« Encore timide » - L'Infirmière Magazine n° 382 du 01/05/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 382 du 01/05/2017

 

PRÉVENTION

DOSSIER

Marie-Capucine Diss  

Les infirmières se reconnaissent dans leur fonction préventive, mais sont limitées par de nombreux freins. Le point avec Philippe Bordieu, infirmier de consultation en éducation à la santé et en ETP.

Pensez-vous que les infirmières vont être amenées à se consacrer de plus en plus à la prévention ?

La compétence, l’envie de le faire, la motivation sont là. Mais, aujourd’hui, notre système de santé n’est clairement pas organisé pour faire de la prévention. Avec la loi Touraine de 2016, on commence à parler de prévention, mais c’est encore timide. La charte d’Ottawa de 1986 dit pourtant clairement qu’il faut réorienter les systèmes de santé du curatif vers le préventif. Cela n’empêchera pas d’avoir des pôles d’excellence du curatif, les hôpitaux étant appelés à être de plus en plus des plateaux techniques « pointus » pour des séjours ponctuels. Avec le développement de l’ambulatoire, et la coordination que cela implique, il va falloir repenser l’organisation et les rôles…

L’éducation à la santé sera-t-elle un moyen de renforcer le rôle des infirmières en prévention ?

C’est une compétence infirmière relevant de son rôle propre. Mais du côté des libérales, il y a des freins administratifs. Les démarches de soins infirmiers (DSI) sont censées encadrer l’intégralité des soins relevant du rôle propre, notamment la prévention d’un patient dépendant. Or, localement, certaines caisses d’assurance maladie refusent les DSI ne comportant pas de soins d’hygiène(1). Accompagner un patient par une démarche éducative, donc préventive par définition, par le biais d’une DSI – ce qui suppose qu’elle soit payante – ne fait pas consensus aujourd’hui. On est loin d’une démarche harmonisée. Du côté des professionnels, les actes de prévention ne sont pas suffisamment tracés. La prévention, les infirmières en font tous les jours. C’est écrit où, comment, et c’est argumenté avec quoi ? Quand on veut la valorisation, la reconnaissance de quelque chose, il faut pouvoir amener des dossiers de soins, des traçabilités.

Le développement de l’éducation thérapeutique pourrait-elle faire évoluer les choses ?

Pour être financée, l’éducation thérapeutique du patient (ETP) nécessite de suivre une formation de 40 heures, dont le programme a été autorisé par l’Agence régionale de santé (ARS). Ce sont des processus très longs. Les Idel ne s’y lancent pas. Avec notre réseau, nous avons mis trois ans à monter un projet autour de l’obésité. Quant à l’hôpital, une des premières difficultés soulevées, lorsque je forme des salariés à l’éducation thérapeutique, c’est le temps. On me dit : « Nous sommes d’accord pour faire cela, nous en avons envie, mais nous n’avons pas le temps… » Certains établissements ont compris que des possibilités de financement de l’ARS existaient via les missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation (Migac). Cela permet à un établissement de dégager un poste, d’engager un demi-poste, mais cela concentre toute l’activité de prévention sur une seule personne, là où l’on aimerait bien que tout le monde puisse participer et être valorisé pour cela…

Finalement, pour l’avenir, comment peut-on favoriser la prévention infirmière ?

En envisageant de manière explicite que les infirmières puissent effectuer des accompagnements éducatifs et qu’elles soient payées pour le faire. À un moment, il faut une parole forte de la Sécurité sociale ou du ministère. Que l’on nous dise : « D’accord, on paye les infirmières pour faire de l’éducation à la santé ou de l’éducation thérapeutique », sans passer par un programme autorisé de l’ARS. Il faudrait également ne plus envisager la moindre décision dans un parcours de soins ou dans l’organisation d’un soin sans intégrer une représentation des libéraux. Ce n’est pas possible de réfléchir à la prise en charge d’un patient sans imaginer comment il sera suivi à domicile. Surtout quand on sait que c’est l’ambulatoire qui va venir « pomper » les budgets et les enveloppes. Enfin, l’OMS a travaillé, il y a quelques années, sur le concept de l’infirmière de famille. En France, cela pourrait s’articuler avec les pratiques avancées. Cette infirmière pourrait contribuer à des actions de dépistage, orienter vers le médecin, faire la promotion de certains suivis. Il me semble que cette piste pourrait être proposée dans le futur.

1- Pour en savoir plus sur la DSI et la cotation des actes, lire l’ouvrage de Philippe Bordieu et Muriel Caronne, La cotation des actes, 2017-2018, Éditions Lamarre, 5e édition, 2017.