« Complémentaire, pas antagonique » - L'Infirmière Magazine n° 371 du 01/05/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 371 du 01/05/2016

 

INTERVIEW : Christophe Debout Directeur de l’Institut de soins infirmiers supérieurs, Secrétaire général de FINE Europe

DOSSIER

Pour Christophe Debout, l’e-learning et les Mooc peuvent faire évoluer l’apprentissage des savoirs infirmiers sans pour autant remplacer l’enseignement traditionnel.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Quel est l’intérêt des Mooc par rapport aux formations classiques ?

CHRISTOPHE DEBOUT : Si c’est souvent pour des raisons pratiques et pour le modèle économique sur lequel il repose que l’on s’oriente vers les Mooc, sur le fond, ils marquent une vraie rupture avec l’approche traditionnelle de l’apprentissage. Mais tous les types de savoirs infirmiers ne se prêtent pas à la formation à distance. Elle est surtout adaptée aux apports cognitifs, comme les processus pathologiques traditionnellement enseignés via des cours magistraux. A contrario, des sujets comme la relation d’aide en soins infirmiers sont plus compliqués à enseigner sans temps présentiel.

L’I. M. : À quels objectifs de formation les Mooc conviennent-ils le mieux ?

C. D. : Les Mooc peuvent permettre d’approfondir ses connaissances dans des domaines précis. Ils ne peuvent se substituer aux dispositifs actuels de formation infirmière initiale ou de spécialité (Iade, Ibode ou puéricultrice), qui restent régis par des textes nationaux mis en œuvre par des instituts disposant d’un agrément. Si le référentiel de 2009 reste plutôt axé sur l’enseignement traditionnel, on peut toutefois y inclure des innovations pédagogiques, telles que la simulation ou le e-learning. En effet, les formateurs disposent d’une marge de manœuvre pour développer des projets innovants : à eux de l’exploiter. Tout dépend du projet pédagogique ainsi que des ressources matérielles et humaines dont on dispose. Sur des sujets comme la prise de décision ou le raisonnement clinique, on voit par exemple arriver des serious games.

Certaines équipes développent par ailleurs de l’autoformation via des capsules vidéo proposées aux étudiants… Mais la formation initiale est également cadrée au niveau européen. Certains pays de l’Union qui ont eu une lecture trop innovante de la directive européenne, par exemple en estimant qu’une simulation haute fidélité équivalait à un stage clinique, se sont fait rappeler à l’ordre. Les textes nationaux et supranationaux n’ont pas encore intégré toutes ces innovations pédagogiques. En revanche, pour ce qui est du développement professionnel continu (DPC), l’organisme gestionnaire du DPC prévoit plusieurs possibilités : une formation en présentiel total, mixte (e-learning + présentiel) ou en pur e-learning. Les fiches méthodes de DPC diffusées par la Haute Autorité de santé (HAS)(1) incluent l’e-learning et la simulation. L’important étant de penser chaque dispositif de formation dans son intégralité, puis de le séquencer. La typologie DPC reprend toute une gamme de méthodes, qu’il convient de choisir en fonction de l’apprentissage recherché. Cela peut être une présentation accompagnée d’un film illustratif, un article sur lequel on demande à l’apprenant une analyse critique… Ces activités doivent simplement être liées entre elles, avec une suite logique. Le e-learning implique également une autoévaluation par l’apprenant et des évaluations formelles.

L’I. M. : Les Mooc et l’e-learning vont-ils remplacer l’apprentissage classique ?

C. D. : Une étude américaine a fait le point, en 2014, sur le rapport des étudiants de licence aux nouvelles technologies(2). Il en ressort que s’ils sont de plus en plus connectés (plus de la moitié d’entre eux possèdent plus de trois appareils connectés), ils préfèrent les approches mixtes à un apprentissage totalement à distance. Peu d’étudiants ont aujourd’hui recours aux Mooc, mais leur smartphone leur sert à chercher des informations complémentaires sur un cours, à photographier un diagramme, à enregistrer un cours… Le formateur doit s’adapter à ces changements et les étudiants, de leur côté, doivent être formés à la sélection d’informations parmi des ressources de plus en plus foisonnantes. Ainsi, les technologies permettent de faire évoluer l’apprentissage classique : il n’y a pas d’antagonisme, mais une complémentarité. Dans le secteur infirmier, on ne peut pas encore dire que les Mooc constituent une alternative aux formations traditionnelles. En France, nous vivons une période transitoire : on a introduit ces technologies plus tard que d’autres pays, ce qui peut être une force, car nous pouvons nous inspirer de leur expérience. Il nous reste à repenser l’organisation et à adapter le modèle économique de nos formations !

1- http://bit.ly/1zpgBir.

2- « ECAR study of undergraduate students and information technology », Educause Center for Analysis and Research, 2014.

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