Le bon équilibre - L'Infirmière Magazine n° 381 du 01/04/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 381 du 01/04/2017

 

PRISE EN CHARGE

DOSSIER

L. G.  

En plus des mères et des enfants, l’accouchement « sous X » bouscule les infirmières et les sages-femmes, qui sont aux avant-postes et doivent savoir gérer leurs propres émotions.

Infirmière depuis 2008 au CHU de Rouen, en maternité et suite de couches pathologiques, Sarah Patin se souvient de ses hésitations les premières fois qu’elle a été confrontée à des naissances sous le secret. « Je n’étais pas du tout préparée, je n’ai reçu aucune formation sur le sujet. Mais les auxiliaires de puériculture du service m’ont guidée. » Au cours de sa carrière, elle a pris en charge une dizaine de bébés nés « sous X ». Sept à dix enfants naissent sous ce statut chaque année au CHU de Rouen. Un défi pour les soignants, qui comptent sur la cohésion d’équipe. « Un protocole d’accueil a été élaboré, avec les documents fournis par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) et le Comité national pour l’accès aux origines personnelles (Cnaop), explique Catherine Obin, coordinatrice en maïeutique de la clinique gynécologie et obstétrique. Pour l’accouchement, l’accompagnement est comparable à celui de toute mère. On propose une prise en charge de la douleur, on surveille le travail de la même façon. En revanche, on peut baisser le son du monitoring et cacher les écrans d’échographie si la mère le souhaite. On lui demande ensuite si elle désire voir le bébé, le prendre dans ses bras, lui donner des prénoms ou éventuellement si elle veut le mettre au sein. »

Pressions familiales

Quand la mère ne donne pas de prénom à son bébé, c’est la sage-femme qui s’en charge, sous la délégation du directeur de l’hôpital. Elle raconte aussi la naissance dans un petit carnet, en indiquant son propre nom, mais en prenant garde de ne pas dévoiler d’éléments permettant d’identifier la mère. « Cette prise en charge peut être très difficile à vivre, reconnaît Catherine Obin. Quand ce sont des jeunes femmes qui abandonnent leur enfant sous la pression de la famille, c’est très compliqué pour nous. Il faut trouver un équilibre entre le respect de leur choix et leur droit à l’information sur les aides possibles si elles décidaient d’élever seules leur enfant. »

Après la naissance, le séjour des mères est souvent très court, quelques heures seulement. Les équipes essaient de s’assurer qu’elles ont de quoi continuer leur suivi à la maison. Parfois, elles restent plusieurs jours, et il arrive qu’elles aillent voir le bébé. « Il faut gérer notre charge émotionnelle. On est là pour les accompagner, pas pour les juger ou essayer d’influencer leur choix, même quand on voit leur grande souffrance. Il faut rester professionnelles », insiste Sarah Patin, qui ne rencontre pas les mères en dehors de ces - rares - visites.

Il lui est aussi arrivé de voir des mères revenir sur leur décision dans les jours qui ont suivi la naissance. Elles sont hospitalisées avec leur bébé, pour un séjour un peu plus long et plus entouré. « Il faut être encore plus patientes et à l’écoute que d’habitude. Elles doivent faire en une dizaine de jours le cheminement que d’autres font en 9 mois. Notre travail est de les aider dans ce cheminement, et là encore, de ne pas juger leur décision, même positivement. Elles doivent se sentir suffisamment en confiance pour pouvoir exprimer leurs difficultés », explique l’infirmière.

Biberons et câlins

Dans la majorité des cas, la mère ne change pas d’avis et confie son enfant pour qu’il puisse être adopté. C’est alors aux professionnels de santé d’en prendre soin pendant quelques jours, pour les biberons et les changes, mais aussi pour les câlins et le démarrage de leur histoire. Chaque bébé a un soignant référent par équipe horaire. « Il faut trouver la bonne distance, pour pouvoir donner de l’affection sans prendre la place d’une maman. C’est parfois assez difficile », témoigne Sarah Patin. « C’est particulièrement compliqué pour celles qui n’ont pas pu réaliser leur désir d’être mère, ajoute Catherine Obin. On travaille encore plus avec elles. » La psychologue du service se tient aussi à leur disposition.

Les référents remplissent quotidiennement le cahier de vie entamé par la sage-femme de la salle de naissance. « On y inscrit tous les événements marquants de la journée de l’enfant, on colle des photos, on raconte le premier bain, etc. », détaille Sarah Patin. Les bébés reçoivent aussi un petit doudou et une tenue tricotée par une association. Ils quittent le service avec tous ces objets. « Il est arrivé que des parents adoptants nous écrivent ou reviennent nous voir, pour nous dire que ces initiatives leur ont permis d’avoir accès aux premiers moments de leur enfant. C’est encourageant… et très émouvant ! », se réjouit l’infirmière.