Faire face aux urgences en milieu de travail - L'Infirmière Magazine n° 377 du 01/12/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 377 du 01/12/2016

 

FORMATION

ORGANISATION

ANNE-GAËLLE MOULUN  

la prise en charge de l’urgence peut différer selon la taille et le type d’entreprise. Lorsqu’elle compte un service autonome de santé, le rôle de l’IDE est alors central dans la chaîne de l’urgence, depuis son déclenchement jusqu’au suivi du patient.

Dans le monde de l’entreprise, la responsabilité de l’organisation des secours incombe au chef d’entreprise. Le code du travail impose la présence d’une infirmière pour 200 à 800 salariés dans l’industrie et pour 500 à 1 000 salariés dans le tertiaire. Ensuite, il faut une infirmière supplémentaire par tranche de 600 salariés dans l’industrie et une de plus par tranche de 1 000 salariés dans le tertiaire (voir p. 43). Sur le terrain, les moyens déployés diffèrent selon le profil de l’entreprise. Pour le Pr Alexis D’Escatha, médecin urgentiste au CHU Poincaré à Garches (92), « le facteur taille existe, mais ce n’est pas forcément le plus important. Une petite entreprise avec des risques bien identifiés aura probablement intérêt à développer un service interne de santé au travail ». Et d’insister sur l’importance de la prévention : « Les professionnels de santé au travail ont d’abord un rôle préventif. Ensuite, ils doivent essayer d’organiser la prise en charge des urgences quand le médecin n’est pas là. »

Dans cet exercice, l’infirmière de santé au travail joue un rôle central. En effet, la pénurie de médecins du travail permet de donner « davantage de délégation de compétences aux infirmières. Le suivi et la prise en charge des urgences sont de plus en plus souvent accomplis par ces dernières. Et le médecin leur délègue souvent l’organisation en amont du parcours d’urgence. Elles ont un rôle de prévention et un rôle de soin », affirme le Dr Michel Baer, ancien directeur du Samu des Hauts-de-Seine.

1. TENIR COMPTE DU CONTEXTE DE L’ENTREPRISE

Première recommandation : « Quelle que soit la taille de l’entreprise, il doit y avoir un minimum de consignes sur la prise en charge de l’urgence. Ça peut être aussi simple que : en cas d’urgence appelez le 15, explique le Pr Alexis D’Escatha. Ensuite, en fonction des risques et en fonction du contexte, le chef d’établissement doit réfléchir à avoir une organisation cohérente avec la prise en charge d’une urgence éventuelle. Dans un premier temps, il doit pouvoir la prévenir et, dans un second temps, savoir que faire si elle arrive. Pour cela, il doit demander conseil à son service de santé au travail, qu’il soit inter-entreprise ou intra-entreprise. »

Un circuit cohérent

Jocelyne Warnesson, infirmière à la Monnaie de Paris, explique que dans son entreprise, elle est appelée tout de suite en cas d’urgence. « Les salariés qui sont formés donnent l’alerte grâce à un numéro spécial en interne : ils font le 12 et l’appel tombe directement chez moi. Et si je ne suis pas là ou si je ne réponds pas au bout de deux sonneries, l’appel est transféré immédiatement au PC sécurité. » Elle saisit alors sa mallette d’urgence et se rend sur les lieux. « Je préviens le PC sécurité, qui appelle les pompiers ou le Samu selon les cas. Les pompiers étant à côté de nous, on les appelle en priorité. Mais si j’ai une personne allongée dans mon infirmerie et que j’ai pris ses constantes, je peux appeler, selon la gravité de l’état du patient, le Samu », explique-t-elle.

Dans le cas d’une entreprise qui comprend plusieurs sites avec une seule infirmerie par exemple, « il faut organiser le parcours de soins en conséquence, et déterminer si l’infirmière se déplace ou si on lui amène le patient. Le circuit doit être cohérent. Et il faut aussi penser à la gestion du matériel : brancard, chaise roulante, ainsi que les personnes qui savent s’en servir », explique le Dr Michel Baer.

S’appuyer sur des sauveteurs secouristes au travail formés

Lorsque l’urgence survient, les infirmières peuvent s’appuyer sur les secouristes et notamment sur les sauveteurs secouristes au travail (SST). « Au niveau des ateliers à risque, le SST est le premier maillon de la chaîne d’urgence », explique le Pr D’Escatha. Impliqués dans la gestion de l’urgence, les salariés reçoivent nécessairement une formation. « On apprend aux salariés à protéger la zone, à éviter de laisser les gens se rassembler, explique Nadine Rauch, infirmière de santé au travail et présidente du Groupement des infirmièr (e) s du travail (GIT). On leur explique comment appeler les secours, ce qu’on doit dire, notamment donner le nom de la personne et indiquer l’endroit précis de l’accident. Dans la panique, on oublie souvent de donner le lieu. On leur rappelle encore qu’il ne faut jamais raccrocher le premier, mais plutôt attendre que les secours leur disent de raccrocher. Enfin, on demande que quelqu’un aille au-devant des secouristes pour les accompagner sur le lieu où se trouve la victime. »

Ensuite, l’infirmière agit en se basant sur ses compétences et, au besoin, sur le protocole élaboré par le médecin du travail.

2. RÉDIGER DES PROTOCOLES EN ÉQUIPE

Chaque entreprise doit développer ses propres protocoles en fonction de ses risques et de son environnement. « Le protocole n’est pas le même entre une entreprise qui est à 5 minutes de l’hôpital, et une autre qui est à 2 heures. De même, certaines entreprises vont plutôt l’axer sur les risques d’intoxication, d’autre sur les risques traumatologiques, ou respiratoires, etc. », détaille le Pr D’Escatha.

« On en a surtout pour les urgences vitales : arrêt cardiaque, crise d’asthme aiguë, choc anaphylactique, crise convulsive, etc. Je ne prends pas le risque d’injecter un médicament sans conseil du médecin régulateur du Samu », témoigne Nadine Rauch. Pour les urgences non vitales, l’infirmière agit en fonction du protocole et avec son expérience et ses compétences. « Par exemple, pour un salarié qui vient avec un doigt coupé, je fais un pansement compressif, j’examine la profondeur de la plaie et je détermine s’il faut des points de suture. J’évalue si la personne a besoin d’être évacuée et dans ce cas j’appelle les pompiers pour la transporter à l’hôpital. ».

Médecin et infirmière, en binôme

Pour mettre au point ces protocoles, le Pr D’Escatha estime que la coopération médecin du travail et infirmière est essentielle. « Ce travail d’équipe est très important, car le médecin a en charge l’organisation, la gestion, c’est lui le responsable, mais c’est l’infirmière qui va souvent être présente et qui pourra adapter les procédures à la réalité du terrain. »

C’est ainsi que l’on procède à la Monnaie de Paris : « Nous avons un cahier de protocole, fait par le médecin du travail, en collaboration avec l’infirmière, qui recense tous les risques de l’usine et tous les moyens de prévention mis en place. Nous avons par exemple des risques spécifiques liés aux produits chimiques utilisés pour les bijoux, la dorure ou l’argenture. S’il y a une éclaboussure de ces produits chimiques bien spécifiques, j’ai des antidotes, précise Jocelyne Warnesson. Nous avons des réponses adaptées et le risque est maîtrisé. »

Suivi des risques

Un travail de fond est également mené grâce à l’élaboration « d’un document où nous classons en rouge les risques importants pour lesquels il y a encore du travail à faire, en orange, le risque un peu maîtrisé pour lequel des petits progrès restent à réaliser, et en jaune et vert le risque totalement maîtrisé. On révise régulièrement le document en mettant l’accent sur les points en rouge », insiste l’infirmière. L’établissement est également équipé d’alarmes, qui se déclenchent automatiquement en cas d’urgence : « Nous avons mis les seuils de déclenchement bien en-dessous de ce qui est préconisé légalement. Jusqu’à présent, il n’y a jamais eu un seul problème. Mais si l’alarme se déclenche, nous suivons les protocoles. » Et le Dr Baer d’insister sur l’importance du protocole : « Quand il est validé en amont, les gens ne se posent pas la question “j’ose” ou “j’ose pas”. Dès qu’il y a du doute, ce n’est bon pour personne ! »

SAINT-GOBAIN

Une ambulance dans l’usine

→ Dans l’usine de Saint-Gobain, à Pont-à-Mousson (54), les infirmières fonctionnent en horaires postés, car l’activité ne s’arrête jamais. « Il y a des horaires du matin, d’après-midi, de journée et de nuit, détaille le Dr Élisabeth Louvet, médecin du travail à Saint-Gobain Pont-à-Mousson. La nuit, les infirmières sont autonomes et gèrent l’urgence seules, en s’appuyant sur des protocoles rédigés par les médecins, avec l’aide du Samu. Ils sont aussi validés par les infirmières et on les remet à jour régulièrement. »

→ Quand un sauveteur secouriste du travail (SST) repère une urgence, l’infirmière dispose, pour se rendre sur place, « d’un véhicule léger qu’elle peut utiliser seule ou d’une ambulance avec chauffeur si elle sait qu’elle doit ramener un salarié non mobilisable. Des salariés des hauts-fourneaux ont d’ailleurs suivi une formation d’ambulancier. Et en fonction de la gravité de la situation, l’infirmière déclenche les secours du Samu ou les pompiers. L’hôpital est à 1 km seulement », précise le médecin du travail.

→ Ensuite, les infirmières ont très souvent un rôle de suivi. « Elles sont souvent amenées à poursuivre les soins des salariés qui ont été hospitalisés. Après un accident du travail par exemple, on propose aux salariés de venir faire leurs pansements de brûlures, leurs pansements de plaies, etc. C’est important pour nous, car cela permet de garder un lien avec le salarié ; pour ces derniers, l’accès aux soins se trouve facilité, notamment en raison de leur proximité géographique avec l’usine », conclut le Dr Louvet.

RÉGLEMENTATIONS

Obligations des entreprises

Organisation des secours

→ Tout chef d’entreprise est responsable de l’organisation des secours dans son établissement. En l’absence d’infirmière, l’employeur doit prendre conseil auprès du médecin du travail pour définir les mesures nécessaires, comme le prévoit l’article R. 4224-15 du code du travail. Dans ce cas, « un membre du personnel reçoit la formation de secouriste nécessaire pour donner les premiers secours en cas d’urgence dans :

1. Chaque atelier où sont accomplis des travaux dangereux ;

2. Chaque chantier employant vingt travailleurs au moins pendant plus de quinze jours où sont réalisés des travaux dangereux.

Les travailleurs ainsi formés ne peuvent remplacer les infirmiers ».

→ Par ailleurs, « la conduite à tenir en cas d’urgence doit être rédigée et consignée dans un document porté à la connaissance du personnel et facilement accessible. Ce document est également tenu à la disposition de l’inspecteur du travail » (article R. 4224-16).

→ En revanche, lorsque l’effectif atteint ou dépasse 500 salariés, un service autonome de groupe, d’entreprise ou d’établissement peut être institué. Ce choix est fait par l’employeur. De plus, le code du travail prévoit 1 sauveteur secouriste au travail par chantier dit dangereux, dès qu’il dépasse 50 personnes et un certain nombre d’infirmières en fonction de l’effectif salarié de l’entreprise :

- pour l’industrie : 1 pour 200 à 800 salariés et 1 de plus par tranche de 600 salariés ;

– pour le tertiaire : 1 pour 500 à 1 000 salariés et 1 de plus par tranche de 1 000 salariés ;

– dans les entreprises de moins de 200 salariés : à la demande du médecin du travail et du comité d’entreprise (CE). Si l’employeur conteste la demande, la décision est prise par l’inspecteur du travail après avis du médecin inspecteur du travail. Pour les médecins, il n’y a plus de quotas depuis 2011.

Formalités en cas d’accident du travail

→ L’employeur doit déclarer tout accident de travail ou de trajet 48 h au plus tard (non compris les dimanches et jours fériés ou chômés) après en avoir pris connaissance, sauf en cas de force majeure.

→ La déclaration à la caisse peut être faite par la victime ou ses représentants jusqu’à l’expiration de la deuxième année qui suit l’accident. L’absence de déclaration ou une déclaration hors délai est passible d’une amende.

Traçabilité des expositions

→ Le dossier médical en santé au travail (DMST) doit permettre d’évaluer le lien entre l’état de santé du travailleur et le (s) poste (s) et les conditions de travail actuels et antérieurs. « L’accent est mis sur la traçabilité des expositions professionnelles, des données de santé et des informations, propositions et avis délivrés au travailleur par le médecin du travail », précise la Haute autorité de santé.

→ Le DMST contient des informations socio-administratives, des informations concernant l’emploi actuel et les emplois antérieurs, la santé du travailleur et les propositions et avis du médecin du travail.

Il doit notamment préciser les risques identifiés : nature, périodes d’exposition, fréquence et niveaux d’exposition, dates et résultats des contrôles des expositions aux postes de travail, ainsi que les principales mesures de prévention collectives et individuelles.