Escarre ou DAI, comment faire le bon diagnostic - L'Infirmière Magazine n° 370 du 01/04/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine_Hors série n° 370 du 01/04/2016

 

FORMATION

Appelée au chevet d’un patient souffrant d’une escarre, une infirmière experte en plaies décèle une dermatite associée à l’incontinence (DAI) et change le protocole avec succès.

CAS CLINIQUE

→ Monsieur G. souffre d’une sclérose en plaques (SEP) depuis de nombreuses années et présente une récidive d’escarre sacrée qui s’aggrave depuis le week-end.

→ L’équipe mobile d’infirmières consultantes en plaies et cicatrisation est contactée par téléphone par un service de l’hôpital pour venir instaurer un protocole de soins pour un patient âgé.

→ L’infirmier explique que depuis l’entrée du patient (J4 post-opératoire de ténotomies), l’aggravation de l’escarre l’inquiète. Des précisions sont données sur sa situation : il est âgé de 75 ans, connu du secteur et vit depuis près de dix ans dans un Ehpad. L’infirmier raconte que l’équipe s’est préoccupée, dès l’entrée du patient, de la gestion de l’appui et que Monsieur G. est installé sur un sur-matelas à air dynamique. Il évoque une escarre stade 3 qui s’étend et signale que le protocole local actuel associe alginate et hydrocolloïde mince. En outre, le patient présente un épisode diarrhéique depuis 48 heures qui complique les soins.

→ Un rendez-vous avec l’infirmière consultante plaies et cicatrisation est fixé pour le lendemain matin.

→ En préambule à cette visite, l’infirmière experte consulte le dossier informatisé afin de recueillir de plus amples renseignements. Monsieur G. pèse 76 kg pour 1 m 85. La SEP de Monsieur G., marié et ancien cadre supérieur, a été diagnostiquée en 1980. Ses problèmes de paraparésie spastique sont majorés depuis 2013. Une mise sous baclofène pour traiter la spasticité, associée à des ténotomies percutanées, ont été proposées pour obtenir un dépliage des membres inférieurs afin de faciliter la mise au fauteuil. Il reste autonome pour la prise des repas. Son taux d’albumine sanguin est à 28,5 g/l.

→ En lien avec sa SEP, il présente une incontinence urinaire (vessie neurologique) et fécale. Il est porteur d’une sonde urinaire à demeure, favorisant des infections urinaires à répétition. Il est sous antibiothérapie depuis 48 h.

LA CONSULTATION

L’IDE de l’unité présente l’infirmière experte en plaies et cicatrisation au patient(1). Monsieur G. parle assez lentement, parfois difficilement. Il exprime son inquiétude par rapport à la récidive de cette escarre sacrée, très douloureuse et qui a duré plusieurs mois en 2014. Il évoque des sensations de brûlures très désagréables. Lors de l’échange, le patient donne son autorisation pour la prise de clichés, indispensables au suivi clinique. Monsieur G., dont la toilette vient d’être faite, est porteur d’un change complet. Le siège est recouvert d’une grande plaque d’hydrocolloïde mince, et la fesse droite d’une compresse d’alginate. Après l’ablation du pansement qui est algique pour le patient, un lavage délicat de l’ensemble de la région est réalisé avec un savon doux.

→ Descriptif des lésions. Dans un premier temps, la discussion reste centrée sur le descriptif des lésions. On observe une inflammation de l’épiderme accompagnée d’un érythème et d’érosions multiples de la peau. Les érosions sur les fesses ont un aspect légèrement vernissé. L’infirmière signale que la lésion de la fesse droite s’étend en surface depuis le soin réalisé la veille. On retrouve également quelques érosions confluentes sur la racine de la cuisse droite (voir photo 1, p. 19).

→ Analyse de la situation. Le diagnostic d’escarre est remis en cause par l’infirmière experte dès la découverte des lésions. Leur configuration, leur évolution et les éléments du contexte (incontinence fécale et épisode diarrhéique) font apparaître la DAI comme la problématique prédominante, sans toutefois exclure l’hypothèse d’un début d’escarre de stade 1 voire 2. Quant à l’éruption au bas du dos, elle fait craindre une surinfection mycosique. On peut penser que l’antécédent d’escarre a probablement joué un rôle dans la difficulté à poser le bon diagnostic. À partir des observations et des questionnements évoqués, le protocole en place est donc remis en cause.

→ Proposition d’un nouveau protocole local. Pour objectiver notre analyse, il est demandé au médecin de confirmer le diagnostic de mycose : un prélèvement pour culture sur milieu de Sabouraud est réalisé, au préalable à la prescription d’un antifongique crème, deux fois par jour sur la zone périlésionnelle durant 20 jours. En ce qui concerne le choix du traitement local des érosions, il est conseillé de ne rien coller (hydrocolloïde contre indiqué dans le contexte de mycose). Une interface lipido-colloïde souple – non adhésive et non occlusive – est proposée, recouverte largement de grandes compresses, fixées avec un sparadrap aéré, à distance des lésions. En complément de l’intervention, il est envisagé de solliciter la diététicienne pour proposer au patient un régime hyperprotéiné, et adapté au contexte de diarrhée persistante.

Vingt jours plus tard, une deuxième évaluation est réalisée au lit du patient pour suivi de l’évolution. On note une réelle amélioration : pas de trace d’escarre, persistance de quelques micro érosions. Le patient est soulagé, rassuré, moins douloureux. Le traitement antimycosique étant arrivé à son terme, il est proposé des applications d’un film protecteur hydro-lipidique entre la peau et les effluents agressifs après chaque change (voir photos 2 et 3 ci-contre).

EN CHIFFRES

Epidémiologie de la DAI

Prévalence importante mais variable selon la population étudiée

→ 7 % des patients incontinents en Ehpad

→ 42 % des adultes incontinents hospitalisés

→ 50 % des patients incontinents fécaux à domicile

→ 83 % des patients incontinents en unité de soins intensifs.

Borchert K., J Ostomy Continence Nurs. 2 010; 37(5): 527-35. Gray M., J Wound Ostomy Continence Nurs. 2007 ;34(1):45-54. Gray M., Am J Clin Dermatol. 2010; 11(3): 201-10.