La perfusion en urgence - L'Infirmière Magazine n° 372 du 01/06/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 372 du 01/06/2016

 

FORMATION

PRISE EN CHARGE

FRANCK PILORGET  

En situation d’urgence en secteur pré-hospitalier, lorsque la ponction veineuse périphérique devient difficile ou impossible, la ponction intra-osseuse est recommandée en deuxième intention.

Technique apparue en 1922, qui connaîtra un développement exponentiel pendant la Seconde Guerre mondiale avant d’être plus ou moins abandonnée et d’être remise au goût du jour en 1984, l’utilisation d’une voie intra-osseuse reste encore sous utilisée en France a contrario des pays Anglo-Saxons. En situation d’urgence, selon les recommandations scientifiques, elle est pourtant préférable à la voie veineuse centrale (VVC).

QUEL USAGE ?

Indications

• Après deux échecs de ponction veineuse périphérique chez l’adulte et de première intention lors de la réanimation cardio-pulmonaire de l’enfant, selon les recommandations(1).

• États de choc.

• Impossibilité de ponctions veineuses sur des situations d’urgence vitale ou lorsque le temps de pose serait délétère à l’état de vie du patient.

Les VVC ne sont plus recommandées en deuxième intention, car elles gênent les gestes de réanimation, ont un temps de mise en place plus long et comprennent un risque infectieux important. La voie endotrachéale n’est plus recommandée pour l’administration de médicaments.

Contre-indications

•  Face à une situation d’urgence vitale avérée sans abord veineux, il n’y a pas de contre-indications absolues.

• Sinon, les contre-indications sont :

- une fracture visible des os concernés par la ponction ;

- une pathologie osseuse connue ;

- une brûlure ou une infection au niveau du point de ponction ;

• la présence de prothèse ou matériel métallique.

QUI RÉALISE LA POSE ?

• Si le code de santé publique n’autorise pas la mise en place des dispositifs intra-osseux aux infirmiers diplômés d’État, la réalité est toute autre…. En effet, utilisé depuis de nombreuses années dans les pays anglos-saxons par les paramédicaux, ce dispositif est actuellement mis en place par des infirmiers dans de nombreux services mobiles d’urgence et de réanimation (Smur) ou services départementaux d’incendie et de secours (SDIS).

• Il est souhaitable que l’utilisation de ce dispositif entre, dans un avenir proche, dans le domaine de compétence des infirmiers. Pour l’heure, cet acte est parfois réalisable par un infirmier par inscription comme un acte de soins, dans un protocole de soins d’urgence face à une urgence vitale avec un cursus de formation préalable. Des études ont prouvé qu’il n’existe pas de différence entre la pose de ce dispositif par un infirmier ou par un médecin.

MISE EN PLACE

Principe

• La voie intra-osseuse consiste en l’introduction d’un cathéter inséré dans le réseau intra-médullaire au sein d’un os long (la moelle osseuse, très richement vascularisée et qui ne se collabe pas lors d’un choc hémorragique).

• L’injection d’un produit par cette voie pénètre dans le ventricule droit du cœur en dix secondes. Son utilisation et son efficacité sont donc comparables à la voie veineuse périphérique.

• Très rapide, la mise en place de ce dispositif ne prend que dix secondes.

Dispositifs

• Il existe plusieurs types de dispositifs de ponction intra-osseuse : des dispositifs d’introduction manuelle (Cook, Bigg, Fast…) ou un dispositif automatique par perceuse EZ-IO. Nous développons ici cette dernière technique, plus communément utilisée au sein des services de secours pré-hospitaliers (Smur, SDIS) et plus facile d’usage.

• Les débits de perfusion peuvent aller jusqu’à 3 500 ml/h (site tibial adulte- comparable à un KT 20G) et jusqu’à 7 000 ml/h (comparable à un KT 16G) sur le site de la tête humérale pour l’adulte.

• Les doses des médicaments sont identiques à celles de la voie veineuse périphérique. Il est préférable de réaliser une dilution des produits hypertoniques ou alcalins afin d’éviter de léser la moelle osseuse. Il est recommandé de toujours rincer après les injections avec 10 ml de NaCl 9 %. Les prélèvements sanguins sont possibles à partir du dispositif intra-osseux.

Sites de ponction

• Tibia distal (adulte et pédiatrie).

• Tibia proximal (adulte et pédiatrie).

• Fémur distal (pédiatrie).

• Tête humérale (adulte).

Réalisation de la perfusion intra-osseuse

• Préparer une seringue de 10 ml de NaCl 0,9 % et l’adapter sur le kit d’extension EZ-Connect, puis purger.

• Préparer le dispositif de perfusion ainsi qu’une poche hyperpression - ou seringue électrique (pression nécessaire de 300 mmHG).

• Asepsie rigoureuse du point de ponction, utilisation de matériel stérile à usage unique (gants stériles non obligatoires).

• Choix de l’aiguille en fonction du gabarit du patient. Il existe trois tailles d’aiguilles (15G 15 mm rose pédiatrie / 15G 25 mm bleu adulte / 15G 45 mm jaune obèse). Adapter l’aiguille choisie sur la perceuse.

• Caler le membre ponctionné.

• Tenir le dispositif de façon perpendiculaire.

• Enfoncer l’aiguille préassemblée en veillant à ce que le cathéter soit visible sur une longueur d’au moins 5 mm (1er trait noir).

• Appuyer sur la gâchette de la perceuse jusqu’à la perte de résistance (pression modérée et constante vers le bas).

• Désadapter la perceuse, retirer le mandrin tout en laissant le système Luer Lock en place.

• Placer le pansement EZ-Stabilizer.

• Raccorder ensuite le kit d’extension EZ-Connect préparé au raccord Luer Lock du cathéter.

• Vérifier le reflux sanguin et injecter les 10 ml de NaCl 0,9 %.

• Pas de rinçage = pas de débit (no flush = no flow).

• Débuter la perfusion à l’aide de la poche hyperpression.

• Contrôler fréquemment le site d’insertion.

Surveillance

• Coloration du membre.

• Pouls distal du membre.

• Apparition d’un œdème sous-cutané ou de la musculature.

• Position de l’aiguille (doit tenir seule) et perméabilité de la voie.

• Site de ponction.

Traçabilité

• Retranscrire dans le dossier médical et le dossier de soins infirmier la date et l’heure de la pose.

• Poser le bracelet sur le patient avec date et heure de pose.

Retrait

Le dispositif ne doit pas rester plus de 24 heures en place. Pour le retirer, adapter une seringue Luer Lock directement sur le site, puis faire tourner le cathéter dans le sens des aiguilles d’une montre. Ne pas secouer ou incliner le cathéter.

Complications

Celles-ci sont rares, mais il est impératif de les rappeler malgré tout. Cela ne doit pas freiner à l’usage du dispositif :

• Extravasation.

• Déplacement.

• Infection (à long terme mais dispositif devant être retiré dans les 24 heures).

• Échec de pose.

• Syndrome des loges.

QUELS AVANTAGES ?

• Rapidité et facilité de pose.

• Formation initiale et recyclage aisés.

• Atteinte du système central en quelques secondes.

• Complications limitées.

• Bénéfice/risque très modéré dans le cadre de l’urgence absolue.

• Pose efficace, sûre et multisite.

• Coût modéré (au regard de VVC).

• Cathéter à fermeture Luer Lock : fermeture sécurisée.

• Enlèvement facile.

Extrêmement rapide de mise en œuvre, facile d’utilisation, pour d’énormes bénéfices dans le cadre extra-hospitalier voir même hospitalier, nous ne pouvons que regretter la sous utilisation de la pratique de la voie intra-osseuse. Une révision de la législation en faveur des IDE est attendue.

1 - ERC Guidelines for Resuscitation 2015.

La mise en place d’un dispositif EZ-IO Les six étapes de la mise en place sont : marquage, asepsie du site de ponction, appui sur la gâchette de la perceuse, retrait du mandrin, vérification du reflux sanguin et injection de 10 ml de NaCl 0,9 % avant de débuter la perfusion.