RÉCIDIVE À HAUT RISQUE - L'Infirmière Magazine n° 371 du 01/05/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 371 du 01/05/2016

 

CRISE SUICIDAIRE

SUR LE TERRAIN

TRANSMISSIONS

Josselin Guyodo*   Véronique Arpon**  

Au cours des premiers mois suivant le geste suicidaire, le taux de récidive est très élevé. Une stratégie de suivi ambulatoire infirmier, basée sur le principe du « recontact », est testée par l’équipe de l’unité de post-urgences psychiatriques du CHU de Montpellier.

En 2012, près de 10 700 personnes se sont suicidées en France, soit près de 27 décès par jour, rapporte l’Observatoire national du suicide en février 2016(1). Le nombre de tentatives est, lui, estimé à environ 200 000 par an. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a fait de la prévention du suicide, une priorité de santé publique, d’autant qu’en 2014, son rapport « Prévention du suicide, l’état d’urgence mondial » soulignait qu’une personne se suicide toutes les 40 secondes dans le monde. Alors que 43 % des suicides surviennent dans le mois suivant la sortie d’hospitalisation, 60 % des suicidants ne sont pas suivis au-delà d’une semaine(2). Au-delà de ces chiffres, il faut également prendre en compte toutes les personnes particulièrement vulnérables aux conduites suicidaires, qui comprennent tant les idées suicidaires que les tentatives et les suicides aboutis. L’accompagnement de ces patients à haut risque suicidaire et l’identification des stratégies d’amélioration de suivi sont donc essentiels.

Continuité de soins

L’évolution des pratiques soignantes en psychiatrie tend vers la réduction de la durée de séjour en hospitalisation à temps complet, et un soin plus adapté aux besoins réels du patient dans sa vie personnelle. Durant les six mois suivant un premier passage à l’acte, le risque de récidive est très élevé. Les stratégies thérapeutiques de prise en charge de ces personnes en crise suicidaire doivent prendre en compte leur vulnérabilité du fait qu’elles ne recourent pas spontanément aux soins. Ainsi, la problématique actuelle de la prévention de la récidive suicidaire repose à la fois sur la faiblesse des ressources thérapeutiques du patient, mais aussi sur des dispositifs de prise en charge peu garants d’une continuité de soins adaptée à ses besoins. D’autant que le fait d’adresser le patient à une équipe soignante différente de celle qui a géré la crise peut entraîner une rupture dans la prise en charge, peu favorable à la prévention du risque de récidive.

Au vu de ces divers éléments, l’unité urgences et post-urgences psychiatriques du CHU de Montpellier propose, depuis février 2012, un dispositif de soins ambulatoires infirmiers qui assure le suivi des patients suicidants après leur hospitalisation dans l’unité.

Un modèle flexible

Ce modèle de soin ambulatoire s’est construit à partir d’une première expérience de suivi téléphonique, installée en 2007 et proposée aux patients suicidants du service, à raison de trois appels : à 10 jours, à 3 semaines et à 6 semaines post-hospitalisation. Dans le but de proposer une meilleure prise en charge de cette population vulnérable, nous avons mis en place un suivi infirmier personnalisé, étalé sur trois mois, en post-hospitalisation immédiate. Composé de consultations hospitalières, de visites à domicile et d’appels téléphoniques, ce dispositif, basé sur le principedu « recontact », permet une plus grande flexibilité et adaptabilité. Il favorise une évaluation rapprochée, la continuité des soins et le développement d’une alliance thérapeutique de qualité pour les patients qui, de ce fait, peuvent bénéficier d’un temps de séjour hospitalier raccourci.

Dans un premier temps, et suite à une évaluation aux urgences, le patient suicidant est accueilli en hospitalisation complète au sein de l’unité de post-urgences psychiatriques, située dans le service urgences et post-urgences psychiatriques du Pr Philippe Courtet. La prise en charge proposée par cette unité permet d’évaluer le niveau du risque suicidaire, de poser un diagnostic, d’explorer les éventuelles comorbidités et d’adapter le traitement. Dès le 3e jour d’hospitalisation, nous abordons avec le patient la question du devenir et envisageons ensemble les différentes options thérapeutiques de suivi. Dans la plupart des cas, dès le 7e jour, un retour à domicile, avec suivi post-hospitalisation ambulatoire, est possible. Dès lors, nous envisageons, avec le psychiatre traitant, le relais de soins à trois mois post-hospitalisation.

Le principe du « recontact »

Ce suivi, effectué en étroite collaboration avec l’équipe médicale, est protocolisé. Il est intensif durant les 15 premiers jours post-hospitalisation et se poursuit, en fonction de l’évolution du patient, par des appels téléphoniques a minima jusqu’au 3e mois. Des consultations médicales de suivi (voir infographie p. 36) sont proposées à 1 semaine et à 2 semaines de la sortie (J7 et J14), ainsi que des consultations infirmières intermédiaires (J3 et J10). C’est donc l’IDE qui revoit, en premier, le patient après son retour à domicile. Ces deux consultations infirmières se déroulent à l’hôpital ou à domicile, selon l’évaluation de l’équipe soignante et le souhait du patient. Des consultations téléphoniques infirmières sont également programmées à 3 semaines, 6 semaines et 12 semaines après le retour à domicile (S3, S6 et S12).

À partir de cette base protocolisée et prescrite par le médecin au moment de la sortie, le dispositif devient adaptable à chaque instant, selon l’évaluation médicale ou infirmière, tant dans sa fréquence que dans les modalités de recontact. Par exemple, si le risque suicidaire est élevé, l’infirmière peut choisir d’intensifier le dispositif ambulatoire en augmentant les consultations infirmières ou, après concertation avec un médecin, de programmer une consultation médicale rapprochée, d’orienter le patient vers les urgences ou de le réhospitaliser. Elle peut également déclencher une procédure d’urgence (envoi de secours, contrainte de soins).

Évaluation et éducation

À chaque consultation, l’infirmière réalise une évaluation multidimensionnelle du patient. Le risque suicidaire est ainsi évalué : état clinique (thymie, anxiété, douleur morale, perte de sommeil, manque d’appétit, décompensation de sa pathologie psychiatrique sous-jacente), observance et tolérance du traitement médicamenteux, ainsi que les conditions de vie du patient (présence d’un entourage soutenant, reprise des activités professionnelles, loisirs…). En plus de ce rôle d’évaluateur, l’IDE a aussi un rôle d’éducateur thérapeutique et d’accompagnateur dans la remise en place des projets de vie.

Pour mener à bien ces missions, l’IDE peut s’appuyer sur l’expérience de prise en charge acquise dans le service d’hospitalisation complète, ou sur les formations proposées au sein – ou hors – du CHU : formation à l’évaluation et la prise en charge des patients à risque suicidaire, aux conduites d’entretien infirmier en psychiatrie et à la relation d’aide, aux visites à domicile, à des psychothérapies de type cognitive et comportementale (TCC) de 3e génération(3) telle que la thérapie d’acceptation et d’engagement.

En effet, en complément du suivi ambulatoire, un groupe de thérapie brève ACT (thérapie d’acceptation et d’engagement) est proposé aux patients du service ayant un antécédent suicidaire. Cette thérapie intégrative associe les TCC 3e génération, l’entretien motivationnel et la thérapie existentielle. Elle permet aux patients d’acquérir des compétences psychologiques de régulation des émotions et pensées difficiles tout en identifiant ce qui est important pour eux.

Cela les amène à progressivement mettre en place des actions leur permettant d’incarner leurs valeurs. L’utilité de cette thérapie d’aceptation et d’engagement dans la prise en charge des conduites suicidaires, d’ailleurs attestée dans diverses publications scientifiques, amène une réduction de la sévérité et de l’intensité des idées suicidaires et une bonne adhésion des patients, du fait d’une amélioration significative de leur qualité de vie.

Se mettre en route

Le retour à domicile de Laëtitia a pu être organisé au bout de six jours, suite à une diminution de l’intensité de la crise suicidaire et à une bonne alliance thérapeutique, et encadré par le dispositif de suivi post-hospitalisation. Les premières consultations infirmières en ambulatoire ont permis d’identifier une mauvaise observance des traitements en lien avec un sentiment d’incurabilité et une absence d’amélioration de la symptomatologie dépressive. Un travail d’éducation thérapeutique a été réalisé avec la patiente, en présence de sa mère identifiée comme personne ressource. L’infirmière lui a aussi rappelé qu’en cas de besoin, elle pouvait joindre l’équipe soignante 24 h/24 dans le service. Laëtitia y aura recours quelques jours plus tard, en raison de nouvelles idées suicidaires. L’équipe lui a ainsi proposé une consultation infirmière le jour même, durant laquelle nous avons conclu à une absence de velléité de passage à l’acte à court terme. D’autant qu’elle se projetait avec espoir dans une thérapie brève qui débutait quelques jours plus tard.

Durant ces trois mois de suivi post-hospitalisation, incluant la thérapie ACT, Laëtitia n’a pas réitéré de geste suicidaire et son état thymique s’est rapidement amélioré. Elle est retournée vivre par intermittence dans son propre appartement, a renoué des liens sociaux et s’est investie dans une activité sportive. Un an après son geste suicidaire, Laëtitia est en couple, a repris son travail, vit chez elle et prépare un marathon en relais. Avec du recul, elle a expliqué à l’équipe soignante que grâce au suivi proposé, ce passage à l’acte, qu’elle critique aujourd’hui, lui a finalement permis de remettre sa vie sur les rails. à 44 ans, Laëtitia estime avoir enfin trouvé le chemin d’une vie sereine.

1- « Suicide, connaître pour prévenir : dimensions nationales, locales et associatives », 2e rapport de l’Observatoire national du suicide, remis le 2 février 2016 à la ministre de la Santé.

2- Hom, Ian et Thomas, « Evaluating factors and interventions that influence help-seeking and mental health service utilization among suicidal individuals: A review of the literature ». Clinical Psychology Review, 2015.

3- Les TCC ont connu trois vagues de développement : comportementale (1950-1980), cognitive (1980-1990) et émotionnelle (depuis 1990) qui consiste en l’acceptation de ses pensées, émotions et souffrances intérieures, notamment à travers l’ACT (thérapie d’acceptation et d’engagement).

CAS DE DÉPART

Laëtitia, 44 ans, est admise dans le service de psychiatrie suite à une tentative de suicide par intoxication médicamenteuse volontaire dans le cadre d’une décompensation dépressive d’un trouble bipolaire. Elle est en arrêt de travail longue durée depuis plusieurs années et devient de plus en plus isolée socialement. Elle est actuellement hébergée chez sa mère, car elle n’arrive plus à assumer seuleles actes de la vie quotidienne, ni même ses besoins les plus élémentaires. Au cours de l’entretien infirmier, Laëtitia fait part de son sentiment d’être un poids pour son entourage.

HISTORIQUE DU PROJET

→ 1987 : Ouverture du service de psychologie médicale, unité d’hospitalisation complète rattachée aux urgences du CHU de Montpellier.

→ 2007 : Mise en place d’un suivi téléphonique infirmier post-hospitalisation.

→ 2011 : Transformation de l’unité en post-urgences psychiatriques (Upup), spécialisée dans la prise en charge du patient suicidaire.

→ 2012 : Mise en place du suivi post-hospitalisation.

→ 2014 : Sélection du programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP) « Suivi ambulatoire infirmier dans le cadre de la prévention de la récidive suicidaire » (Siprès).

→ 2016 : Début des inclusions.

PHRIP

Le suivi ambulatoire à l’étude

→ La mise en place du suivi ambulatoire infirmier est un projet collectif qui s’inscrit dans l’histoire de l’équipe soignante du service post-urgences psychiatriques du CHU de Montpellier. Initié par Grégory Mykolow, cadre supérieur de santé, ce projet répond à une question de soins : « Comment diminuer le risque de récidive suicidaire ? ».

→ Le programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale Siprès (Suivi ambulatoire infirmier dans le cadre de la prévention de la récidive suicidaire) est une étude clinique randomisée comparant le dispositif ambulatoire infirmier de prévention de la récidive suicidaire en post-urgences, à la prise en charge habituelle, par prolongation d’hospitalisation ou retour à domicile avec suivi par le psychiatre traitant, sans suivi infirmier.

→ Ses objectifs : prévention de la récidive suicidaire et amélioration de la qualité de vie avec notamment une diminution des fréquences et durées d’hospitalisation.

→ On retrouve, parmi ses atouts, l’évaluation rapprochée, une continuité des soins, le développement de l’alliance thérapeutique, un accompagnement individualisé et flexible.

→ Étalée sur quatre ans et se concentrant sur 380 patients suivis sur une année, l’étude apportera des perspectives nouvelles pour les soins infirmiers, à savoir, une formalisation des protocoles de suivi, l’appropriation de nouvelles compétences de soins spécialisés dans la prise en charge de la crise suicidaire, dont le développementde compétences psychothérapeutiques.