« La collaboration, un gage de sécurité » - L'Infirmière Magazine n° 383 du 01/06/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 383 du 01/06/2017

 

INTERVIEW : SOPHIE DIVAY SOCIOLOGUE DE LA SANTÉ

DOSSIER

L. G.  

Pour Sophie Divay, sociologue de la santé, les directions des établissements de santé doivent instaurer des temps d’échange et sortir d’une organisation verticale des soins et du travail.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : La collaboration entre les IDE et les AS est-elle essentielle à une prise en charge efficace des patients ?

SOPHIE DIVAY : Tout d’abord, je m’étonne que le thème de la collaboration entre les deux métiers soit encore abordé. Ces questions se posent depuis les premiers diplômes d’aide-soignante, en 1956. Si l’on s’interroge encore sur cette collaboration, c’est qu’elle ne doit pas si bien marcher… Pourtant, le fonctionnement de l’hôpital repose sur la capacités de ses agents à travailler ensemble. Empêcher le travail en commun, c’est ouvrir la voie à la maltraitance. Si une AS est obligée de faire seule dix toilettes à la chaîne, elle pourra ressentir de l’épuisement et de l’agacement. Alors qu’à deux, une forme d’auto-contrôle s’instaure. La collaboration est une façon de lutter contre l’usure des personnels, et c’est donc un gage de sécurité pour les patients.

L’I. M. : Le manque de moyens peut-il empêcher ce travail en commun ?

S. D. : C’est un facteur important, même s’il a un impact très différent selon les établissements et les services. Les réalités sont très différentes dans un établissement de l’AP-HP, un CHU ou un petit hôpital ! Et au sein même d’un établissement, un service de gériatrie ne sera pas logé à la même enseigne qu’un service de néphrologie, par exemple. Enfin, dans certains services, le nombre de professionnels par patient y est réglementé, dans d’autres non… La pression financière n’endommage d’ailleurs pas que la collaboration entre les IDE et les AS.

L’absentéisme peut augmenter, par exemple, et avec lui le recours aux intérimaires, voire l’obligation pour certains agents de renoncer à leurs congés. Au final, c’est toute la qualité de vie au travail qui est dégradée.

L’I. M. : Observez-vous une crispation des personnels hospitaliers sur la réorganisation de leurs tâches ?

S. D. : On entend partout parler d’innovation dans la prise en charge des patients, ce qui est une autre façon de parler de restriction. Les directions se plaignent que le personnel est « résistant au changement ». C’est un discours managérial violent, porté par des consultants qui ne connaissent pas l’hôpital… Quand des soignants refusent de changer leur manière de travailler, c’est qu’ils ont compris qu’ils vont y perdre, et la qualité des soins aussi. Ce mouvement de rationalisation ne va pas dans le sens d’une nouvelle vision, moins hiérarchisée, du travail et de son organisation.

L’I. M. : Pensez-vous qu’une meilleure définition du rôle des aides-soignantes soit la clef ?

S. D. : Leurs compétences sont théoriquement réglementées par des décrets d’actes qui déterminent ce qu’elles peuvent faire ou non. Faut-il respecter ces limites à tout prix ? La sécurité du patient doit être le premier critère de la prise de décision. J’ai en tête l’exemple d’un Ehpad où deux résidents ont eu besoin en même temps de soins immédiats, l’un pour une fausse route alimentaire, l’autre pour un malaise. Les AS présentes sont évidemment intervenues, même en dehors de leur cadre professionnel strict. Beaucoup d’AS disent aussi qu’elles ne souhaitent pas devenir IDE pour ne pas perdre l’aspect relationnel de leur métier. Pourtant, on ne peut pas dire que les infirmières soient toutes sorties de ce rôle. Je pense que les AS font ce qu’elles peuvent pour se valoriser dans un univers très hiérarchisé et parfois méprisant. Mais aller dans ce sens, c’est aussi cautionner la division du travail telle qu’elle est faite. La question des compétences ne devrait pas se poser à l’échelle des individus, mais de l’organisation. Quand des erreurs sont faites, c’est presque toujours parce que l’organisation du service est mal pensée et que l’établissement ne donne pas aux personnels les moyens de réfléchir correctement.

L’I. M. : Que mettre en place alors pour favoriser une collaboration réussie ?

S. D. : Il faut impérativement donner aux soignants des conditions de travail qui permettent le partage. On arrive dans certains établissements à supprimer les temps de transmission… C’est terrible ! Il faut des temps d’échanges et de réflexion institutionnalisés et obligatoires, qui laissent la possibilité à tous de s’exprimer. La multiplication des consignes, des classeurs et des protocoles ne changera rien. Personne n’a le temps de les lire et ce n’est pas ainsi qu’on créé du lien…

Articles de la même rubrique d'un même numéro