La passion de la transmission - L'Infirmière Magazine n° 386 du 01/10/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 386 du 01/10/2017

 

FORMATEUR EN IFSI

CARRIÈRE

PARCOURS

LISETTE GRIES  

Pour se lancer dans le métier de formateur aujourd’hui, il faut être créatif, bienveillant, connecté et ne pas compter ses heures… À la clef, une relation enrichissante avec les étudiants et la satisfaction de former des IDE compétents.

Après plusieurs années de pratique comme IDE, vous souhaitez peut-être faire transmettre vos connaissances, faire bénéficier des étudiants de votre expérience. Parler pendant une heure d’un sujet ne vous effraie pas, au contraire. Au contact des ESI, vous avez parfois trouvé qu’ils manquaient de cours théoriques solides. Alors, le métier de formateur en Ifsi n’est pas fait pour vous ! « Être formateur et être enseignant, ce n’est pas la même chose. Les équipes doivent former, en trois ans, des professionnels autonomes, en répondant au plus juste à leurs besoins », souligne Christine Monnereau, directrice de l’Ifsi Croix-Rouge d’Ollioules, près de Toulon.

Le référentiel de compétences des ESI, en vigueur depuis 2009, a introduit une approche réflexive dans l’acquisition des savoirs. Les étudiants doivent donc être acteurs, ne pas apprendre par cœur pour valider un examen, mais bien prendre l’habitude de réfléchir à leurs pratiques afin de les enrichir. Les cadres formateurs en Ifsi sont là pour les accompagner dans la construction de leurs connaissances, en complémentarité des terrains de stage, et non plus pour délivrer des savoirs lors de cours magistraux. « Il y a des fondamentaux théoriques à transmettre, c’est indéniable, mais l’essentiel de notre travail, c’est d’amener les étudiants à comprendre pourquoi ils font tel ou tel soin, pour qu’ils puissent ensuite adapter leurs pratiques professionnelles au contexte », explique Jérôme Clément, cadre formateur à l’Ifsi Croix-Rouge de Limoges. En matière d’hygiène, par exemple, les réalités du terrain sont parfois différentes des procédures officielles. Pour que les étudiants soient capables de fixer eux-mêmes des limites à ne pas franchir, il faut qu’ils aient vraiment assimilé les risques et l’intérêt des différents gestes.

DANS LA PEAU D’UN CADRE

On est bien loin, donc, de l’infirmière-monitrice des années 1970. Les formateurs doivent être titulaires d’un diplôme de cadre de santé, et avoir exercé comme IDE auparavant (lire encadré). Un passage préalable comme manager dans une unité de soin n’est pas obligatoire, mais certaines directions d’Ifsi le préconisent. « J’attends des formateurs de mon équipe qu’ils aient une posture de cadre, c’est-à-dire un grand sens des responsabilités, des qualités d’animation de groupe et une capacité à prendre du recul par rapport à des avis institutionnels », détaille Fabienne Groff, directrice de l’Ifsi du CHU de Strasbourg. Certains Ifsi recrutent pourtant des IDE, en guise de cadre formateur. « Je suis entrée à l’Ifsi en janvier 2015 car un poste se libérait, mais je m’étais engagée à passer cadre dans les trois ans », explique Véronique Demeuzoy, de l’Ifsi Villeneuve Saint-Georges, qui a intégré un IFCS il y a quelques semaines. Elle obtiendra à la fin de l’année scolaire un diplôme qui assurera sa titularisation à l’Ifsi, mais qui lui ouvrira aussi les portes de l’encadrement en service de soin. « Les deux fonctions travaillent dans le même sens, dans le même environnement, estime Sandrine Williaume, directrice des soins et directrice de l’Ifsi et des Écoles de spécialités du CHU de Reims. Au quotidien, ils gèrent des projets transversaux en équipe et travaillent en collaboration avec de nombreux partenaires. » Les aspirants formateurs doivent garder à l’esprit toutes les fonctions des cadres. « Je ne recrute jamais quelqu’un qui cherche à fuir le terrain », avertit Fabienne Groff.

Un titre universitaire de grade II (master) est également recommandé, en sciences de l’éducation par exemple. « C’est un aspect assez peu abordé par les IFCS », remarque Martine Sommelette, présidente du Comité d’entente des formations infirmières et cadres (Cefiec). Pour l’instant, ne pas avoir de master ne semble pas freiner l’embauche (lire encadré). En revanche, il est indispensable d’être intéressé par l’encadrement des étudiants, d’avoir exercé comme tuteur de stage, par exemple, ou d’être intervenu en Ifsi. « Évoluer vers la formation était logique pour moi, ma cadre de service et mes collègues m’y ont d’ailleurs encouragée, raconte Véronique Demeuzoy. Je m’épanouissais dans le tutorat des étudiants infimiers en stage. » Cette expérience de terrain sera d’autant plus utile qu’elle aura été accompagnée d’une réflexion sur le rôle du formateur et de connaissances actualisées sur les textes qui réglementent les études en soins infirmiers.

PÉDAGOGIES ACTIVES

Par ailleurs, un contact régulier avec des stagiaires est aussi l’occasion de mieux comprendre le quotidien et les habitudes des grands adolescents qui constituent la majorité des promotions d’ESI. Ces « digital native » - comprendre nés avec les outils numériques et Internet - n’hésitent pas à remettre en question les propos d’un professeur ou d’un supérieur hiérarchique, ont du mal à rester concentrés sur un discours unique et ne quittent pas leur ordinateur. De plus en plus souvent, ils sont obligés de travailler à côté de leurs études pour assumer leurs dépenses quotidiennes, ce qui perturbe aussi leur apprentissage. « Il faut savoir s’appuyer sur tout ce qui est positif chez nos étudiants, intégrer leurs remarques et leurs expériences à un cours, avoir une attitude bienveillante », détaille Fabienne Groff.

La pédagogie par le jeu ou par la simulation est aujourd’hui très encouragée dans les Ifsi. Elle s’inscrit dans la démarche réflexive préconisée. Mannequins haute-fidélité, chambre des erreurs et autres patients standardisés incarnés par des comédiens contribuent à créer des situations de soin où l’étudiant devra prendre des décisions et réaliser des gestes techniques, sans impliquer la santé d’un vrai patient. « Nous encadrons alors de très petits groupes, de six à douze étudiants, en accordant une place importante au briefing et au débriefing », explique Sophie Prissette, cadre formatrice à l’Ifsi Paris Saint-Joseph. Les cadres formateurs doivent donc être capables d’organiser ces modules, sans tomber dans le « copinage », qui serait contre-productif. « Parfois, les étudiants préfèreraient un cours magistral qui les engage moins qu’un exercice où ils s’exposent devant les autres. On s’imagine qu’en tant que futurs professionnels, ils vont être très impliqués dans tout… Mais il faut parfois les motiver », avertit Corinne Perrot, Iade et cadre formatrice au CH sud-francilien.

Cela signifie aussi s’adapter à leurs stratégies de communication, qui passent souvent par les outils informatiques. « Pour certains modules, le niveau de connaissances est très inégal d’un ESI à l’autre. On peut alors mettre au point des outils d’e-learning qui permettent à chacun de progresser à son rythme », s’enthousiasme Jérôme Clément, qui a développé des formations à distance avant d’intégrer son Ifsi. Les formateurs doivent aussi prendre l’habitude d’être interpellés via des messageries électroniques, même en plein cours, et d’être contredits par des informations trouvées sur le web. « C’est une relation d’échange qui doit s’instaurer avec les étudiants, ne serait-ce que pour entraîner leur esprit critique face aux multiples ressources en ligne », ajoute Jérôme Clément. On l’aura compris, une certaine aisance avec le numérique est donc un atout majeur pour qui veut se lancer dans la formation, même s’il est possible de se familiariser avec des outils précis après la prise de poste. Certains Ifsi organisent d’ailleurs des journées thématiques sur ces sujets.

UN FORT ENGAGEMENT

« Il faut en effet compter sur la direction et les collègues, l’offre en formation continue étant assez pauvre », souligne Christiane Boudier, cadre supérieure de santé, chargée de mission à l’Hôpital Rothschild et auteure d’une enquête sociologique intitulée Les formateurs en soins infirmiers (Seli Arlsan, 2012). La plupart des Ifsi fonctionnent avec un système de tutorat des nouveaux formateurs par les anciens, plus ou moins formalisé selon les équipes. Un coup de main salutaire quand on plonge dans le grand bain. « Au début, j’ai été surprise par le mille-feuille qu’est l’organisation d’un Ifsi, se souvient Sophie Prissette, en poste depuis six ans. Il faut veiller à ce que les cours à l’Ifsi, ceux à l’université et le temps de stage ne se chevauchent pas… C’est complexe, et la multiplication des pédagogies actives est chronophage ! » En plus de la préparation des séances et de la correction des copies, les formateurs doivent assurer un suivi personnalisé des étudiants, participer à l’ingénierie pédagogique, s’inscrire dans des groupes de travail au sein de l’Ifsi voire de l’hôpital, suivre l’actualité professionnelle, se tenir informés des évolutions réglementaires, etc. « On emporte du travail à la maison presque toutes les semaines. On a des congés pédagogiques qui s’ajoutent à nos cinq semaines annuelles, mais ils ne couvrent pas toutes les heures supplémentaires », ajoute Sophie Prissette. Entre un tiers et la moitié du temps de travail est passé devant les étudiants. « Je crois que la pression directe est moins forte à l’Ifsi qu’en service et qu’il y a une plus grande place laissée à la créativité, mais c’est un métier qui demande un engagement personnel conséquent », confirme Fabienne Groff. S’il n’est pas obligatoire d’avoir eu une longue carrière, comme IDE ou comme cadre, il est important de garder un réseau professionnel dans les unités de soin. « Cela permet de proposer un accompagnement plus personnalisé des étudiants en stage, et facilite, s’il le faut, la médiation en cas de difficulté dans un service », apprécie Sophie Prissette. C’est aussi une manière de rester informée des nouvelles pratiques, d’être au plus près des réalités du métier. « Je fais intervenir des soignants sur des aspects que je ne maîtrise plus », raconte Jérôme Clément.

AU DIAPASON DE L’HÔPITAL

Réseau actif, créativité pédagogique, bienveillance envers la jeunesse, appétence pour le numérique, forte capacité de travail seul et en équipe… La liste des qualités humaines, plus valorisées que la diversité de la carrière, est longue. « On peut ajouter la capacité d’adaptation, propose Sandrine Williaume. Demain, les outils et les modalités pédagogiques seront encore différents, il faut les anticiper… » On parle en effet déjà de séances faisant appel à la réalité virtuelle. « Je valorise aussi le goût pour la culture, et pas uniquement professionnelle », ajoute Fabienne Groff. « Il faut être humble et savoir se remettre en question, et surtout avoir une personnalité forte, pour résister aux aléas de la vie de l’équipe et aux exigences du métier », sourit Christiane Boudier.

Enfin, il faut garder à l’esprit que, même si l’on n’est plus au contact du patient, la finalité du métier reste de garantir une qualité des soins optimale. « Quand j’étais IDE, j’étais centrée sur le patient. Devenue cadre, je prenais soin de mon équipe, pour qu’elle puisse s’occuper au mieux des patients. Et maintenant que je suis formatrice, je prends soin des étudiants, pour qu’ils apprennent à soigner des patients », résume Christine Spill, de l’Ifsi de Strasbourg (lire son témoignage ci-contre). Le métier de formateur, loin d’être une voie de garage ou une « planque », s’inscrit donc pleinement dans les missions de l’hôpital. Amené à encore évoluer, avec l’intégration probable des études infirmières à l’université, il est aussi un formidable champ d’expérimentations pédagogiques qui ont fait les preuves de leur efficacité. Gageons que les équipes des Ifsi sauront faire valoir leur expertise en la matière le moment venu.

UNIVERSITARISATION

Le master, seule façon d’assurer l’avenir des formateurs ?

→ Les accords de Bologne, ratifiés en 1999 par les États membres de l’Union européenne, visent à harmoniser les diplômes dans les pays, selon le schéma LMD, licence (bac +3), master (bac +5), doctorat (bac +8). Un cadre qui a conduit à envisager l’intégration des formations infirmières à l’université. Ce chantier, qui piétine depuis plusieurs années, vient d’être remis à l’ordre du jour avec le lancement par Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, et Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, d’une mission conjointe. L’universitarisation des Ifsi, à court ou moyen terme, semble inéluctable et souhaitée. « Si l’on veut une véritable licence en soins infirmiers, il faut développer une filière de recherche dans le domaine, afin de créer une discipline dédiée à l’université, affirme Martine Sommelette, présidente du Cefiec. Le Cefiec souhaite qu’une filière universitaire puisse se développer, avec des équipes encadrantes composées d’enseignants-chercheurs, dont des IDE qui passent un doctorat, de cliniciens pour l’enseignement pratique et de formateurs de niveau master. »

→ Dans ce contexte, les formateurs des Ifsi ont tout intérêt à anticiper et à préparer des masters afin de pouvoir pousuivre leur carrière. Certains IFCS délivrent des diplômes de cadre à bac +5, d’autres seulement à bac +4. Même si ce dernier niveau est suffisant pour être recruté aujourd’hui, il pourrait bloquer l’accès aux équipes de l’université. Aujourd’hui, il n’existe pas de recherche universitaire en sciences infirmières. Les cadres formateurs peuvent donc se tourner vers des diplômes en sciences de l’éducation, en santé publique, en santé mentale, etc. Au sein des Ifsi, ils peuvent bénéficier durant leurs études le plus souvent d’un aménagement de leur emploi du temps.

LÉGISLATION

Nouveau cadre réglementaire

→ L’arrêté du 31 juillet 2009 relatif aux autorisations des instituts de formation stipule qu’il faut être détenteur « d’un titre permettant l’exercice professionnel pour lequel l’institut est autorisé », ainsi que « d’un diplôme de cadre de santé » (art. 10). Il est toutefois prévu de pouvoir exercer dans un institut si l’on ne remplit pas ces conditions, à condition de se « mettre en conformité dans un délai de quatre ans ». Enfin, un titre universitaire de niveau II, en sciences de l’éducation ou en santé, est recommandé. Aucun taux d’encadrement chiffré n’est mentionné.

→ L’arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’État infirmier expose les modalités de compensation entre les différentes unités d’enseignement (UE), de validation des semestres et, le cas échéant, de redoublement. Dans l’annexe III sont listées les différentes UE, regroupées dans le référentiel de dix compétences à acquérir.

Le texte précise également que « le formateur développe des stratégies qui aident l’étudiant dans ses apprentissages en milieu clinique. (…) Il aide à l’acquisition d’une démarche comportant les problèmes de soins et les interventions en rapport et permet l’exercice d’un raisonnement inductif, analogique ou déductif ». Par ailleurs, un paragraphe est consacré à la posture réflexive, « une exigence de la formation permettant aux étudiants de comprendre la liaison entre savoirs et actions, donc d’intégrer les savoirs dans une logique de construction de la compétence ».