Parler de sexe avec les ados - L'Infirmière Magazine n° 386 du 01/10/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 386 du 01/10/2017

 

FORMATION

ÉDUCATION

C.M.  

Dans un contexte de libération des mœurs et de diffusion d’images sexuelles et pornographiques, la sexualité et la contraception demeurent taboues dans les familles. Et pourtant, les adolescents sont friands d’informations.

Avant même la contraception, la sexualité doit être abordée le plus tôt possible, sans attendre la puberté. Dès le plus jeune âge, les enfants s’intéressent à comprendre les différences entre les filles et les garçons puis veulent savoir « comment on fait les bébés » ! C’est en répondant à des questions toutes simples que la parole est libérée, qu’on peut parler du désir d’enfant, du sentiment amoureux. L’enfant, en grandissant, aura des questions plus précises. Si l’adulte est embarrassé, il peut dire « je vais te répondre plus tard » et revenir avec un livre, par exemple. L’essentiel est d’avoir créé un climat sain (ne jamais parler de sa propre sexualité), non intrusif (respecter l’intimité de son enfant) et, dans ce contexte, l’enfant saura se tourner vers ses parents quand il sera adolescent.

Hors de la sphère privée, l’éducation à la sexualité est en principe au programme dès l’école primaire. C’est une obligation légale depuis la loi du 4 juillet 2001, relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception. Le texte prévoit qu’une « information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées, à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogènes » (art. L 312-16 du code de l’éducation). Une mission précisée en 2016 (loi du 13 avril 2016, art 19) : « Ces séances présentent une vision égalitaire des relations entre les femmes et les hommes. Elles contribuent à l’apprentissage du respect dû au corps humain. »

Une obligation légale mal appliquée

Sur le terrain, les établissements organisent des séances co-animées par les infirmières scolaires, certains professeurs et/ou des intervenants extérieurs d’organismes de planification habilités (association, CPEF, EICCF). Mais, la loi est loin d’être correctement appliquée. Faute de temps des personnels des établissements et de financement pour les interventions extérieures, les adolescents n’ont généralement pas plus d’une séance d’information durant leur scolarité. « J’ai reçu une formation de deux jours sur l’éducation sexuelle et affective, notamment pour maîtriser des techniques d’animation, témoigne Nadine, infirmière en lycée professionnel. Avec l’accord du CESC (Comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté), j’organise les interventions avec un partenaire d’une association extérieure, qui prend la moitié de la classe. Nous intervenons seulement dans les deux classes de CAP et les cinq classes de seconde, une fois par an. ». Initiative rare, les infirmières des CPEF gérés par le département de la Seine-et-Marne ont reçu une formation spécifique « éducation à la vie » de 160 heures pour parler contraception et sexualité. « Note but est d’harmoniser les pratiques, explique Florence Artiguebieille, sage-femme et experte technique pour le Département. Objectif : donner des informations fiables et accompagner sans porter de jugement.

L’éducation à la sexualité demeure « encore parcellaire, inégale selon les territoires car dépendante des bonnes volontés », note le Haut conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes (HCE), dans son rapport relatif à l’éducation à la sexualité daté du 13 juin 2016. Il observe, d’après les résultats d’un baromètre réalisé auprès d’un échantillon de 3 000 établissements scolaires publics et privés, au cours de l’année scolaire 2014-2015, que « parmi les douze millions de jeunes scolarisés chaque année, seule une petite minorité bénéficie, tout au long de sa scolarité, de séances annuelles d’éducation à la sexualité ». Par ailleurs, « les jeunes se tournent vers Internet, et notamment les réseaux sociaux, les médias (radios jeunes, magazines féminins…) ou encore la pornographie pour trouver les réponses aux questions qu’ils et elles se posent sur la sexualité ».

Enjeux d’égalité

Or, comme le rappelle le même rapport du HCE, « les enjeux d’égalité posés par l’éducation à la sexualité sont nombreux : accès à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception, prévention des grossesses à l’adolescence, prise en compte du désir et du plaisir des jeunes femmes, stigmate de la “réputation”, inégalités et violences sexistes au sein d’un groupe ou au sein du couple, question du consentement, instrumentalisation des codes culturels et religieux justifiant l’inégalité filles-garçons, invisibilisation et intolérance vis-à-vis de l’homosexualité et notamment du lesbianisme ». Ce même rapport relève encore que « les jeunes, et en particulier les filles, méconnaissent leur corps, et le plaisir féminin reste tabou : 84 % des filles de 13 ans ne savent pas comment représenter leur sexe alors qu’elles sont 53 % à savoir représenter le sexe masculin, et une fille de 15 ans sur quatre ne sait pas qu’elle a un clitoris ».

De l’anatomie aux représentations

L’éducation sexuelle peut donc commencer par des notions d’anatomie. Il s’agira de représenter le sexe féminin, mal connu, avec exhaustivité : la vulve, partie extérieure et visible, regroupe le pubis, les grandes et petites lèvres, le vagin et le clitoris… Tous les dessins anatomiques ne mentionnent pas cet organe du plaisir… Si le sexe masculin est plus connu, les ados ont besoin d’être rassurés, la taille de leur pénis n’a aucune influence sur la qualité de l’acte sexuel. L’objectif des séances est aussi de renverser les représentations. Quand Florence Baldassari, infirmière au Centre de planification et d’éducation familiale (CPEF) de la Maison des solidarités de Coulommiers (77), commence une séance d’éducation à la vie sexuelle et affective, elle lance la question suivante : « Qu’est-ce que le premier organe sexuel ? » Et les élèves passent en revue l’appareil génital. Mais le premier organe sexuel, c’est le cerveau, le centre des émotions. Deuxième question : « Quel est le deuxième organe sexuel ? » La réponse exacte fuse rarement. C’est la peau et ses capteurs. « Ainsi, nous cassons les représentations de la sexualité qu’ils peuvent avoir, en lien avec l’exposition aux images pornographiques, explique Florence Baldassari. La sexualité n’est pas qu’affaire de sexe, nous fonctionnons avec des émotions… » Les identifier permet de parler de la relation à l’autre, de ses craintes, de ses envies.

Autre message : dès le plus jeune âge, l’enfant doit apprendre que son corps n’appartient qu’à lui et que personne n’a le droit de le toucher sans sa permission. Cela paraît simple mais, au moment de l’adolescence, tout se bouscule dans la tête du jeune. Les images pornographiques qu’ils ont souvent vues et l’envie de faire comme les autres pour appartenir au groupe vont banaliser l’acte sexuel. Florence Baldassari recueille régulièrement des remarques du style « Aller embrasser quelqu’un, par jeu, c’est rien » ou « Une fille qui a un rapport après avoir bu, c’est qu’elle l’a bien cherché ! » Sa collègue, Aurélie Marteyn, qui travaille également en Seine-et-Marne, à la MDS de Lagny, témoigne : « Nous rappelons la nécessité d’obtenir le consentement de son partenaire avant un rapport. »

La première relation sexuelle, autant attendue que redoutée, et cela d’une génération à l’autre, est aussi abordée. « Nous demandons aux élèves ce que cette première fois représente pour eux, nous notons tout au tableau, puis nous les faisons réfléchir sur leurs craintes exprimées. Nous cherchons ensemble des solutions possibles pour les dépasser. Connaître le fonctionnement de son corps et celui de l’autre, communiquer avec son partenaire, sont souvent les clés d’une relation », témoigne Florence. Selon les questions des ados, des sujets aussi divers que les préliminaires, des difficultés spécifiques (impuissance, douleur à la pénétration), la peur de décevoir, de ne pas être à la hauteur et l’absence de plaisir peuvent être abordés.

La contraception

La contraception sera abordée différemment en fonction de la maturité des élèves. « L’intérêt pour la contraception est secondaire lors de nos interventions en classe de troisième, car les élèves n’ont pas forcément débuté une sexualité, note Aurélie. Certaines séances vont y être consacrées, ce sera en fonction des interventions des adolescents. Ce qui est important, pour nous, c’est de faire connaître les centres de planification. Ainsi, le jour où ils ont besoin de renseignements ou d’un accompagnement pour la contraception, ils savent où nous trouver. » Nadine, infirmière en lycée professionnel, confirme : « Je suis régulièrement sollicitée pour des questions de contraception d’urgence, environ une fois par mois. Elle est un interlocuteur privilégié : « Certaines adolescentes viennent souvent me voir après délivrance de la contraception d’urgence, parce qu’elles ont besoin d’informations complémentaires. »

REPÈRES

Selon le HCE, l’éducation à la sexualité est une manière d’aborder l’enseignement de la sexualité et des relations

interpersonnelles qui est :

→ fondée sur l’égalité des sexes et des sexualités ;

→ adaptée à l’âge ;

→ basée sur des informations scientifiques ;

→ sans jugement de valeur.

Cette éducation vise, à partir de la parole des jeunes, à les doter des connaissances, compétences et savoir-être dont ils ont besoin pour une vie sexuelle et affective épanouie. Elle s’inscrit dans une conception holistique de la santé et est un outil indispensable pour atteindre l’égalité femmes-hommes.