« Au service de la qualité des soins » - L'Infirmière Magazine n° 380 du 01/03/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 380 du 01/03/2017

 

INTERVIEW
THOMAS SANNIÉ PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION FRANÇAISE DES HÉMOPHILES (AFH) ET REPRÉSENTANT DES USAGERS AU CONSEIL DE SURVEILLANCE DE L’ASSISTANCE PUBLIQUE – HÔPITAUX DE PARIS (AP-HP) DEPUIS 2007

DOSSIER

CAROLINE COQ-CHODORGE  

Acteur historique de la démocratie sanitaire(1), Thomas Sannié a dénoncé avec vigueur les dysfonctionnements de l’hôpital. Hémophile, il a été contaminé par les virus du sida et de l’hépatite C.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : L’usager a-t-il trouvé sa place dans le système de santé ?

THOMAS SANNIÉ : Le progrès est indéniable. La loi nous donne un rôle institutionnel qui, petit à petit, est reconnu par tous les acteurs. Bien sûr, il y a toujours des résistances. Certains estiment ainsi que nos deux grandes missions sont antinomiques : la défense des droits des patients et le travail collaboratif avec l’administration et les professionnels. Moi, je défends que ce sont les deux piliers d’un même engagement : le respect des droits des patients sert l’objectif d’amélioration de la qualité des soins. On trouve beaucoup de force dans cette complémentarité. L’affirmation des droits ne se fait pas contre les professionnels et l’administration, bien au contraire.

L’I.M. : En 2012, vous avez publié un livre(2) où vous dénonciez le non-respect des droits fondamentaux des malades. La situation s’est-elle améliorée ?

T.S. : Cela reste très professionnel-dépendant, c’est le principal écueil. Par exemple aux urgences, le sujet des temps d’attente reste éternel, mais les patients sont souvent mieux informés. Nous, usagers, avons tous des histoires édifiantes de dysfonctionnements. Ils existeront toujours, l’essentiel est qu’ils ne se transforment pas en catastrophes. Les erreurs doivent être admises et analysées. Depuis des années, nous disons que le nombre d’évènements déclarés n’est pas conforme à la réalité. Pour convaincre les professionnels de les déclarer, il ne faut pas qu’il y ait de sanction attachée, en dehors des cas de malveillances. Depuis l’affaire du sang contaminé, nous savons que nous ne pouvons pas laisser la question de la sécurité aux seuls professionnels de santé. Je l’affirme en tant que président de l’Association française des hémophiles. À l’AP-HP, depuis peu, nous avons instauré un rendez-vous trimestriel avec le président de la commission médicale d’établissement, pour améliorer les processus d’analyse des évènements indésirables graves et pour que les patients puissent faire entendre leurs questions et faire remonter toute information utile à la qualité et à la sécurité des soins.

L’I.M. : Vous travaillez à l’émergence et à la reconnaissance du « patient-expert ». Qui est-il ?

T.S. : Toutes les associations de patients font aujourd’hui en sorte que soit reconnu et entendu le savoir expérientiel des patients. À l’AFH, nous parlons de « patients-ressources », qui connaissent leur pathologie et qui reçoivent une formation pour pouvoir reformuler les discours soignants. Ils peuvent alors transmettre à leurs pairs des connaissances sur leur pathologie ou les parcours de santé, afin que les patients puissent gérer d’éventuels accidents de parcours en trouvant des ressources, notamment associatives, etc. L’AFH est très engagée dans l’éducation thérapeutique, un outil indispensable pour améliorer la prise en charge des maladies chroniques. Ces actions doivent être coconstruites et coanimées par des patients et des professionnels de santé. Il faut que les pouvoirs publics multiplient les appels d’offres sur des actions d’ETP, qui impliquent systématiquement des associations d’usagers.

L’I.M. : Comment les associations d’usagers peuvent-elles assurer leur indépendance vis-à-vis de leurs financeurs, en premier lieu l’industrie pharmaceutique ?

T.S. : La question de l’indépendance des associations ne se négocie pas, elle doit être garantie. Il faut des financements publics : des aides et des subventions, les cotisations des membres, des dons, des financements après appel d’offres, etc. L’indépendance, c’est aussi l’équilibre entre des financements publics et privés. Il est logique que l’industrie pharmaceutique, qui fait des bénéfices importants grâce à la socialisation du risque assuré par la Sécurité sociale, finance les associations. Mais il faut une diversité de financements privés pour ne pas être dépendant d’un seul laboratoire. L’AFH a des financements diversifiés. Nos prises de position prouvent notre indépendance : nous appelons, par exemple, à un appel d’offres national pour mettre en compétition les traitements de l’hémophilie afin d’obtenir une baisse de prix.

1- Thomas Sannié a occupé tous les rôles de représentation des usagers, au niveau national comme local. Il a présidé la Conférence régionale de santé et de l’autonomie de l’Île-de-France ; actuellement,il est membre du conseil de surveillance de l’Établissement français du sang, et de la commission de la transparence de la HAS.

2- Il est co-auteur de L’hôpital, un monde sans pitié, paru chez L’Éditeur en 2012.