L’escarre infectée - L'Infirmière Magazine n° 378 du 01/01/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 378 du 01/01/2017

 

FORMATION

L’ESSENTIEL

A. L.  

Complication fréquente, l’escarre infectée peut aboutir à une bactériémie et un choc septique chez les patients les plus fragiles. Un suivi régulier s’impose pour l’éviter.

L’infection de l’escarre est une complication fréquente. Cependant, elle doit être différenciée de la colonisation. La colonisation habituelle de l’escarre fait partie du processus de détersion naturelle de la plaie. Toute plaie est colonisée avant d'être infectée, mais toute plaie colonisée ne fait pas une infection.

Contamination, colonisation et infection(1, 2, 3)

Comme la peau, les plaies chroniques, y compris l’escarre, hébergent la flore bactérienne résidente (ou flore commensale) et la flore bactérienne transitoire. C’est un ensemble de micro-organismes peu virulents qui vit naturellement et de façon habituelle à la surface de notre peau, participant à notre immunité en empêchant la prolifération des bactéries pathogènes. Avant l’infection, il existe différentes phases.

→ La phase de contamination est le transfert de bactéries vers l’hôte (le patient) par voie aérienne ou manuportée, mais également par voie endogène (cas par exemple des bactéries présentes dans le tube digestif qui migrent vers l’escarre du sacrum).

→ La phase de colonisation consiste en la multiplication de ces bactéries sans réponse du porteur, car il existe une sorte d’équilibre entre ces bactéries, la flore résidente et l’hôte.

→ Survient ensuite la phase de colonisation critique, pendant laquelle ces bactéries prolifèrent en entraînant une réponse locale et l’apparition des premiers signes locaux. Le passage de la simple colonisation à la colonisation critique se produit souvent lorsque cette flore habituelle est déséquilibrée (traitement antibiotique, utilisation locale d’antiseptique) ou que les défenses immunitaires de l’hôte diminuent (diabète, traitements immunodépresseurs ou immunosuppresseurs). Il en résulte une sélection des bactéries, généralement les plus pathogènes, qui peuvent alors proliférer.

L’évolution vers l’infection se fait par le développement des bactéries dans les tissus mous sous-jacents pouvant atteindre l’os. À partir de ce moment-là, les signes généraux apparaissaient avec une possibilité de bactériémie (présence de bactéries dans le sang).

Signes locaux et généraux(3)

→ Le diagnostic de la colonisation critique et de l’infection de l’escarre est avant tout clinique. Certains signes peuvent être identifiés facilement et doivent alerter le soignant :

- rougeur, chaleur et œdème de la peau périphérique ;

- modification de la couleur, de la quantité et de l’odeur des exsudats ;

- une escarre douloureuse.

→ Certains signes peuvent être plus discrets comme l’apparition d’un trajet fistuleux, un retard ou une stagnation de la cicatrisation, l’apparition de décollements, voire l’augmentation de la taille de l’escarre ou la réapparition de fibrine sur une escarre qui était bourgeonnante.

→ Enfin, tout contact osseux doit être considéré comme une ostéite potentielle(1, 3). De même, la mise à nu d’une articulation (notamment dans les escarres du trochanter) est une plaie à très haut risque infectieux.

L’escarre infectée peut entraîner les signes généraux d’une infection : hyperthermie, tachycardie, hypotension artérielle. Chez les patients les plus fragiles, l’escarre infectée non prise en charge peut aboutir à une bactériémie et un choc septique.

Comment faire les prélèvements bactériologiques ?

→ Les prélèvements bactériologiques ne doivent être faits que s’il existe des signes cliniques probants d’infection. En effet, ils ne servent pas à faire le diagnostic d’infection mais à orienter le médecin dans sa prescription grâce à l’antibiogramme. Ainsi, de la qualité du prélèvement bactériologique dépendra l’efficacité du traitement anti-infectieux.

→ Le prélèvement bactériologique local doit respecter certaines conditions sous peine d’avoir un résultat avec une multitude de bactéries provenant de la flore résidente et donc une analyse ininterprétable :

- le prélèvement local doit donc être fait après un nettoyage soigneux et une détersion minutieuse de la plaie afin d’éliminer les bactéries de la flore résidente. Le nettoyage de la plaie peut être fait avec un savon antiseptique ; un rinçage abondant sera alors nécessaire ;

- l’écouvillonnage de la plaie est peu précis. En revanche, le prélèvement de liquide (à l’aiguille à travers du tissu sain) ou la biopsie de tissu profond (tissu mou ou os) seront plus probants ;

- en cas de signes généraux, les hémocultures peuvent indiquer une bactériémie.

Prévention et traitement

« C’est bien entendu à partir de la contamination puis de la colonisation des micro-organismes que se développent les infections. Ceci est à la base des pratiques de soins destinées à limiter cette contamination massive par la détersion »(3). Cette notion, que l’on peut lire dans la conférence de consensus sur la prévention et le traitement de l’escarre, résume bien les mesures de prévention de l’escarre infectée.

Ainsi, en dehors de toute infection confirmée, le soin d’escarre doit être fait dans le respect des règles d’hygiène et d’asepsie pour éviter une contamination de la plaie. Cependant, il est également nécessaire de respecter la flore résidente de la plaie qui participe à sa détersion. Ainsi, l’utilisation des antiseptiques, qui sélectionne les germes et déséquilibre cette flore, est à proscrire. Il en est de même pour l’utilisation des antibiotiques locaux(1). La détersion des tissus nécrotiques et fibrineux et la maîtrise des exsudats (par l’utilisation de pansements plus ou moins absorbants) contribuent également à la prévention de l’infection.

Le traitement local de l’escarre au stade de colonisation critique ou d’infection consiste au renouvellement du pansement quotidien accompagné par une détersion minutieuse et rapide des tissus nécrosés, lieu de prédilection de prolifération bactérienne. L’utilisation d’antiseptiques ou d’antibiotiques locaux n’est pas indiquée. Une prise en charge chirurgicale peut alors être nécessaire si la détersion au lit du patient est difficile. Il n’existe aucune recommandation officielle (4) pour l’utilisation d’un pansement.

Un traitement par voie générale pourra être instauré par le médecin, notamment en cas de signes généraux et d’ostéite.

1 - CClin/Arlin, Traitement anti-infectieux des escarres. Octobre 2010 (bit.ly/2gFiqmk).

2 - Définition des termes et sigles utilisés en hygiène hospitalière et en infectiologie. Consultable en ligne : http://www. cclinparisnord.org/Usagers/lexique/LexDream.htm

3 - Anaes, Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé. Prévention et traitement des escarres de l’adulte et du sujet âgé. Conférence de consensus, novembre 2001, (bit.ly/2gFjnfJ).

4 - HAS, Haute Autorité de santé. Fiche de bon usage des technologies médicales : les pansements : indications et utilisations recommandées. Avril 2011 (bit.ly/1UchXYJ).

LÉGISLATION

Prérogatives infirmières

→ La prévention, l’identification des risques et les soins de l’escarre font partie du rôle propre infirmier. En effet, l’article R. 4311-5 du code de santé publique (CSP) énonce que « dans le cadre de son rôle propre, l’infirmier ou l’infirmière accomplit les actes ou dispense les soins suivants […] », parmi lesquels la prévention et soins d’escarres, à l’alinéa 22 (voir aussi les al. 1°, 2°, 12°, 19°, 20°, 21°).

→ Selon l’article R. 4311-2 du CSP, « les soins infirmiers, préventifs, curatifs ou palliatifs, […] sont réalisés en tenant compte de l’évolution des sciences et des techniques », ce qui induit une nécessité de formation régulière des soignants.

→ Un arrêté du 20 mars 2012 introduit le droit de prescription des infirmières : pansements non médicamenteux, certains supports (matelas ou coussins) d’aide à la prévention d’escarre… Ce droit permet à l’IDE de gagner en autonomie dans la gestion de la plaie, à la condition d’avoir reçu les formations nécessaires, mais ne dispense pas du travail en équipe (médecin, chirurgien, ergothérapeute, diététicien, aide-soignante…)

→ Selon l’article R. 4311-4 du CSP, l’infirmier ou l’infirmière peut sous sa responsabilité déléguer aux aides-soignantes, dans la limite de leur qualification, les actes de prévention d’escarre (y compris l’identification des facteurs de risque). Toutefois, les soins de l’escarre (traitement et pansement), bien qu’ils relèvent de son rôle propre, font partie du champ de compétences exclusif de l’IDE.

Voir aussi les textes officiels dans Savoir +, p. 54