« Le sort des adultes, une honte ! » - L'Infirmière Magazine n° 385 du 01/09/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 385 du 01/09/2017

 

INTERVIEW : PIERRE SANS, PSYCHIATRE AUTEUR DE « AUTISME, SORTIR DE L’IMPASSE. DU DIAGNOSTIC À L’INCLUSION », PUBLIÉ AUX ÉDITIONS DE BOECK EN 2014

ACTUALITÉS

F. R.  

Psychiatre, et un temps psychanalyste, Pierre Sans s’est beaucoup consacré aux alternatives à l’hospi-talisation. Il déplore l’approche trop médicale de l’autisme, milite pour l’inclusion scolaire et dénonce le traitement des autistes adultes.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : L’autisme est un territoire où les affrontements sont vifs. Comment améliorer la situation et, par-delà, la prise en charge des personnes ?

PIERRE SANS : En France, on ne peut bouger que dans des atmosphères de révolution, il faut couper des têtes ! Nous sommes incapables d’effectuer des évolutions tranquilles. Nous accusons un large retard en matière de prise en charge de l’autisme. Cela découle de la formation des soignants et autres éducateurs. Combien de temps faudra-t-il encore pour qu’ils reçoivent un enseignement conforme aux normes internationales ? Quand des esprits ouverts aux nouvelles approches arrivent dans une équipe où la dominante est souvent la psychanalyse, ils sont écrasés par l’ambiance institutionnelle.

Aujourd’hui, les trois quarts des autistes orientés vers les hôpitaux de jour n’ont rien à y faire. Il faut d’abord favoriser l’inclusion scolaire. Pour autant, on ne peut considérer que 100 % des autistes pourront aller à l’école. Les hôpitaux de jour devraient être réservés aux seuls cas où une pathologie très gênante empêche cette insertion. Par ailleurs, dans beaucoup d’instituts médico-éducatifs aussi, le manque d’enseignants fait qu’on y occupe juste l’enfant.

L’I. M. : Ne gagnerait-on pas à adopter des approches plurielles ?

P. S. : Il n’y a pas de méthode miracle. Mais le premier impératif est d’améliorer le diagnostic. Un psychiatre peut le poser, mais il faut aussi effectuer des bilans en psychomotricité, en orthophonie, une évaluation du niveau intellectuel, faire des investigations en cas de probabilité d’épilepsie – près du quart des autistes en souffrent –, une étude génétique, des encéphalogrammes… Ce n’est qu’après qu’on peut développer une réponse individualisée et privilégier telle ou telle méthode. Il ne s’agit pas d’évacuer les « psys », comme le voudraient certaines associations, mais de faire en sorte qu’ils soient raisonnablement compétents en se tenant informés.

L’I. M. : Que vivent les familles et comment sont-elles perçues par les soignants ?

P. S. : Elles sont très en difficulté. Elles vivent un véritable parcours du combattant pour obtenir un diagnostic, doivent débourser des sommes colossales pour utiliser pleinement certains outils tels ABA, Pecs, Teacch (lire encadré p. 24)… Faute de solution, un des parents arrête en général de travailler pour s’occuper de l’enfant, des problèmes de couple surviennent… Et les familles ne sont pas toujours assez considérées par les soignants. Mais la situation évolue, car aujourd’hui, via Internet notamment, elles ont acquis beaucoup de connaissances. Les parents en savent parfois plus que le soignant consulté ! Il faut vraiment les écouter et arrêter toute attitude paternaliste. De surcroît, nous avons besoin d’eux, il faut les considérer comme des partenaires des thérapies et des rééducations. Dommage par contre que les associations de parents se livrent une guerre féroce.

L’I. M. : Quelle est la situation des adultes autistes ?

P. S. : C’est une honte ! Dans les médias, on évoque toujours le cas de certains autistes Asperger particulièrement doués et insérés. Mais c’est loin d’être le vécu de tous. Beaucoup sont en grande souffrance et peinent à s’intégrer dans la société. Certains sont considérés comme des débiles, et après avoir été rejetés de l’école, où souvent ils s’ennuyaient, se retrouvent au mieux à effectuer des travaux de manœuvre. Il faut vraiment réfléchir à instaurer des procédures d’accompagnement. De plus, beaucoup d’autistes sont condamnés à rester chez leurs parents vieillissants, épuisés, culpabilisés, et finissent leurs jours, à leur décès, dans des maisons d’accueil spécialisé, des foyers, où ils se sentent mal. Il faudrait développer l’accueil familial thérapeutique, des alternatives aux structures lourdes. On pourrait ainsi, dans des villes moyennes, réunir entre eux deux ou trois appartements loués, y placer cinq ou six autistes avec un travailleur social ou un parent effectuant des roulements la nuit. Cela éviterait de les placer en institution tout en leur permettant d’acquérir une autonomie. Cela coûterait aussi moins cher. Des alternatives de ce type ont déjà été expérimentées dans les années 70. Pourquoi avoir oublié tout ça ?