De la précision sans invasion - L'Infirmière Magazine n° 393 du 01/05/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 393 du 01/05/2018

 

CHIRURGIE PAR IMAGERIE

SUR LE TERRAIN

REPORTAGE

Lisette Gries  

À Strasbourg, le bloc opératoire d’imagerie interventionnelle du Nouvel hôpital civil (NHC) s’est doté d’une salle ultra-moderne, avec scanner de dernière génération sur rails et équipement d’angiographie. Ce sont les radiologues qui opèrent, assistés de manipulatrices en radiologie.

Dans sa bulle au sous-sol du Nouvel hôpital civil (NHC), l’équipe d’imagerie interventionnelle est à l’abri du bruissement des nombreux couloirs de cet imposant bâtiment, qui remplace depuis dix ans une partie des pavillons de soins des Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS). Il est près de 11 h, et le bloc opératoire déroule son programme de la matinée. Au centre de l’attention de ce plateau technique de 1500 m2, la salle multimodale, une plateforme ultramoderne installée en novembre 2017. Elle combine un scanner de dernière génération mobile sur rails et un arceau d’angiographie, et permet donc des gestes chirurgicaux d’une grande précision.

Sur la table, une dame de 85 ans s’installe pendant que les aides-soignantes remplissent les armoires de matériel. Les anesthésistes – médecin et infirmière – discutent avec la patiente, allongée à travers le scanner. « On ne peut pas tourner autour du patient comme lors d’une opération dans un bloc classique. Pour l’induction notamment, notre travail est plus compliqué », constate Anne Sutter, infirmière anesthésiste. De plus, tous les soignants qui évoluent dans la salle doivent enfiler un gilet et une jupe plombés, ainsi qu’un collier pour couvrir la thyroïde et des lunettes pour les yeux. Ces protections, nécessaires pour éviter d’être exposés aux rayons X « inutiles » – puisqu’ils irradieraient des personnes dont l’état de santé ne le justifie pas –, pèsent plusieurs kilos et peuvent gêner les mouvements.

Pas d’Ibode au bloc

La patiente est endormie sous anesthésie générale. Atteinte d’un cancer de la peau, elle présente une métastase sur la clavicule droite. « Nous allons traiter la tumeur par cryothérapie percutanée, puis installer une vis dans laquelle nous injecterons du ciment osseux afin de prévenir le risque de fracture », détaille le Dr Julien Garnon, radiologue interventionnel. À ses côtés, deux internes et deux manipulatrices radio l’assistent. Il n’y a pas d’Ibode dans le bloc, une particularité liée à la spécialisation du service en techniques d’imagerie.

Première étape : placer la patiente de telle manière que l’arceau d’angiographie soit positionné au-dessus de la zone à traiter. « Cette intervention est un peu inhabituelle. Nous opérons plus souvent des lésions au foie ou au rein », explique le Dr Julien Garnon. Pendant l’intervention, les images du capteur plan et du scanner pourront être combinées pour guider les gestes chirurgicaux. Mais si le scanner peut se déplacer, l’équipement d’angiographie, lui, est fixe dans la salle. Il faut donc descendre un peu la patiente sur la table. L’infirmière anesthésiste passe de l’autre côté du scanner pour s’assurer qu’elle aura suffisamment de place pour travailler et que les cathéters et tubes installés sont assez longs. « Il a fallu s’adapter, prévoir des robinets pour le respirateur et des prolongations pour les perfusions, souligne Anne Sutter. La priorité, c’est que l’intervention soit sécurisée. Cela implique que l’on anticipe encore plus que d’habitude. »

Attention aux rayons X !

Grâce au scanner, des premières images de la tumeur sont prises pour prévoir le type et le nombre de sondes utilisées. Les points d’entrée des sondes sont également déterminés. Catherine Gire, manipulatrice en radiologie, intervient auprès du radiologue pendant que sa collègue travaille dans la salle de contrôle, de l’autre côté de la vitre. Toutes les deux ont accès aux consoles de commande complexes et à plusieurs écrans.

Autour de la patiente s’instaure un curieux ballet. À chaque fois qu’un passage par le scanner est nécessaire, l’équipe chirurgicale se range sur les côtés du scanner, tandis que la manipulatrice et l’infirmière anesthésiste passent dans la salle de contrôle, dont elles ferment soigneusement la porte afin de limiter leur exposition aux rayons X. « Je ne reste pas aux côtés des patients tout au long de l’opération. Je surveille leur état grâce à un écran et n’entre que quand cela est nécessaire », précise Anne Sutter. Dans la petite salle de contrôle, deux radiologues étrangers, venus de Hong Kong et du Royaume-Uni, observent l’intervention avec une grande attention.

Catherine Gire prépare les aiguilles dont aura besoin le médecin. Le radiologue démarre : il introduit une première aiguille fine qui servira de marquage. Audessus de la patiente, un écran géant lui permet de suivre sa progression en temps réel, grâce à l’équipement d’angiographie. Il avance, millimètre par millimètre, vers la tumeur. Le scanner complète ces données en offrant une représentation dans les trois plans. Une fois l’aiguille de guidage en place, le Dr Julien Garnon peut passer, avec la même minutie, son aiguille de forage, nécessaire pour traverser l’os. Les consoles près de la table d’opération et dans la salle de contrôle permettent à Catherine Gire de répondre aux demandes d’images que formule le médecin. « L’équipement est récent et complètement différent de celui qu’on avait auparavant », glisse-t-elle. Elle jongle donc entre assistance au radiologue, commande des différents outils et des écrans, et conseils à sa collègue pour maîtriser les nouveaux logiciels. « J’ai travaillé durant dix ans en chirurgie orthopédique et en traumatologie : pendant les nuits, les manipulateurs et les Ibode forment une vraie équipe. L’environnement du bloc ne m’était donc pas étranger quand je suis arrivée ici », confie-t-elle. En effet, les protocoles d’hygiène, le déroulement d’une intervention et les différents instruments semblent n’avoir aucun secret pour elle.

Du chaud et du froid

Une fois le forage réalisé, le Dr Garnon peut installer une sonde de cryothérapie avec précision dans la tumeur. Grâce à l’imagerie interventionnelle, ces sondes atteignent la tumeur, et uniquement la tumeur, et ce de la manière la moins invasive possible puisque la peau et les tissus ne sont pas ouverts. Une petite dissection est réalisée, toujours de manière percutanée, pour sécuriser totalement la zone et s’assurer que seule la tumeur sera gelée. Trois sondes suffiront à traiter la tumeur osseuse que présente la patiente du jour. Grâce à l’injection d’argon, l’extrémité des sondes est refroidie jusqu’à – 100 °C, formant ainsi une boule de glace dans la tumeur. Le scanner permet de vérifier l’étendue des glaçons pour garantir un traitement efficace.

« On alterne dix minutes de gel, neuf minutes de repos et une minute de chauffe grâce à de l’hélium. On reprend ensuite un cycle de gel, afin de faire éclater les cellules, puis on chauffe à nouveau », détaille Catherine Gire. La tumeur meurt, mais n’est pas retirée de l’organisme. Le corps « nettoiera » tout seul ces tissus morts par l’action des macrophages. Dans la salle de contrôle, les manipulatrices en radiologie gardent un œil sur le décompte des minutes des différents cycles de la cryothérapie.

Reste ensuite à consolider l’os, potentiellement fragilisé par la tumeur et par la cryothérapie. Le radiologue passe alors une broche dans la clavicule, en vérifiant régulièrement sa trajectoire grâce au scanner, et en se basant sur une aiguille de guidage laissée en place à cet effet. Une vis chirurgicale est alors implantée, dont la mise en place est suivie de près via les écrans du capteur plan. « Le pas de vis est creux et les spirales sont perforées afin d’injecter du ciment osseux », précise Catherine Gire, tout en s’assurant que ces matériaux implantables sont tracés scrupuleusement dans le dossier patient. Une dernière série d’images scanner rassure le Dr Garnon sur la bonne répartition du ciment dans l’os, puis la patiente est recousue. Seuls deux points de suture sont nécessaires pour refermer la peau incisée pour le passage de la vis. « Après une heure trente en salle de réveil, la dame sera montée dans son service de dermatologie. Elle devrait pouvoir rentrer chez elle dès demain », note-t-il, avant de s’éclipser pour assurer une consultation.

Coordination et réseau de soins

En effet, Fabienne Haessig, la seule IDE du service, est venue lui signaler que son patient l’attendait. Car, dans les couloirs autour de ce plateau technique, il y a tout un service qui s’affaire. Sept radiologues seniors composent l’équipe médicale qui intervient, en plus de cette salle multimodale, dans une salle équipée d’un capteur plan, une autre d’une IRM et dans un espace d’échographie dédié aux biopsies, et qui sont consultés pour avis médical. Les patients leur sont adressés par les autres services du CHU, mais aussi par des médecins d’hôpitaux périphériques, voire de l’étranger.

Fabienne Haessig gère la coordination du service. « Je m’assure que les dossiers pré-opératoires sont complets, et que les examens ont bien été réalisés. Quand les patients viennent de loin, je leur trouve une consultation d’anesthésie près de chez eux et un lit dans un service pour leur hospitalisation », détaille-t-elle. Elle s’occupe aussi de la planification des interventions et assure le lien avec les autres services des HUS. « Tôt le matin, il m’arrive d’aider à la préparation des patients au bloc. Je pose aussi les perfusions sur site implantable. Mais je ne suis jamais en salle d’opération. » Au bloc, les manipulatrices sélectionnent des images pour le dossier de la patiente opérée de la clavicule, pendant que, dans son bureau, Fabienne Haessig s’occupe de la transmission de l’ordonnance pour ses soins post-opératoires : « La finalité est la même : le bien-être du patient. C’est important qu’il soit accueilli là où on l’attend, et qu’il reparte avec tout ce dont il a besoin pour les suites de son opération. »

HAUTE TECHNOLOGIE

Des équipements de pointe

Quatrième équipement de ce type en Europe, la salle multimodale du Nouvel hôpital civil de Strasbourg fait progresser le domaine de l’imagerie interventionnelle.

Le scanner sur rails et le système d’angiographie sont tous deux de dernière génération et communiquent entre eux pour fournir des images de fusion. L’imagerie dynamique, rendue possible par le scanner 4 D – la quatrième dimension étant le temps –, permet la prise en charge de cas complexes. Sous la houlette du chef de pôle, le Pr Afshin Gangi, les radiologues interventionnels pourront s’associer à des chirurgiens pour développer des traitements multi-organes. Une première en Europe.