Vrai chef d’orchestre - L'Infirmière Magazine n° 380 du 01/03/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 380 du 01/03/2017

 

DIRECTRICE D’ÉTABLISSEMENT

CARRIÈRE

PARCOURS

DANIELLE JULIÉ  

Forte appétence pour le management, la gestion, les responsabilités d’un côté, leadership, capacité d'arbitrage de l’autre… La fonction de directeur d’établissement, accessible notamment aux infirmières, est riche mais exigeante.

Pilote, responsable, gouvernant, parfois représentant légal de l’établissement lorsque qu’il est doté de la personnalité morale, le directeur d’établissement est un véritable chef d’orchestre. « Il a une vue d’ensemble et conduit chacun à jouer sa partition de telle ou telle façon », commente Élodie Marchand-Chaudron, infirmière de formation et directrice de la clinique SSR-MCO Clinéa-Orpéa, à Saint-Rémy-lès-Chevreuse (78), de juin 2014 à mars 2016. Une fonction cependant loin d’être homogène. En effet, l’exercice diffère selon le périmètre de responsabilité dévolu au directeur d’établissement : responsabilité directe ou délégation de pouvoir. Dans le secteur privé lucratif ou associatif, c’est un cadre de direction qui peut être sous la responsabilité hiérarchique d’un directeur chapeautant plusieurs structures, ou encore rattaché auprès du président et du directeur général du groupe dont il dépend directement. Dans le public, le directeur d’établissement sanitaire, social et médico-social (D3S) est un cadre de catégorie A supérieure.

Ses missions peuvent, elles aussi, varier sensiblement en fonction du type de structure (sanitaire, sociale ou médico-sociale) ou du secteur d’exercice (public, privé lucratif ou associatif). Cependant, un tronc commun d’activités d’encadrement supérieur dans sa double dimension stratégique et opérationnelle, peut être dégagé. Il comprend, entre autres, l’élaboration et la conduite du projet d’établissement, la coordination de l’exécution des délibérations du conseil d’administration (fonction publique hospitalière - FPH) et/ou le déploiement des décisions et orientations stratégiques définies par la direction de groupe (secteur privé), ou encore l’exploitation opérationnelle de la structure en veillant à la bonne gestion des ressources humaines (ensemble des équipes pluridisciplinaires), financières et logistiques. Stéphanie François-Bataille, infirmière de formation et aujourd’hui directrice adjointe au CHU de Martinique, en charge des blocs opératoires, laboratoires, pharmacies et stérilisations, résume : « J’ai une mission générale de management et de pilotage du pôle. De par mon positionnement, je suis le relais privilégié, l’interface, entre ce dernier et l’ensemble des interlocuteurs de l’hôpital : direction générale, directions fonctionnelles, autres pôles. J’ai des missions d’accompagnement et d’expertise, d’animation. Je participe à l’élaboration et à la mise en œuvre du projet de pôle, en veillant à sa cohérence avec les orientations du projet d’établissement. »

UN ÉQUILIBRISTE

Cet inventaire à la Prévert est à compléter avec d’autres activités inhérentes à la fonction « pour maintenir une cohésion d’équipe », mais aussi « favoriser les meilleures conditions de travail pour prendre en charge au mieux les usagers », insiste Stéphanie François-Bataille : impulsion et pilotage de la démarche qualité, gestion des situations de crise (épidémie de grippe par exemple), veille réglementaire, promotion et respect des droits des patients, animation des diverses instances de l’établissement(1) et du dialogue social. De même que la représentation de l’établissement en externe, est un dernier aspect essentiel pour Élodie Marchand-Chaudron qui, à la tête d’une clinique « assez isolée », a dû prendre son « bâton de pèlerin pour l’inscrire sur son territoire », faisant œuvre parallèlement de « beaucoup de communication et de politique ». « Le tout en tenant compte des contraintes budgétaires voire, parfois, d’injonctions paradoxales comme faire de l’activité (T2A) tout en ayant plusieurs missions (prévention, éducation thérapeutique, accompagnement, relation d’aide) qui ne rapportent pas », précise Stéphanie François-Bataille.

Dans un contexte réglementaire en constante évolution, un cadre budgétaire contraint et un secteur de la santé en mutation, « il est aussi primordial de redonner la place d’acteur de leur santé aux usagers et de permettre aux familles de prendre soin également de leurs proches, dans la mesure où cela est cohérent et en accord avec la volonté de la personne concernée par les soins ou l’accompagnement », rappelle la directrice adjointe au CHU de Martinique.

LE JUSTE POSITIONNEMENT

Une fonction exigeante donc qui nécessite plus que jamais d’avoir à sa tête des hommes et des femmes ayant de solides connaissances en management des organisations, mais aussi en gestion, en droit sanitaire et social, en santé publique, en communication… Ce qui implique indéniablement un certain niveau de formation (voir encadré p. 58). Mais cela ne suffit pas. Pour incarner la fonction, certaines qualités sont en outre incontournables : esprit d’analyse et de synthèse, leadership, être force de proposition, savoir travailler en réseau, sens des responsabilités, autonomie, disponibilité, capacité à prendre des décisions et aptitude à les expliquer, esprit d’initiative, capacités d’adaptation, de concertation et de négociation, qualités d’écoute « pour guider les personnes vers un objectif commun et favoriser “l’harmonie” et le partage des valeurs », détaille Stéphanie François, enthousiasme, force de conviction, capacité pour avoir une vision stratégique et systémique, volonté de cohésion et bon sens relationnel… « En tant que manager, il faut sans arrêt se remettre en question, être curieux, prendre du recul, s’élever au-dessus de la routine, de la pratique, observer, évaluer pour voir les besoins », témoigne Stéphanie François-Bataille. Et ce, « même si les résultats ne sont pas aussi immédiats, ni la satisfaction de suite visible contrairement à la pratique soignante », concède l’ex-IDE ! Élodie Marchand-Chaudron en est, elle aussi, convaincue : « La remise en question est essentielle, car il n’est pas possible d’être expert sur tous les domaines. » D’où la nécessité de savoir aussi s’appuyer sur les directions fonctionnelles de l’établissement ou du groupe (RH, finances, logistique, informatique, etc.), les personnes ressources, de déléguer, ou encore « de compléter ses connaissances au fur et à mesure de l’exercice », ajoute cette dernière.

Savoir trouver un « juste positionnement », entre autorité et concertation, est également fondamental. Ce qui n’est pas toujours évident, notamment pour les managers issus de la filière soignante lorsqu’il s’agit, par exemple, d’animer et de coordonner les équipes médicales. Mais « cela s’apprend », remarque Stéphanie François-Bataille. « Le positionnement est très différent que lorsque l’on est soignant, ou même cadre de santé, renchérit, de son côté, Élodie Marchand-Chaudron. Lorsque j’étais cadre de santé, j’étais “dans” l’équipe, et je pouvais tout à fait remplacer une infirmière ou la guider dans une prise en charge. Je pouvais justifier mes actions par des directives imposées par la direction. Sur le poste de directeur, je prenais les décisions en fonction des reporting de mes chefs de service ; je devenais “la méchante”. » Sachant, en outre, que le cadre de santé, « premier violon qui donne le “la” » - pour reprendre la métaphore du début -, peut « être remplacé par un autre violon », ce qui n’est pas le cas du directeur-chef d’orchestre qui lui « est seul ».

LA QUÊTE DU PREMIER POSTE

Une expérience préalable sur un poste similaire est également presque toujours exigée. « Concrètement, j’ai eu du mal à trouver un poste. J’avais eu des expériences de management (entre autres de directrice de crèche et de cadre supérieur de santé - NDLR), mais pas d’expérience en management d’établissement en tant que tel (avec un périmètre de responsabilités plus important, un nombre de personnes à manager plus élevé et des enjeux plus étendus) », indique Stéphanie François-Bataille, malgré sa formation D3S à l’EHESP.

Toutefois, le manque d’expérience n’est pas rédhibitoire sur certains postes de direction, notamment de petites structures ou unités. Pour preuve, cinq mois à peine après l’obtention de son diplôme d’infirmier spécialisé en puériculture et un premier CDD dans un centre de rééducation pédiatrique, Charles Eury a ainsi pris dans la foulée la direction de deux structures d’accueil de jeunes enfants dans la Manche « avec une quinzaine de personnes sous mes ordres ». Même s’il n’avait pas « de grosses notions en management » et qu’il savait qu’il allait « faire des erreurs », souligne-t-il, l’envie de gérer une équipe, sa formation en puericulture et le soutien de sa hiérarchie dans sa prise de poste - essentiel dans cette période d’inconfort - lui ont permis de pallier son manque d’expérience en management. Et, aujourd’hui, ce premier poste de direction se révèle un tremplin pour un prochain d’envergure supérieure !

UNE CHARGE DE TRAVAIL SOUTENUE…

Il va sans dire, la charge de travail d’un directeur d’établissement est dense. Une amplitude de 10 heures par jour est monnaie courante. À ce travail quotidien s’ajoute aussi des gardes. « Je démarre vers 7 h 00-7 h 30 pour finir vers 19 h 00-19 h 30, et j’ai 40 jours de garde annuels répartis en semaine complète », relève Stéphanie François-Bataille. Mais celle-ci reconnaît, entre autres avantages, une certaine régularité des horaires et l’absence de travail de nuit. Un plus indéniable pour cette ex-infirmière. Un constat que partage Charles Eury : « Les horaires sont fixes, de jour, à la différence d’un poste d’IDE puer en hospitalier, et je ne travaille pas non plus le week-end. Autre avantage, je gère mon planning en autonomie. » « En tant que directeur, on ne s’arrête pas. La clinique, c’était un peu ma “2e maison ” », rapporte de son côté Élodie Marchand-Chaudron, qui devait par ailleurs assumer « une garde mensuelle avec astreinte régionale de direction ».

… POUR UNE RÉMUNÉRATION VARIABLE

Question rémunération, le traitement est fonction de la grille indiciaire en vigueur dans la FPH (2 classes avec respectivement 9 et 7 échelons). Au salaire de base, il faut aussi ajouter diverses primes et indemnités telle la prime de fonction et de résultats (PFR), l’indemnité pour les astreintes (IA), celle de résidence, la nouvelle bonification indiciaire (NBI)… Au final, selon les échelons, le salaire mensuel oscille entre 2 000 € et 3 420 € brut en classe normale, et entre 2 883 € et 4 928 € hors classe, le salaire moyen étant de l’ordre de 2 300 € net. « Je gagne 4 900 € net par mois mais il faut tenir compte du fait que j’étais déjà infirmière puéricultrice avant et des “40 % vie chère” compte tenu que j’exerce ma fonction en Martinique », précise Stéphanie François-Bataille.

Enfin, dans le secteur privé, la rémunération diffère selon le périmètre de responsabilité (direction multi-sites ou site unique, direction d’établissement ou direction adjointe…), de l’expérience, du profil, du secteur d’exercice (sanitaire, social, médico-social et/ou privé commercial ou non lucratif), du type d’activité de la structure et/ou de sa localisation géographique. En moyenne, un directeur de clinique de type SSR (soins de suite et de réadaptation) peut gagner entre 50 et 70 K€, entre 65 et 110 K€ en médecine, chirurgie, obstétrique (MCO), tandis qu’un directeur d’Ehpad verra sa rémunération osciller entre 40 et 60/65 K€. À cela peuvent aussi s’ajouter des primes et avantages divers (logement, voiture de fonction…).

Avec des missions variées, la fonction de directeur d’établissement est source de nombreux défis à relever. Le fait d’être issu de la filière infirmière peut d’ailleurs s’avérer un plus face à des profils davantage gestionnaires et administratifs compte tenu d’une certaine connaissance du terrain et des publics pris en charge (patients, résidents, jeunes enfants, personnes handicapées…), de la maîtrise du vocabulaire médical, d’une défiance parfois moindre du corps médical, ou encore d’un certain positionnement soignant qui donne sens à la fonction… Toutefois, l’exercice demeure exigeant et complexe, et même sans rester dans sa tour d’ivoire, le pouvoir isole quelque peu. « Même si on essaye d’avoir une dynamique de groupe, même avec les autres directeurs, on est seul », témoigne Élodie Marchand-Chaudron. Exposé également puisque le directeur est un « personnage public » qui représente l’établissement en interne, mais aussi hors les murs de la structure. Peut-être des limites à la fonction, surtout pour les profils issus de la filière soignante qui ont eu l’habitude d’exercer en équipe et de raisonner collectif.

1 - Commission médicale d’établissement (CME), comité de lutte contre les infections nosocomiales (Clin), comité de liaison en alimentation et nutrition (Clan), comité local de lutte contre la douleur (Clud).

SPÉCIFICITÉS

En Ehpad ou en crèche ?

→ En Ehpad, le directeur met en place et assure la coordination avec le médecin coordonnateur et l’infirmière référente. Il assure l’adaptation de son établissement et des compétences du personnel aux types particuliers de dépendance. Il suit et met à jour les conventions tripartites.

À savoir : la formation D3S à l’EHESP donne droit à l’obtention du certificat d’aptitude aux fonctions de directeur d’établissement ou de service d’intervention sociale (Cafdes), diplôme de référence des directions d’Ehpad publics.

→ En crèche, le responsable d’établissement d’accueil du jeune enfant (EAJE) conçoit et met en œuvre le projet d’établissement et le projet pédagogique. Il accueille, oriente et coordonne la relation aux familles et développe une culture de la bientraitance. Garant du bien-être et de la santé des enfants accueillis, il participe aussi au conseil technique et soutien des équipes.

À noter : les infirmières puéricultrices peuvent être responsable d’EAJE après 3 ans d’expérience professionnelle.

CURSUS

Des formations ad hoc

→ Dans le secteur public, la formation de directeur d’établissement sanitaire, social et médico-social (D3S) est « la voie royale », ouverte sur concours interne ou externe. Elle est assurée par l’École des hautes études en santé publique (EHESP), à Rennes (35). Les « stagiaires », rémunérés par l’école (à hauteur de 1 732 € brut par mois), y suivent un cycle de formation théorique (35 semaines) et pratique (48 semaines), et doivent réaliser un mémoire professionnel. Les IDE diplômées avant 2009 doivent au préalable « passer par la case “prépa”, car la licence est un prérequis au concours, note Stéphanie François-Bataille, la directrice adjointe au CHU de Martinique qui a suivi la formation. C’est un concours difficile, exigeant, avec beaucoup de méthodologie pour se préparer à l’oral face à un jury ». À noter : sur les 68 élèves de la promotion 2015-2016, 23,8 % avaient au préalable fait l’école de cadres et près de 11,1 % suivi une formation académique du domaine des soins.

EHESP : www.ehesp.fr/ (http://bit.ly/1kUdpm0)

→ Dans le secteur privé, se sont surtout des masters spécialisés qui sont plébiscités. Parmi eux :

• Le master 2 « Management sectoriel - Parcours management des organisations soignantes », coordonné par l’École supérieure Montsouris (ESM) - Formation & recherche en soins, dans le cadre d’un partenariat avec l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de l’Université Paris-Est Créteil-Val-de-Marne (Upec). La formation comprend un volume horaire de 350 hen formation continue (réparties sur 10 semaines).

ESM - Tél. : 01 58 42 46 20 -  www.ecole-montsouris.fr

• Formation « Gestionnaire d’établissements médicaux et médico-sociaux » au Cnam (titre professionnel inscrit au RNCP niveau I).

Tél. : 01 40 27 22 12 - formation.cnam.fr

• Master 2 « Management des organisations sanitaires et sociales (Moss) », à l’université Paris 13. Effectué en 1 an ou 2 ans dans le cadre de la formation continue.

Université Paris 13 - Tél. : 01 48 38 89 22/19

• Formation de directeur des établissements de santé à l’Inseec. À noter : les infirmières peuvent préparer une 1re année de Master of Science (MSc) directeur des établissements de santé (bac + 4), pour intégrer ensuite la 2e année.

masters.inseec.com