DES DROITS… ET DES OBLIGATIONS - L'Infirmière Magazine n° 378 du 01/01/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 378 du 01/01/2017

 

CODE DE DÉONTOLOGIE

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Françoise Vlaemÿnck  

Toutes les professions réglementées ont leur code de déontologie. Et la profession infirmière ne fait plus exception à la règle depuis novembre dernier. Décryptage de ses grands principes avec Yves Lachaud, spécialiste du droit des professions de santé.

Après une gestation de près de six ans, et tel le divin enfant, le code de déontologie des infirmiers est paru. Né aux forceps – le Conseil d’État avait, en mars 2015, mis en demeure le gouvernement de publier le texte sous peine d’amende –, c’est donc par décret que le Premier ministre a signé son acte de naissance dans le Journal officiel du 27 novembre dernier. Depuis, comme le prévoit son article R. 4312-1, le code s’impose à toutes les infirmières, quels que soient leur mode et lieu d’exercice – y compris aux étudiants en soins infirmiers – et qu’elles soient ou non inscrites au tableau de l’ordre. Par ailleurs, comme le note l’Ordre national des infirmiers (ONI) « le fait que le code de déontologie soit publié sous forme de décret lui confère une valeur réglementaire qui le rend opposable à tous […] » Par opposable, on entend que le code ne peut être méconnu par les tiers et qu’ils doivent en subir les effets et les respecter.

Plus d’autonomie

De fait, le code déontologique remplace les règles professionnelles, inchangées depuis 1993. Pour autant, le texte ne renverse pas la table. « Le code de déontologie donne de la cohérence et renforce des éléments qui existaient déjà dans les règles professionnelles et devoirs généraux des infirmières. Il reprend également plusieurs dispositions éthiques du code déontologique des médecins comme le consentement aux soins, le secret professionnel ou l’interdiction de pratiquer l’euthanasie. En revanche, il encadre davantage et complète les relations entre infirmières libérales, les relations entre les infirmières et les patients et celles avec leurs différentes tutelles », explique Yves Lachaud.

Pour l’avocat, le point fort du code est qu’il érige la profession infirmière en profession à part entière et conforte son indépendance en rappelant l’autonomie des infirmières dans leurs actes ; quand l’ONI estime que c’est un élément qui contribue « à souder, à rassembler et à renforcer l’identité [de la profession] ». Charpenté autour de quelque 90 articles, le texte organise notamment les devoirs généraux des infirmières, les devoirs envers les patients, les devoirs entre confrères et membres des autres professions de santé et les modalités d’exercice de la profession. Toutes les professions réglementées ont leur code de déontologie. Et chaque ordre professionnel, en l’occurrence l’ONI, est chargé de veiller à son application. « L’existence d’un ordre permet à une profession de se gérer elle-même, de gérer sa discipline et ses pratiques professionnelles. Il est toujours plus souhaitable de régler des problèmes dans un cadre disciplinaire plutôt que pénal », indique l’avocat. Dans ce dernier champ et sur le fondement de l’indépendance des juridictions, l’ONI aura la capacité de prendre des sanctions spécifiques. « Certains manquements ne sont pas pénalement répréhensibles mais au plan déontologique », poursuit l’avocat. En l’espèce, l’Ordre pourrait, par exemple, prononcer une interdiction temporaire ou définitive d’exercer alors qu’un jugement ne prévoirait pas cette sanction. « Dans les faits, il est plutôt rare que les peines s’additionnent même si cela c’est déjà produit », ajoute Yves Lachaud.

Comme les médecins, les infirmières devront, elles aussi, prêter serment au code de déontologie. « C’est une solennité supplémentaire qui renforce l’engagement des infirmières quant aux devoirs qui leur incombent et qui consolident les dispositions qui les protègent. Toutefois, ne pas formellemen, prêter serment ne veut pas dire qu’on peut échapper aux obligations du code, car elles restent applicables à toutes », indique l’avocat.

S’agissant de l’article R. 4312-32 qui prévoit qu’une infirmière « ne doit pas exercer sa profession dans des conditions qui puissent compromettre son indépendance, la qualité des soins ou la sécurité des personnes prises en charge », l’avocat n’y voit pas un outil pouvant permettre de contraindre automatiquement les employeurs à améliorer les conditions de travail comme l’avancent aujourd’hui certains syndicats. « Il faut apprécier cet article comme un levier de négociations pour les infirmières salariées », note l’avocat. Ainsi, il paraîtrait difficile qu’une infirmière puisse « défier » son employeur en arguant de ce seul article du code.

Un avant, un après

Une partie de l’article 4312-50, qui a fait déjà couler beaucoup d’encre depuis la parution du code, interdit quant à lui à un professionnel « agissant à titre privé sous couvert d’un pseudonyme, et quel que soit le moyen de communication utilisé, d’arguer de sa qualité de professionnel sans dévoiler son identité ». « Je ne sais pas ce qui motive cet article. Y-a-t-il eu des dérives et existe-t-il une volonté de l’Ordre d’y couper court ou est-ce une formule un peu générale ? », s’interroge l’avocat. Mais une lecture à la lettre de cette disposition pourrait laisser penser que des infirmières qui échangeraient, par exemple, sur tout le bien qu’elles pensent de l’ONI tomberaient sous le coup de cet article. À voir, sachant que la liberté d’expression pourrait aussi se heurter à cet interdit et qu’à ce petit jeu, les pro-ordre, également très actifs sur les réseaux, seraient aussi visés…

D’une certaine manière, la parution du code marque un avant et un après pour la profession infirmière. « Au regard du rôle très important que les infirmières jouent dans la société et dans le système de santé, le code exprime la volonté de doter cette profession d’un vrai statut avec des obligations qui sont le corolaire de cette reconnaissance sociale. On peut aussi y lire la volonté de l’État de déléguer aux instances ordinales un “pouvoir de police” disciplinaire », estime l’avocat. Et de conclure : « Ce nouveau “droit déontologique” exige une forte implication des infirmières dans la vie et la gestion de leur ordre. »

Une gestion dont la rigueur et l’efficacité n’ont pas toujours été au rendez-vous… Rappelons que quelque 400 000 professionnelles sur les plus de 600 000 que compte la profession ne sont toujours pas inscrites à l’ONI.

3 POINTS DE VUE

Thierry Amouroux, secrétaire général Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI CFE-CGC)

« Une arme au service de la profession »

« Le code de déontologie, qui s’inscrit dans le processus de professionnalisation et de reconnaissance des compétences, n’est ni une recommandation, ni une note de service, c’est un décret du conseil d’État signé par le Premier ministre et qui, désormais, s’impose à toutes les infirmières. De fait, les infirmières ne sont plus des salariées comme les autres, mais des professionnelles de santé à part entière. Avec ce texte, et de la même façon qu’un fonctionnaire n’a pas à obéir à un ordre illégal, les infirmières pourront, par exemple, intervenir auprès des directions de leur établissement – sachant que le pouvoir et l’autorité d’un directeur d’établissement sont limités par les articles du code – pour refuser de travailler si elles jugent que les conditions de qualité et de sécurité de prise en charge sont insuffisantes au regard de leur charge de travail et du nombre de patients. Dès maintenant, nous allons assurer la publicité de ce texte sur le terrain pour que les infirmières s’en emparent comme d’une arme au service de la profession. »

Brigitte Ludwig, présidente de l’Union nationale des associations d’infirmiers de bloc opératoire diplômés d’État (Unaibode)

« Faire respecter les actes exclusifs »

« L’Unaibode a toujours soutenu le projet de création de l’ordre infirmier. Aujourd’hui, la publication du code de déontologie, que nous attendions depuis plusieurs années, marque une étape importante dans l’autonomie de notre profession et la reconnaissance de nos compétences. Plusieurs points permettent de voir cette évolution. On peut citer par exemple le consentement aux soins qui concernent dorénavant les actes infirmiers et plus seulement les actes médicaux ou encore la possibilité pour toutes les infirmières de promouvoir la recherche dans le champ infirmier. S’agissant des Ibode, je note aussi que l’article R. 4312-10 va permettre de mieux faire respecter les actes exclusifs attachés à leurs missions puisqu’il stipule qu’une infirmière ne peut, « sauf circonstances exceptionnelles, entreprendre ou poursuivre des soins dans des domaines qui dépassent ses connaissances, son expérience, ses compétences ou les moyens dont elle dispose ». »

Annick Picard, UFMICT-CGT, fédération santé et action social

« Une emprise morale sur la profession »

« La publication du code déontologique n’augure rien de bon pour la profession qui, dans sa grande majorité d’ailleurs, ne se reconnaît pas dans cette instance dirigée par un retraité et des cadres.

Certes, nos règles professionnelles étaient obsolètes mais cela fait des années que nous demandions leur révision, or on les a laissés pourrir en attendant que le code paraisse. Le ministère de la Santé délègue à une instance privée des missions de service public en se défaussant toujours davantage. Et la loi de santé a renforcé la mainmise de l’Ordre sur les infirmières, notamment en matière de contrôle de la formation DPC et de la transmission par les établissements des noms des salariées à cette instance – article que l’intersyndicale conteste actuellement devant le conseil d’État. Le code de déontologie va exercer une emprise morale sur notre profession alors qu’elle disposait déjà d’instances de régulation via les commissions administratives paritaires pour le public et les prud’hommes pour le privé. »