comme un mécanisme de défense face au stress, une technique pour dissiper la peur de l’inconnu ou pour lutter contre la dépression…

→ C’est ce qui ressort de l’étude(1) menée auprès de 1 052 participants – 641 manipulateurs d’électroradiologie médicale (MER) et 411 étudiants – pour la première phase (novembre 2015 à février 2016) par questionnaires à questions fermées, puis auprès de 91 MER lors d’un complément d’enquête à questions ouvertes (qui a eu lieu du 27 novembre 2015 au 17 février 2016).

→ Il en ressort que 38,2 % des MER et 22,6 % des étudiants estiment que l’humour est « très important » dans leur profession : « Il faut juste « sentir » la personne avec qui on manie l’humour. »

En revanche, « entre surcharge de travail et manque de temps », le recours aux blagues peut s’avérer plus compliqué. 48,8 % des professionnels estiment par ailleurs qu’une formation initiale sur l’humour serait pertinente dans le cadre d’une meilleure prise en charge du patient.

Une question de situation

Le contexte de l’unité de soins peut déterminer l’usage, ou non, de l’humour. Ainsi, la revue de littérature(1) de Louise Hamelin-Brabant et Hélène Patenaude présente l’étude « Humor and the health professions: the therapeutic use of humor in health care », de Vera Robinson, qui souligne que « si le stress est peu élevé dans une unité de soins comme dans une unité d’obstétrique ou de médecine, alors l’humour intervient plus fréquemment entre le patient et l’infirmière. En revanche, si le stress est élevé, comme dans une unité de soins intensifs, aux urgences ou en salle d’opération, alors l’humour survient plus entre les professionnels. »

Les obstacles en milieu hospitalier peuvent aussi provenir du fait « que les patients et les professionnels soient des étrangers ; qu’il y ait peu de temps d’interaction sans savoir s’il y aura continuité, un environnement avec des règles sociales différentes, des soins criques et la présence de tension ».