LA PROTONTHÉRAPIE, UNE TECHNIQUE DE POINTE - L'Infirmière Magazine n° 386 du 01/10/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 386 du 01/10/2017

 

CANCER PÉDIATRIQUE

SUR LE TERRAIN

TRANSMISSIONS

Marion Vic Cadilhac*   Nadège Launay**   Michelle Ollier***   Isabelle Adjanonhoun****   DR Irène kriegel*****  


*infirmières anesthésistes
**infirmières anesthésistes
***cadres de santé
****cadres de santé
*****Dépt. anesthésie-réanimation douleur, Institut Curie, Paris

Depuis 2006, les enfants atteints de tumeurs cérébrales peuvent être traités par protonthérapie sous anesthésie générale à l’Institut Curie, à Paris. Une technique de radiothérapie qui assure une très haute précision de traitement.

En France, seuls deux centres pratiquent la protonthérapie pédiatrique sous anesthésie générale : le centre de Nice et le centre de protonthérapie d’Orsay (CPO). La protonthérapie a été en phase expérimentale jusqu’à la fin des années 1980. Ce n’est que dans les années 1990 que des centres spécialisés ont été inaugurés en France, au Japon et aux États-Unis. Contrairement à la radiothérapie conventionnelle, qui utilise des faisceaux de photons ou d’électrons, la protonthérapie emploie des faisceaux de protons(1) permettant de cibler une tumeur et d’atteindre une précision de l’ordre du dixième de millimètre. Ainsi, elle n’abîme pas les tissus sains avoisinants.

En 2006, l’Institut Curie lance les premières anesthésies générales pour que les enfants puissent bénéficier de cette technique. L’activité est menée par des médecins anesthésistes réanimateurs (MAR) qui pratiquent des anesthésies générales en collaboration avec des Iade. Elles confient ensuite le patient en salle de surveillance post-interventionnelle (SSPI) aux infirmières qui ont en charge l’accueil, la surveillance et le réveil de l’enfant, l’accueil des parents, la collation et le départ du jeune patient.

Une méthode pointue

Une fois l’indication de protonthérapie posée en réunion de concertation pluridisciplinaire de radiothérapie, une consultation d’anesthésie est organisée. Il s’agit d’une étape importante car elle va permettre d’anticiper les contraintes des anesthésies délocalisées et répétées chez les enfants atteints de tumeurs. C’est aussi l’occasion d’expliquer aux parents le déroulement de l’intervention.

Le MAR s’assure de la présence d’une voie veineuse centrale fonctionnelle – vérifiée par la radio de thorax – ou en organise la pose : chambre à cathéter implantable, cathéter veineux central de longue durée, ou cathéter veineux central à insertion périphérique. Il vérifie aussi le bilan biologique préopératoire : numération formule sanguine (NFS) pour s’assurer que l’enfant ne soit pas en aplasie après une éventuelle chimiothérapie concomitante, et un ionogramme sanguin pour contrôler la fonction rénale. Ces examens sont indispensables à l’injection de produit de contraste lors du scanner de prétraitement.

Au cours de cette consultation, le médecin recueille l’autorisation d’anesthésier et rappelle les consignes de jeûne : pas d’aliment solide ou opaque (comme le lait maternisé ou les jus de fruits) six heures avant, et pas d’allaitement maternel quatre heures avant l’anesthésie. Seuls sont autorisés, jusqu’à deux heures avant l’anesthésie, les liquides clairs et non gazéifiés (eau sucrée ou sirop).

Face à certaines contre-indications – intubation difficile probable ou avérée, compression des voies aériennes par la tumeur –, nous avons mis en place une réunion de concertation pluridisciplinaire pour les cas complexes, qui implique les pédiatres, les oncologues, les ORL et les MAR. Cette réunion a réorienté, dans certains cas, le choix vers une radiothérapie conventionnelle, faite au centre de Paris, compte tenu de l’environnement hospitalier favorable, ou a conduit à modifier le protocole anesthésique habituel et posé l’indication d’une trachéotomie.

La consultation d’anesthésie est un moment d’échange et d’information avec les parents et l’enfant sur les modifications de leur vie pendant la période du traitement, les perturbations éventuelles des cycles alimentaires et de sommeil ou l’asthénie qui peut s’installer. C’est un moment privilégié pour les rassurer.

Un vrai travail d’équipe

Pendant les six semaines du traitement, Jérémy est pris en charge par l’équipe du département d’anesthésie-réanimation douleur (Dard) du site Paris, qui se rend aussi à Orsay. Elle comprend un MAR, une Iade et une IDE de salle de surveillance post-interventionnelle.

Pour préparer la protonthérapie, le petit garçon doit passer un scanner en position de traitement sous anesthésie générale, à l’Institut Curie. Cette étape nécessite un travail conjoint des équipes de radiothérapie et d’anesthésie pour définir les modalités du traitement. Les manipulateurs en électroradiologie et les radiothérapeutes réalisent une contention – autrement dit, un masque facial pour les tumeurs cérébrales ou thoraco-pelvienne pour les tumeurs du rachis – pour permettre une réinstallation scrupuleusement identique de l’enfant tout au long de son traitement au CPO, et garantir une reproductibilité parfaite du champ d’irradiation.

Pour Jérémy, ce scanner de prétraitement est l’occasion de rencontrer le MAR, l’Iade et l’équipe infirmière de SSPI qu’il reverra à Orsay. À partir des images de son scanner, l’équipe du CPO va sculpter plusieurs dispositifs indispensables à la mise en forme du faisceau de protons. Deux de ces dispositifs sont personnalisés :

→ Le collimateur qui module l’énergie du faisceau de protons en fonction de la forme de la tumeur.

→ Le compensateur qui ajuste la distribution de la dose de protons en profondeur.

C’est l’ensemble de ces dispositifs qui garantit la protection des tissus sains avoisinants.

Un traitement par étapes

À Orsay, Jérémy et ses parents sont accueillis par l’équipe d’accueil du centre puis dirigés vers la salle d’attente. Une fois la salle vérifiée, l’équipe d’anesthésie vient les chercher et l’Iade s’assure qu’il est bien à jeun. Au moment de l’induction anesthésique – qui s’effectue à l’aide du masque facial – Jérémy est installé sur les genoux de son père. Il s’endort, rassuré.

Une fois l’induction terminée, nous installons Jérémy sur la table de traitement. L’Iade installe le monitorage tandis que le MAR met en place le masque laryngé. Le manipulateur en électroradiologie place un tablier de plomb de protection sur le corps de l’enfant. Un dosimètre est également mis en place pour suivre précisément les doses de radiations réelles reçues. Il place ensuite le masque de contention.

Pendant l’irradiation, le personnel soignant ne pouvant être présent dans la salle par souci de sécurité, un système de report du monitorage anesthésique et de caméras permet la surveillance durant le traitement.

À la fin de la séance, Jérémy est réveillé en salle de traitement par l’équipe soignante du Dard. Il est ensuite conduit en SSPI où l’infirmière prend le relais et assure la phase de réveil. Jérémy s’éveille à son rythme, prend une collation et joue avec les autres enfants. Le rôle de l’IDE durant cette période (environ une demi-heure) est prépondérant car elle apporte un soutien aux parents et répond à leurs questionnements. Un climat de confiance qui facilitera l’acceptation du traitement et de ses contraintes.

Une stratégie sûre

Depuis 2006, l’activité de protonthérapie est en constante augmentation. À ce jour, plus d’une centaine d’enfants ont pu bénéficier d’un traitement sous anesthésie générale au CPO. Une étude rétrospective menée dans notre centre (voir encadré) nous permet d’affirmer que notre stratégie d’anesthésie est sûre et reproductible.

En outre, cette activité permet aux Iade et aux IDE du Dard d’élargir leur champ d’activité à la prise en charge ambulatoire et met en avant le rôle propre de l’infirmière dans l’accompagnement des enfants et de leur famille.

1- Le proton est l’une des premières particules à avoir été identifiées dans le noyau d’un atome, qui est la plus petite partie du corps.

CAS DE DÉPART

Jérémy, 2 ans, est atteint d’une tumeur cancéreuse cérébrale, diagnostiquée il y a un an. Après une intervention chirurgicale, l’enfant a bénéficié d’une chimiothérapie, et en complément, un traitement par protons est prescrit dans le cadre d’un protocole. Pendant six semaines, les séances quotidiennes durent une vingtaine de minutes, et se pratiquent sous anesthésie générale. Tout au long du traitement, les parents et l’enfant sont accueillis à la maison des familles à Paris.

INSTITUT CURIE

Une activité en hausse

Nous avons réalisé une étude des enfants qui ont bénéficié d’une protonthérapie sous anesthésie générale entre mai 2006 et mars 2015. Sur les 92 enfants (44 filles et 48 garçons), la majorité des localisations traitées (82) ont concerné la base du crâne. 22 enfants avaient une chimiothérapie concomitante. La durée de traitement a été de 8 à 56 jours, avec un nombre de séances par enfant variant de 1 à 32. Au total, 2 258 séances ont eu lieu. Chez 80,43 % des enfants, la tolérance globale a été jugée bonne voire excellente par le radiothérapeute.

« Anesthésies pédiatriques répétées pour protonthérapie en dehors de l’hôpital », B. Fohlen, I. Kriegel, M. Borne, A. Guillaume, M. Queinnec, K. Kirov, A. Marcou, O. Brenet et A. Ghimouz du Dard, et P. Goater et S. Helfre du département de radiothérapie, Institut Curie, 2016.