Premiers pas vers l’autonomie - L'Infirmière Magazine n° 386 du 01/10/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 386 du 01/10/2017

 

HANDICAP PSYCHIQUE

SUR LE TERRAIN

REPORTAGE

Catherine Faye  

Situé à Bruges, près de Bordeaux (33), le centre de réadaptation psychosociale (CRPS) de la Tour de Gassies propose à de jeunes adultes présentant des troubles psychiques stabilisés, un accompagnement solide vers la réinsertion citoyenne. Un dispositif de prise en charge ancré dans le concret.

Sous un hangar, des bottes en caoutchouc, des tondeuses, des outils. Des hôtels à insectes aussi, sorte de refuges en bois de palette pour la survie des animaux, et des déguisements à taille humaine, en papier mâché. Alex, 21 ans, s’affaire, penché au-dessus d’une brouette. Son rêve ? Devenir garde-forestier. « J’aime la forêt, la nature. Ici, j’ai participé à plusieurs ateliers préprofessionnels et on m’apprend l’autonomie. C’est comme d’être dans la vie active sans vraiment y être. Et je suis suivi sans trop l’être. Je me sens assez libre », confie-t-il en quittant l’espace de jardinage où potagers, arbres fruitiers et serres tunnels encerclent un étang recouvert de nénuphars. C’est là que Christelle Hontans, responsable de l’atelier jardin, forme les patients, par binômes, à l’horticulture, au maraîchage et à l’entretien d’espaces verts. À la transformation de la production aussi, comme l’élaboration de confitures de figues ou de kakis. « La première chose pour des personnes présentant des difficultés cognitives, c’est le rappel des consignes de sécurité, prévient-elle, le regard rivé sur un motoculteur en marche. Dès lors, mon objectif est de transmettre un savoir-faire. Un savoir-être aussi. Dans le respect des horaires et des recommandations. » Libre à chacun ensuite d’explorer et de s’investir davantage, de construire un projet qui le mènera vers un emploi à la fin de son hospitalisation. Ici, le travail est un maître-mot. Plus encore, c’est le fil conducteur de la prise en charge proposée. Au même titre que le bien-être et la réappropriation des usages de la vie courante.

Intégration citoyenne

Le centre de médecine de la Tour de Gassies, c’est d’abord de l’espace. Beaucoup d’espace. De vastes étendues d’herbe, des arbres, des bâtiments distants les uns des autres, de deux étages tout au plus, des allées. Au bout de l’une d’elles, une construction vert d’eau abrite le centre de réadaptation psychosociale (CRPS). C’est l’un des six établissements du centre, site régional du groupe Union pour la gestion des établissements de l’Assurance maladie (Ugecam), impliqué dans les soins de suite et de réadaptation et le secteur médico-social.

Au CRPS, chaque séjour se construit au fil des préoccupations quotidiennes et du projet de vie du patient, en fonction de sa pathologie et de ses capacités à y adhérer. Un ajustement au cas par cas, par l’action, le travail et des journées planifiées. « Nos patients ont une mauvaise estime d’eux-mêmes, ils sont stigmatisés et s’autostigmatisent. Pour remédier à cette problématique de l’échec, les emplois du temps sont très structurés et établis comme un prérequis à l’adhésion de chacun. Pour cela, il est essentiel d’instaurer une relation de confiance », observe Jean-Marc Fischer, infirmier.

De l’assistante sociale aux soignants, en passant par les moniteurs d’ateliers ou la chargée d’insertion, ?chacun participe au projet de vie des patients dans un vrai souci de réhabilitation psychosociale. « L’ensemble des actions mises en œuvre s’inscrit dans un processus visant à l’autonomie et à l’indépendance dans la communauté », explique Geoffroy Couhet, psychiatre et chef de service. Les infirmiers ont un rôle central, celui de référent pour commencer, avec une marge de travail et la possibilité de créer des projets. Leur rôle prend effet dès l’arrivée du patient : évaluations, entretiens de suivi, de soutien et de travail sur l’acceptation et la compréhension de la maladie, observation dans le traitement pour éviter la rechute, lien avec la famille, mise en place d’objectifs réalistes. Il se prolonge bien après la sortie, par des visites de contrôle et de soutien à domicile. « Notre but est de créer une alliance thérapeutique avec eux. De travailler sur les facteurs environnementaux, facilitants ou limitants. Afin qu’ils puissent trouver le plus de satisfaction dans leur vie citoyenne. Avec les bons outils », remarque Marie-Aude Com-Nougué, infirmière.

Un plateau technique pluridisciplinaire

Sur un mur de son bureau, près de l’accueil, de la salle de soins et de la pharmacie, une devise : « Sans œillères, on s’entend mieux ». C’est ici que l’infirmière fait passer aux entrants l’échelle d’évaluation de l’expérience psychotique (EEEP) afin de mieux définir troubles, causes, symptômes et conséquences. S’en suit une période d’observation, une évaluation de deux mois, un bilan de compétences, puis l’établissement, avec l’équipe pluridisciplinaire, d’un contrat de soins de réadaptation.

Avec une capacité d’accueil de 25 lits d’hospitalisation complète, de 25 places d’hôpital de jour et de deux places d’hospitalisation de nuit, le CRPS reçoit, chaque année, plus d’une centaine de patients de la région Nouvelle-Aquitaine. Âgés de 18 à 40 ans, ces jeunes adultes présentent un handicap psychique avec des pathologies sévères stabilisées, en transition entre les milieux de cure et le milieu extérieur : schizophrénie pour la majorité, troubles de l’humeur (troubles bipolaires ou schizo-affectifs), troubles anxieux sévères (phobies spécifiques, anxiété sociale, agoraphobie). Les effets délétères de ces pathologies limitent notamment l’accès à l’autonomie (logement, loisirs), au travail (formation, emploi) et à la vie citoyenne.

La prise en charge intercède donc en faveur d’une réinsertion sociale et professionnelle, avec une palette d’activités : jardin, menuiserie, sport, cuisine, vie quotidienne, journal, radio… La durée moyenne de séjour (DMS) est de dix-huit mois. « Notre objectif est de faire en sorte que les patients retrouvent une place citoyenne dans toutes ses acceptions à leur sortie et ne soient pas réhospitalisés », assure Jean-Philippe Dupérier, cadre de santé et ancien IDE en psychiatrie. Pour cela, le CRPS, établissement de santé privé d’intérêt collectif (Espic), propose un plateau technique pluridisciplinaire associant l’approche psychodynamique, la psychopharmacologie, la neuropsychologie, les sciences cognitives et les techniques comportementales.

Un dispositif dispensé selon des programmes de réadaptation personnalisés et coordonnés, intégrant une évaluation régulière. Et un credo : « Le premier emploi, c’est l’emploi du temps ». Le but étant d’éviter la rechute et d’accompagner les patients, armés et confiants, vers l’extérieur. « Pour cela, pas de blouse pour les soignants et un ajustement constant de chaque prise en charge au principe de réalité. Ainsi, chacun, avec sa symptomatologie résiduelle et son histoire, apprend à prendre en compte les exigences du monde réel et les conséquences de ses actes », développe le cadre de santé. Imbriqués et complémentaires, les trois pôles du centre – thérapeutique, socio-éducatif et sportif, préprofessionnel – sollicitent en chacun ses compétences, ses aspirations, ses limites. Le plaisir aussi.

Exigence et créativité

« Tout est mis en œuvre ici pour celui qui veut s’en sortir. Dès mon arrivée, j’ai compris que le sport et l’hygiène de vie étaient partie prenante du soin. Ç’a été une renaissance pour moi. J’ai conscience que je m’en suis bien sorti. » Éric, 52 ans, a été accueilli ici en 2004. Il est aujourd’hui président de l’Entente sportive de Bruges (ESB) sport adapté, vit chez lui et est suivi dans un centre médico-psychologique (CMP). Tous les jeudis, il revient à la salle de sport du centre, véritable plateforme d’activités (badminton, escalade, tir à l’arc, sarbacane, basket, foot…), et s’inscrit dans un engagement bénévole auprès des patients et de l’équipe soignante. La salle de musculation, tout en miroirs, rameurs et tapis de marche, précède le gymnase, vaste et lumineux. « D’un côté, l’entraînement participe à une surveillance de la prise de poids, souvent induite par les traitements, et à un travail sur l’estime de soi ; de l’autre, les sports collectifs encouragent la relation avec les autres et, pour certains, une implication dans la vie des clubs à l’extérieur », explique François Serradeill, moniteur.

Au cœur du sport, la notion de plaisir est primordiale, comme dans tous les ateliers. Et la créativité trouve son chemin à travers des tâches ou des exercices de tous ordres. Comme à l’atelier menuiserie où règne une atmosphère d’élaboration et de façonnage consciencieuse. La lumière extérieure se faufile entre nichoirs, étagères, boîtes à sel, cadres, bancs, outillage, dans des parfums de bois débité. Penchée sur un mandala, Chloé, férue des poètes Baudelaire et Villon et du surréaliste Jacques Abeille, jongle entre pastels bleus et violets. Un peu plus loin, sous le regard vigilant de Patrick Turany, menuisier responsable de l’atelier, Dorian apporte les dernières finitions à sa maquette du pont levant bordelais Jacques-Chaban-Delmas. Une œuvre de plus de 800 pièces, exécutée de mémoire. « Un défi que je me suis lancé », confie l’artiste-bricoleur, qui rêve d’un avenir dans l’ébénisterie.

« Le patient est le principal acteur de l’activité à laquelle il donne du sens en s’impliquant. Chacun, à son rythme, réinvestit la relation dans le groupe, et crée ainsi un étayage », commente Claire Leleu, infirmière. Si tout ce dispositif est facteur d’intégration sociale, l’originalité du CRPS réside aussi dans un travail sur la gestion de la vie quotidienne avec une vingtaine de modules (budget, démarches administratives, bricolage, cuisine, temps libre). Le tout à travers des mises en situation variées, notamment dans des appartements associatifs ou lors de séjours. Emblématiques du CRPS, sa radio Drôles de zèbres, conçue sur le modèle de son égérie argentine La Colifata, est née fin 2012, à l’initiative de patients, notamment grâce à l’expérience concluante du journal du centre, Le Book émissaire, écrit, illustré et maquetté par une poignée d’entre eux. Leur intention ? Déconstruire les idées reçues, le regard porté sur la différence et, comme l’écrit dans un poème Christophe, un patient, « oublier les paradigmes de l’existence/pour faire mijoter les sens à fleur de peau ».

NOUVEAU CENTRE RÉFÉRENT

Réinsérer le plus tôt possible

Après avoir répondu à un appel à projets en 2016, le CRPS a été retenu par l’ARS Nouvelle-Aquitaine pour créer et accueillir sur son site, en collaboration avec le CH Charles-Perrens et son service universitaire (Bordeaux), un centre référent en réhabilitation psychosociale, qui couvrira le territoire sud de la Nouvelle-Aquitaine (5 départements). Ce centre aura pour objectif de promouvoir et développer des soins de réhabilitation spécifiques le plus précocement possible après le début de la maladie, notamment par la remédiation cognitive, les programmes d’entraînement aux habilités sociales et l’éducation thérapeutique. Il proposera des formations aux techniques de réhabilitation psychosociale aux différentes structures sanitaires et médicosociales de la zone préétablie, afin de développer l’offre de prise en charge dans la région, favorisera la coordination du parcours d’insertion des personnes en situation de handicap psychique et sera chargé d’une mission « évaluation recherche en réhabilitation ».