Les RH, le parent pauvre - L'Infirmière Magazine n° 378 du 01/01/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 378 du 01/01/2017

 

HÔPITAL

DOSSIER

AURÉLIE VION  

Conditions de travail, gestion de carrière, absentéisme… Partagées entre les attentes des soignants et des impératifs économiques et organisationnels, les directions des ressources humaines sont prises entre deux feux.

La Fédération hospitalière de France a publié récemment la première édition d’un baro?mètre sur les enjeux RH(1). Les résultats sont instructifs. Ainsi apprend-t-on qu’à plus de 80 %, les directeurs des ressources humaines (DRH), directeurs d’affaires médicales (DAM) et directeurs d’établissements interrogés estiment que le climat social est bon voire très bon. Beaucoup craignent cependant des tensions dans les mois à venir, surtout pour le personnel non-médical (à 52 %). Mais ce chiffre – plus de 80 % ! – a de quoi surprendre dans le contexte actuel : « Cela traduit le parfait décalage qui existe et que l’on vit dans les rapports entre les représentants du personnel et la direction qui ne prend pas en compte l’ampleur de nos difficultés », considère Nathalie Depoire, présidente de la Coordination nationale infirmière (CNI). « Beaucoup d’infirmières se disent que les RH ne servent à rien, assure de son côté Thierry Amouroux, secrétaire général du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI). Quand on regarde ce qui s’est passé à l’AP-HP lors de la réforme sur le temps de travail et la systématisation de l’alternance matin et après-midi tous les 15 jours, on voit à quel point le personnel paramédical n’a pas été écouté. Les infirmières ont pris rendez-vous avec les services RH pour expliquer les difficultés que cela entraînait, notamment pour la garde d’enfants… On leur a répondu : “Vous n’avez qu’à trouver une deuxième nounou !” On n’a pas l’impression d’être sur une gestion RH du XXIe siècle ! »

Déconnectée des réalités ?

Ne pas se sentir écoutées, avoir le sentiment d’être des pions sur un échiquier… Telles sont souvent les réponses des infirmières quand on les interpelle sur leurs rapports avec leur RH, à l’image d’Audrey, IDE en Ehpad : « On ne sent pas d’écoute, on demande à ce que les collègues absentes soient remplacées, que le travail de nuit soit reconnu à sa juste valeur. Mais il ne se passe rien. On nous parle de bientraitance mais, dans nos rapports avec la hiérarchie, on a vraiment l’impression qu’il manque l’aspect humain. » Coralie, IDE en psychiatrie, ressent, elle, « une scission entre la sphère administrative et les agents de terrain. Dans mon service, nous sommes confrontés à des problématiques de sous-effectif et d’actes de violence. Nous alertons les cadres, mais rien ne change. C’est au-dessus que cela se joue. Et il y a très peu de réponses de la direction ». Exerçant au sein d’un CHU, Lucie, Ibode, est plus amère : « Il faudrait m’expliquer comment on peut alerter. Il faut d’abord passer par 42 cadres qui sont complètement déconnectés du terrain. Le personnel de direction n’a en tête que des préoccupations financières. » Laurent, qui exerce en unité de soins intensifs, le confirme : « On nous demande d’être polyvalents, de pouvoir remplacer les collègues, mais les compétences sont souvent ultra-pointues. On ne peut pas tout connaître, les gestes, le matériel… Avec de telles logiques, il ne faut pas s’étonner que le nombre d’erreurs augmente. On voit bien que c’est l’intérêt budgétaire qui prime, pas la qualité des soins. » La GRH hospitalière serait-elle à ce point déconnectée des réalités ? « Dire que le climat social est bon ne signifie pas que l’on ignore la charge de travail du terrain. Pour les DRH, le climat social recouvre le dialogue social que nous avons avec les partenaires sociaux et les DRH sont très mobilisés sur ces questions », indique Jean-Marie Barbot, président de l’Association pour le développement des ressources humaines des établissements sanitaires et sociaux (Adrhess). Mais la GRH ne se limite pas aux seules conditions de travail. Son champ de compétences est bien plus vaste. Il y a bien sûr l’étape du recrutement, la gestion de la paie, l’organisation et l’aménagement du temps de travail, les remplacements, l’absentéisme, la formation, la gestion de carrière et des retraites, la prévention des risques psychosociaux, le management et la gestion de projets qui supposent un rôle plus stratégique avec l’accompagnement au changement. Quant à l’organisation de la fonction RH, il n’y a pas de modèle type, elle varie selon les établisse?ments d’après une enquête menée par EHESP conseil(2), certains associant la retraite avec la gestion des carrières, d’autres avec la gestion du temps de travail, par exemple.

Organisation pyramidale

« La RH est l’affaire de tous », juge Robert Sarian, directeur du centre hospitalier Louis Brunet, à Allauch (13). Avant de reconnaître qu’il y a néanmoins beaucoup de progrès à faire dans le management à l’hôpital : « Nous fonctionnons de manière trop pyramidale, nous faisons beaucoup de réunions, mais les agents de terrain ont rarement l’occasion de s’y exprimer. Nous devons travailler davantage le circuit de l’information. Il me semble par exemple important que les agents connaissent le budget de leur service, sachent dans les grandes lignes le fonctionnement de la T2A, et soient informés des travaux menés dans le cadre de la mise en place des groupements hospitaliers de territoire (GHT). Il faut jouer la carte de la transparence et de la loyauté. » Pour prendre l’exemple des GHT, il est évident qu’entre exigence de polyvalence, mutualisations, rationalisation, mise en commun de fonctions ou transferts d’activités entre établissements, leur mise en place aura des répercussions sur la gouvernance, mais aussi sur le personnel.

Préoccupation n°1 : maîtriser la masse salariale

Reste que les contraintes économiques et budgétaires constituent un réel frein en matière de GRH. 92 % des sondés du baromètre FHF-Orbea considèrent que ces contraintes les incitent à faire évoluer leurs pratiques RH. Et la priorité des priorités, pour 80 % des répondants, consiste à maîtriser la masse salariale. Des impératifs budgétaires qui risquent d’être accentués en 2017, dernière année du plan triennal d’économies sur les dépenses d’assurance-maladie (2015-2017) qui devrait se traduire par un effort de plus de 3 milliards d’euros. « Les DRH sont tiraillés entre les injonctions contradictoires et les impératifs d’économie, reconnaît Jean-Marie Barbot. Il y a le modèle idéal de la GRH hospitalière qui devrait consacrer à parts égales un quart de son temps à l’expertise RH, un autre quart à l’organisation et la gestion du temps de travail, un autre au dialogue social et un dernier au management. Et la réalité… » Dans un tel contexte, les marges de manœuvre s’avèrent plutôt étroites.

En attendant, sur le terrain, les RH tentent de répondre aux problématiques locales. « En Île-de-France, l’éloignement du logement par rapport au lieu de travail constitue un enjeu fort, témoigne Maris-Cécile Mocellin, DRH au CH Sainte-Anne (75). Nous avions réalisé une étude pour conventionner avec des bailleurs sociaux afin de réserver des logements, mais cette solution coûtait trop cher, 70 000 € par logement. » Autre facteur de tensions : l’attractivité et la fidélisation. « Nous rencontrons une accélération du turn-over des professionnels, c’est une problématique difficile à gérer », pointe la DRH. Au CHU de Nîmes (30), la direction a mené tout un travail sur la gestion prévisionnelle des métiers et des compétences (GPMC) : « Nous avons réalisé un tableau des emplois très précis, service par service, unité par unité, métier par métier. Cela nous permet d’avoir une bonne vision de notre effectif et de faire des projections sur l’avenir pour savoir quels sont les besoins en terme d’embauches à venir », explique Marc Taillade, le DRH du CHU. Reste qu’à Nîmes comme ailleurs, il n’est pas toujours évident de rendre attractifs certains postes ou services. « Nous rencontrons des difficultés pour les postes de nuit, nous sommes obligés d’avoir des IDE qui tournent avec des horaires de jour et de nuit, confie Marc Taillade. Pour favoriser les mobilités intra-établissements, nous demanderont désormais une à deux fois par an les désirs en la matière. » Pour encourager la mobilité interne, les services RH des CH de Saint-Lô et Coutances (50) ont, eux, mis en place une sorte de bourse d’échanges : « Les agents peuvent tester un nouveau poste pendant six mois à un an pour vérifier qu’il leur convient, indique le DRH, Rémi Delekta. Notre objectif est que plus aucun agent reste plus de 10 ans dans le même service. » La démarche est trop encore trop récente pour en mesurer les effets.

Parmi les préoccupations des DRH figure aussi l’absentéisme (pour 39 % des répondants au baromètre FHF – Orbea). Paradoxalement, seuls 54 % affirment avoir instauré une politique de prévention en la matière. « Je suis très étonnée de ce résultat alors que c’est une problématique extrêmement importante. C’est une forme de négation de la souffrance au travail », commente Nathalie Depoire.

Secondes parties de carrière à la peine

Quant à la gestion des carrières et le développement des compétences, ces questions semblent passer au second plan. Les secondes parties de carrière ? Seuls un quart des DRH disent avoir mis en place des actions dédiées : une adaptation de postes (72 %) afin de prévenir les phénomènes d’usure, ou plus rarement d’un entretien (33 %). « Je ne vois pas beaucoup d’outils pour gérer les secondes parties de carrière, déplore Nathalie Depoire. Les infirmières développent pourtant une expertise. Il y a une réelle problématique aussi en termes de reconnaissance des compétences. Beaucoup d’IDE obtiennent des diplômes universitaires, mais trop souvent, les établissements n’ont font rien ! » Le président de l’Adrhess reconnaît qu’il y a là un vrai problème : « Hormis les spécialisations ou l’évolution vers la fonction de cadre, il n’existe pas de reconnaissance statutaire pour les infirmières ». « Au travers du baromètre, on voit bien le très fort niveau d’engagement des professionnels. Toutefois, les DRH ne disposent pas des outils pour le reconnaître, pointe Marie Houssel, responsable du pôle RH à la FHF. Nous aimerions que le mode de reconnaissance évolue. Le système de notation nous paraît archaïque. Comment reconnaître la motivation et l’implication des plus jeunes ? Nous proposons de s’aligner sur les autres fonctions publiques. » L’évaluation professionnelle basée sur un entretien a en effet remplacé la notation dans la fonction publique d’État et la fonction publique territoriale. C’est désormais l’évaluation qui est prise en compte pour l’avancement et la fixation du montant de certaines primes. Une piste qui permettrait peut-être de mieux prendre en compte l’investissement des infirmières.

1- Baromètre FHF – Obea des enjeux RH 2016, réalisé auprès de 274 DRH, directeurs des affaires médicales et directeurs d’établissements de santé et médico-sociaux, octobre 2016. Lire aussi L’Infirmière magazine de novembre 2016, p. 11.

2- Pierre-Alban Pillet, Paul Sauveplane, « Optimiser la fonction RH », Gestions hospitalières, n° 559, octobre 2016.