Ces accros aux addicts - L'Infirmière Magazine n° 378 du 01/01/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 378 du 01/01/2017

 

INFIRMIÈRE EN CSAPA

CARRIÈRE

PARCOURS

FLORENCE RAYNAL  

Aider les personnes aux conduites addictives à accéder aux soins ou à réduire leur consommation, tel est le quotidien des IDE en Csapa. Une démarche qui repose sur le respect de la volonté des patients et le non-jugement.

Au départ marginale, la présence des infirmières en centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) n’a cessé de s’accroître depuis l’arrivée des traitements de substitution aux opiacés (TSO). Si la plupart de ces structures sont rattachées à une association, d’autres dépendent d’un hôpital. Tandis que leur vocation première est de prendre en charge des personnes en difficulté avec une addiction, les services varient en fonction de l’histoire des Csapa, de leur territoire et des dispositifs locaux existants (voir encadré p. 57). Mais partout « il s’agit [pour l’IDE ] de travailler à partir de la demande de la personne, de l’accompagner, de la soutenir dans son choix, sans jugement », résume Stéphanie Daubié, infirmière au Csapa La Croisée, de l’Adsea, à Épinal (88).

Au Csapa de l’hôpital de la Croix-Rousse, à Lyon (69), par exemple, les IDE ont une mission d’accueil et de consultation. Les usagers, ou l’entourage d’un proche souffrant d’addiction, « viennent la première fois pour un entretien infirmier. Avec le patient, nous faisons le point et évoquons sa prise en charge. S’il y a lieu, nous organisons des rendez-vous avec un médecin, un psychologue… Mais si la demande entre dans nos compétences, nous assurons directement le suivi », explique Frédéric Buathier, IDE. Un à deux entretiens sont en général prévus pour évaluer la demande de l’usager, sa situation, ses besoins (mise sous TSO, sevrage, aide à la diminution…).

Le suivi des patients sous traitement est également dévolu aux infirmières ; c’est l’un de leur rôle majeur dans les Csapa. Dans certains centres, la prescription de TSO est réalisée, mais pas la délivrance. Lorsqu’elle est assurée, une fois la posologie établie par le médecin, les infirmières prennent le relais. « Concernant la méthadone, nous expliquons le protocole, effectuons les analyses d’urine préalables, puis quand la personne entame son traitement, nous la recevons tous les jours durant 2 à 3 semaines », relate Fabienne Decock, infirmière au Csapa Kairn 71, du SDIT, à Chalon-sur-Saône (71). Durant la phase d’initialisation, les IDE cherchent à créer l’alliance thérapeutique avec l’usager et affinent le projet. « Il faut tisser la confiance. Le patient doit pouvoir nous dire s’il reprend des produits pour aller vers le bon dosage », poursuit-elle. Dans certains centres, comme au Csapa de l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (Anpaa) 63 à Clermont-Ferrand, un protocole permet aux IDE de « réajuster dans certains cas la posologie sans redemander au médecin », précise Marie-Hélène Autant-Parcot, infirmière. Une fois les patients stabilisés, s’ils ont des droits ouverts, un relais est instauré avec les officines de ville.

SOUTENIR LA MOTIVATION

Les IDE sont aussi confrontées à des usagers de stimulants –  cocaïne, crack… – pour lesquels il n’existe pas de traitements de substitution. « Pour la cocaïne, nous effectuons beaucoup d’entretiens autour du craving, cette envie irrépressible de consommer », détaille Charlotte Lécot, infirmière au Csapa Charonne à Paris (lire p. 59). À Lyon, « le protocole comprend une consultation infirmière serrée. Au début, nous voyons les personnes trois fois par semaine. Nous évaluons le craving et proposons des exercices comportementaux, en lien avec le psychologue, le médecin », témoigne Frédéric Buathier.

L’alcool étant « le produit le plus cité comme posant le plus de problèmes », note l’Office français des drogues et des toxicomanies (OFDT)(1), c’est un sujet qui revient souvent dans les Csapa, d’autant que la plupart des usagers sont polyconsommateurs. Selon les centres, les infirmières vont participer au suivi du patient lors d’un sevrage en ambulatoire, organiser son hospitalisation, monter un dossier de post-cure, ou le soutenir dans une démarche d’abstinence ou de réduction des risques (RDR). « C’est au cas par cas. Si la personne désire juste diminuer, on la conseille, on l’accompagne dans son quotidien : alimentation, sommeil, prise de médicaments… », pointe Sabrina Carta, infirmière au Csapa de l’Anpaa 33, à Bordeaux.

Quel que soit le produit, les IDE font de l’éducation thérapeutique, mènent des entretiens autour de l’observance des traitements, de la gestion ou de l’arrêt des consommations. « Certains usagers sont dépendants, d’autres sont des consommateurs occasionnels, et ce, de produits très divers. Il faut donc adapter la réponse. Certains sont dans des usages festifs, mais néanmoins problématiques : bagarres, conduite de véhicule… On travaille la motivation », poursuit-elle. Au Csapa Anpaa 64 addictions Pays basque, à Anglet, Brice Mallet effectue ainsi du soutien psychologique : « Je fais de l’aide à la résolution de problèmes ou au changement, qu’il s’agisse d’addiction avec ou sans produit… » Dans certains Csapa, les infirmières sont ainsi parfois impliquées dans le suivi des personnes ayant une addiction au jeu, à Internet, aux achats compulsifs… À Lyon, où le Csapa ne s’occupe que des produits illicites – sauf polyconsommations – et des addictions sans substance, Frédéric Buathier, qui termine un DU de sexologie, se voit orienter les patients addicts au sexe. « Il s’agit de travailler sur les mécanismes ayant permis à l’addiction de s’installer et sur des stratégies de détournement de ces comportements », précise-t-il.

LE PATIENT, UNE PERSONNE D’ABORD

En Csapa, le patient n’est pas réduit à son addiction. « On essaie de considérer la personne au-delà de ses consommations, de l’inciter à prendre soin d’elle, on recherche les situations lui posant problème et les leviers à activer », résume Marie-Hélène Autant-Parcot. D’où le travail en pluridisciplinarité. « On prend en compte la personne dans sa globalité, car tout est lié et on a régulièrement des réunions d’équipe », se réjouit Stéphanie Daubié, qui a beaucoup développé l’accompagnement à la santé. Celle-ci étant souvent très dégradée, les infirmières réalisent en interne des bilans de santé ou font le lien avec des services extérieurs. Elles effectuent parfois elles-mêmes des bilans sanguins. « Quand les gens ont une couverture médicale, on l’utilise pour favoriser leur autonomie, mais si aller dans un labo est un obstacle, on s’en charge. Ce public est fragile, souffre d’anxiétés sociales, est victime de mauvais jugements… », constate Marie-Hélène Autant-Parcot. Pour faciliter les examens sanguins et l’accès aux soins, face à des patients au capital veineux abîmé, des IDE pratiquent des prélèvements dans la veine jugulaire. D’autres optent pour le prélèvement coopératif. « On propose à l’usager, qui se connaît bien, de nous indiquer quelle veine piquer ou on le laisse se piquer lui-même, cela se négocie entre nous », poursuit-elle.

La mise à jour des vaccinations est proposée tout comme le dépistage du VIH et des hépatites, et maintes infirmières se forment aux tests rapides d’orientation diagnostique (Trod). Les tests permettent « d’évoquer la question des prises de risque en termes de consommation, mais aussi au plan sexuel », observe Charlotte Lécot. En cas de sérologie positive, les IDE peuvent se charger du suivi des traitements initialisés par les médecins du centre. Côté RDR, « on propose du matériel stérile, des pipes à crack…, on donne des conseils d’injection. On ne peut pas voir des abcès énormes et se taire », souligne Frédéric Buathier. « Il nous arrive même d’initialiser un TSO tout en donnant des seringues, car on sait que tous n’arrêteront pas d’un coup. La RDR permet de mieux comprendre les difficultés des personnes et de les remobiliser », assure Marie-Hélène Autant-Parcot.

LIER DEDANS ET DEHORS

Pour fluidifier les relations avec l’extérieur, les infirmières mènent un gros travail de réseau avec leurs homologues libérales, les médecins de ville, les pharmaciens… et montent divers partenariats avec des services hospitaliers, des centres de santé, de post-cure, des associations… Elles accompagnent aussi des patients à leurs rendez-vous pour faire tomber les préjugés : « Dire qu’il faut des soins dentaires ne suffit pas ! Souvent, ils ont été échaudés par l’accueil de professionnels de santé, remarque Stéphanie Daubié. Établir la confiance des deux côtés est primordial. C’est un travail long mais essentiel, car prendre soin de leur corps peut leur permettre de regagner de l’estime de soi. » L’accompagnement est aussi très utile avec les femmes enceintes. « Je leur téléphone, leur rends visite à domicile, je fais le lien avec la sage-femme, je vais parfois avec elles aux consultations pour les rassurer… Il y a tout un travail à mener par rapport au syndrome de manque, à la relation mère-enfant. Cela prend du temps, mais l’enjeu est de taille », commente Fabienne Decock.

Des IDE sortent aussi de leur structure pour visiter des patients hospitalisés ou quand leur Csapa dispose de consultations de proximité : en territoire rural, en centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud), en point d’accueil de jour, en foyer, etc., afin d’établir le contact avec d’autres publics, d’effectuer de la prévention ou du dépistage, de soutenir les équipes ou les former au repérage précoce. Selon l’OFDT, la moitié des Csapa interviennent également en prison. Certains Csapa disposent aussi d’une consultation jeunes consommateurs : « Beaucoup de jeunes nous sont adressés par la justice suite à une arrestation pour usage de cannabis. D’autres viennent d’eux même ou poussés par leur entourage. Nous faisons le point sur leur situation au sens large et leur proposons nos services », résume-Sabrina Carta. La justice adresse aussi aux Csapa des personnes en obligation de soins. Pour eux, travailler la motivation se révèle essentiel, d’autant que certains sont dans le déni.

Des infirmières montent également des ateliers thérapeutiques. Marie-Hélène Autant-Parcot anime ainsi un groupe d’affirmation de soi avec une psychologue ; Brice Mallet, qui participe avec un éducateur à un atelier « marche » pour aider des patients à réapprivoiser des sensations corporelles, a, lui, créé un atelier chant. Précarité et souffrance psychique

Le travail infirmier en Csapa n’est pas de tout repos. Tout d’abord, il y a le manque de relais de la médecine de ville qui laisse les professionnels face à d’importantes files actives. Ensuite, le public reçu n’est pas toujours demandeur de tout ce que peut proposer le Csapa. « On est confrontés à des gens dans une situation très problématique, mais qui n’ont pas envie de l’entendre ; ce n’est pas toujours facile à gérer. De plus, on se retrouve face à la souffrance psychique sans réponse toute faite à apporter, ce peut être éprouvant », relève Sabrina Carta. Cela suppose d’être « en capacité de prendre de la distance », analyse Frédéric Buathier. Les rechutes font aussi partie du parcours. « Dans l’addiction, on n’est jamais certain que le patient sera guéri. On lui explique d’ailleurs que, s’il rechute, on ne sera pas déçu, qu’il peut revenir sans honte », observe Fabienne Decock. La masse de travail se révèle parfois lourde faute de personnels suffisants et du fait de l’accroissement des difficultés du public : désocialisation, errance, troubles psys… « Souvent, le problème principal est la maladie psychiatrique ; la toxicomanie ou l’alcoolisme n’en sont que des symptômes. Mais la psychiatrie est débordée et nous, nous ne sommes pas assez dotés en psychiatres pour répondre à cela », déplore-t-elle. Des débordements peuvent aussi parfois se produire et les équipes se retrouver face à l’agressivité voire la violence.

Entre tolérance et fermeté

Exercer en Csapa suppose certaines qualités. Premières règles : la bienveillance, l’empathie, l’absence de jugement, la patience. Il faut pouvoir rester tolérant tout en étant cadrant, être bien dans sa peau et savoir dire non, ne pas être rigide, mais savoir résister face aux tentatives de « manipulation ». « Il ne faut pas craindre l’échec. Et ne pas se voir comme l’infirmière qui va sauver le monde ! », insiste Stéphanie Daubié. Savoir rester à sa place donc, redonner confiance, chercher les ressources des individus. « On aide les gens à s’aider eux-mêmes », restitue Brice Mallet. L’écoute, le relationnel sont de fait au cœur de l’exercice infirmier. Pour autant, des savoirs solides sont utiles (voir encadré ci-contre).

Côté conditions de travail, les salaires restent en général peu alléchants. « J’ai fait une belle chute à mon arrivée de l’hôpital. La motivation n’est pas à chercher de ce côté ! », lance Marie-Hélène Autant-Parcot. Les IDE en Csapa hospitalier maintiennent en revanche les avantages des fonctionnaires. La perte de rémunération découle en partie du fait que les IDE n’exercent ni les week-ends, ni les jours fériés, ni en horaires décalés. Mais la convention collective 66, qui s’applique aux établissements du secteur médico-social, leur offre 9 jours de plus de congés par an. « J’ai une petite paye, mais avec les RTT, je bénéficie de 9 semaines de congés et j’ai beaucoup gagné en qualité de vie », poursuit-elle.

En outre, les infirmières disent trouver en Csapa la dimension humaine qu’elles regrettent ne plus trouver parfois ailleurs. Plus intéressées par le relationnel que par les soins techniques, elles apprécient de pouvoir aborder la personne dans sa globalité et la suivre dans la durée, de travailler en pluridisciplinarité au sein d’une équipe où leur voix compte, d’avoir des contacts avec l’extérieur et de l’autonomie. « En Csapa, l’IDE peut exprimer sa personnalité, assure Brice Mallet. Et est amenée régulièrement à se remettre en question, c’est dynamisant. »

1- « Les personnes accueillies dans les Csapa – Situation en 2014 et évolution depuis 2007 », Tendances n° 110, OFDT, juin 2016.

PRISE EN CHARGE

Un dispositif diversifié

Structures à caractère médico-social, les 430 Csapa qui maillent le territoire ont pour mission obligatoire et gratuite l’accueil, l’information, l’évaluation, l’orientation et le suivi des personnes en difficulté avec une addiction(1). Issus du regroupement des centres de soins spécialisés en toxicomanie ou en alcoologie, les Csapa peuvent conserver en partie leur précédente spécialisation, mais 60 % se déclarent généralistes. Ils se sont aussi vu attribuer des missions facultatives : consultations de proximité et repérage précoce des usages nocifs, prise en charge des addictions sans substance, intervention auprès des détenus ou sortants de prison, prévention, formation, recherche. Enfin, les Csapa fonctionnent en majorité en ambulatoire, plus rarement avec hébergement ou les deux.

1- Décret n° 2007-877 du 14 mai 2007.

EXERCICE

Enrichir sa pratique

Aucun diplôme spécifique n’est requis pour exercer en Csapa. Toutefois de bonnes connaissances en matière de dépendance, de traitements, de réduction des risques, de psychiatrie, d’hépatologie, de gastro-entérologie… sont utiles. Nombre d’IDE ont passé un DU d’addictologie et se forment régulièrement : à la relation d’aide, la gestion des émotions, l’entretien motivationnel, la relaxation, la tabacologie… en suivant des modules proposés par exemple par la Fédération addiction(1) ou l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie(2), en interne auprès de collègues ou encore lors de colloques. Certaines ont aussi choisi d’améliorer leur pratique par un DU ou DIU en sexologie, TCC…

1- Fédération addiction : www.federationaddiction.fr Tél. : 01 43 43 72 38.

2- Anpaa : www.anpaa.asso.fr Tél. : 01 42 33 51 04.