Thérapie sous pression - L'Infirmière Magazine n° 370 du 01/04/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine_Hors série n° 370 du 01/04/2016

 

CAISSON HYPERBARE

SUR LE TERRAIN

REPORTAGE

CLARISSE BRIOT  

Bien connu des plongeurs qui y ont recours en cas d’accident, le caisson hyperbare peut aussi être bénéfique dans certaines affections chroniques. Il permet notamment d’accélérer la cicatrisation. Immersion à l’hôpital Édouard Herriot, à Lyon.

Franchir le seuil du centre de médecine hyperbare de Lyon, c’est s’immerger dans un autre monde tapi au sous-sol du pavillon N de l’hôpital Édouard Herriot. 11 heures, la deuxième séance de la journée a commencé. Jean-Guy Martinez et Jean-Pierre Girard, infirmiers hyperbaristes, surveillent le bon déroulé des opérations depuis une console bardée de boutons, manettes et jauges, et surmontée d’une demidouzaine d’écrans de contrôle. Un vrai cockpit. à proximité, une longue cuve blanche scindée en deux par un sas, et qui a tout de la carlingue d’avion. Par les hublots, on peut apercevoir les « passagers » de ce vaisseau pas comme les autres. Confortablement installés sur deux rangées de sièges qui se font face, ils lisent, font des mots croisés ou somnolent, un masque sur le visage. Tous sont en train de suivre une séance d’oxygénothérapie hyperbare. à l’intérieur de la chambre étanche, la pression est deux fois et demie supérieure à la pression atmosphérique, reproduisant ainsi les conditions d’une plongée par 15 mètres de fond. Dans les masques, les patients inhalent leur médicament : de l’oxygène pur.

La médecine hyperbare est pratiquée aux Hospices civils de Lyon depuis les années 1970, mais l’installation actuelle n’est en service que depuis quelques mois. D’un caisson vieillissant de quatre places, le centre est passé à une chambre dernier cri pouvant recevoir jusqu’à 16 patients. L’unité possède désormais deux salles d’attente, une salle de soins, des vestiaires ainsi qu’un coin cuisine. Ce mercredi-là, 35 patients sont programmés, en quatre séances de deux heures chacune, la durée la plus courante. Ils viennent de la région lyonnaise et au-delà : le centre rayonne sur 19 départements, jusqu’en Creuse. L’un des deux infirmiers en poste endosse le rôle de chef opérateur : c’est lui qui enclenche la « table » – les paramètres de compression et décompression de la séance préalablement définis par le médecin – puis surveille la machine. Il ne peut quitter le poste de commandes et, tel un conducteur de train, appuie à intervalles réguliers sur l’interrupteur dit « de l’homme mort ». à ses côtés, son collègue se tient prêt à « plonger » dans le caisson. « Nous y accompagnons les patients qui sont en réanimation, intubés et ventilés, mais également les enfants et les patients qui angoissent ou ne se sentent pas bien, explique Jean-Guy Martinez. Il nous arrive également de devoir intervenir en pleine séance, par le sas central, en cas de crise d’épilepsie, d’arrêt cardiaque ou respiratoire d’un patient. C’est pourquoi nous sommes tous des infirmiers de réanimation. Mais heureusement, ajoute-t-il, en vingt ans d’expérience, je n’ai connu aucun décès. »

Dernier recours

Sous le regard vigilant des soignants, la séance se déroule sans incident. « Calmez-vous, respirez bien dans le masque », recommande l’un deux, via l’interphone relié au caisson, à l’intention d’une patiente couchée et un peu agitée. Après une phase de compression de 25 minutes, puis une étape plateau d’1 heure 25 pendant laquelle le niveau de pression est stabilisé et la thérapie opère, suit la décompression, en 10 minutes. « Les patients anticipent les différentes phases. Là, ils se couvrent un peu car on amorce la décompression, ce qui entraîne une baisse de la température », commente Jean-GuyMartinez, en pointant les caméras de contrôle qui permettent de garder un œil sur chaque patient. La plupart sont des habitués. Ils enchaînent les séances depuis plusieurs semaines, ont un masque à leur nom et une place préférée à l’intérieur du caisson.

Si un quart des 6 500 à 7 100 séances annuelles concernent des urgences (intoxication au monoxyde de carbone, accident de plongée, embolie gazeuse) et justifient l’ouverture du centre 24 h/24 et 365 jours/an, le quotidien, lui, relève de cas chroniques. Ce sont des patients qui présentent des lésions radiques (mâchoire, vessie, rectum…) à la suite d’un traitement de radiothérapie, ou des plaies avec retard de cicatrisation (patients diabé tiques, artériopathiques ou atteints de maladies cardiovasculaires). L’oxygénothérapie hyperbare est alors prescrite en dernier recours, quand les traitements conventionnels échouent. « Nous constatons un bénéfice de l’hyperbarie dans deux tiers des cas de cicatrisation difficile, explique ð£ierry Joffre, le médecin responsable du centre qui assure les consultations, la prescription des séances ainsi que le suivi des patients, en lien avec le médecin adresseur. Nous parvenons à diminuer d’environ 25 % le temps de cicatrisation, avec à la clé une réduction des pansements et un retour plus rapide à une meilleure qualité de vie. » Sous pression, l’oxygène pur pénètre profondément dans les cellules et les tissus, permettant de les oxygéner, de stimuler certaines cellules comme les fibroblastes ou les ostéoblastes, ou de refaire des vaisseaux sanguins dans des régions mal vascularisées. En outre, l’oxygène possède un effet bactéricide contre certains germes.

« Un pouvoir magique »

Séance terminée, les patients retrouvent l’air libre. Sabrina, 35 ans, doit être réinstallée dans son fauteuil roulant. Elle souffre de la maladie de Verneuil, une inflammation des glandes sudoripares, très douloureuse et invalidante. à chaque poussée, elle subit des interventions chirurgicales qui laissent des plaies dont la cicatrisation est longue et compliquée. Pour l’accélérer, elle suit des séances quotidiennes pendant un mois et demi, y compris le week-end. Une contrainte lourde pour la jeune femme qui réside en Savoie. Mais le jeu en vaut la chandelle. « Je sens très vite une amélioration, surtout au début, quand les plaies sont profondes, témoigne-t-elle. Mon infirmière me le dit tous les jours en faisant mes pansements : le pouvoir de cette machine est magique ! » Sabrina, qui a connu l’ancien caisson, plus confiné, apprécie le nouvel équipement : « On dispose d’un écran qui indique l’heure. C’est rassurant. Avec un bouquin, ça passe très vite ! Et puis l’équipe est sympa. Ils sont là depuis longtemps, ils sont souriants et dédramatisent. »

Les huit infirmiers du centre (quatre femmes et quatre hommes) ne sont pas seulement des techniciens. Ils ont certes été formés à la conduite du caisson et aux principes de l’hyperbarie (entre une semaine et quinze jours de théorie et de pratique) et ont obtenu un certificat d’aptitude, délivré par le ministère de l’Industrie et valable dix ans. Ils se soumettent également tous les ans à une visite médicale poussée (EEG, EFR, ECG d’effort, examen ORL…) qui les déclare aptes à accompagner les patients en caisson. Mais leur rôle est aussi relationnel. « Le cœur de notre métier est d’accueillir et d’écouter les patients, de les détendre pour atténuer leurs appréhensions, souligne Jean-Guy Martinez, jamais à court de plaisanteries. La plupart ont des dossiers médicaux épais comme ça, alors il faut positiver. Je leur dis que pendant deux heures, ils vont pouvoir se reposer, ne penser qu’à eux et lire les livres qu’ils n’ont jamais eu le temps de lire. » Jean-Pierre Girard, son collègue formé il y a quatre ans après de nombreuses années en réanimation, confirme : « Ici, on peut échanger, c’est un plaisir. Et puis nous sommes une équipe resserrée, nous maîtrisons un domaine que peu de personnes connaissent et nous jouissons d’une certaine autonomie. »

Appuyé sur des béquilles, Nicolas, 38 ans, achève sa 27e séance. Il a appris il y a quelques semaines qu’il souffre d’une ostéonécrose de la hanche. Le caisson a pour but de lui éviter la prothèse avant la quarantaine. « Cela s’annonce long, grimace-t-il. Heureusement, j’ai la chance d’habiter Lyon. Mais ça me fatigue. Quand je rentre le soir, je couche les enfants et vais au lit. » Le père de famille a toutefois confiance dans le succès de la thérapie. « Au départ, j’étais un peu dubitatif. Je me demandais à quoi cela pouvait bien servir de rester assis pendant deux heures. Mais voir que d’autres patients ont des résultats me donne de l’espoir. »

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