Le Comité consultatif national d’éthique - L'Infirmière Magazine n° 370 du 01/04/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 370 du 01/04/2016

 

CARRIÈRE

GUIDE

FRANÇOISE VLAEMŸNCK  

Créé en 1983, le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) éclaire par ses avis les questions éthiques posées, entre autres, par les progrès de la médecine.

Autorité indépendante, le CCNE a pour mission de donner des avis sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevées par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé. Dans cette perspective, le Comité stimule et favorise sans cesse la réflexion sur la bioéthique en contribuant à alimenter des débats contradictoires au sein de la société « sans jamais la confisquer ».

En plus de trois décennies, cette instance a rendu 124 avis et formulé moultes recommandations sur des sujets aussi variés que l’utilisation des cellules souches issues du sang de cordon ombilical, sur les questions posées par les nanosciences, les nanotechnologies et la santé, ou celles liées au développement et au financement des soins palliatifs, ou encore sur les enjeux éthiques de la contrainte budgétaire sur les dépenses de santé en milieu hospitalier. Bref, des sujets qui intéressent aussi bien M. et Mme Tout-le-Monde que la sphère des chercheurs et l’ensemble des professionnels de santé.

Référence internationale…

• Créé en 1983, dans la foulée des Assises nationales de la recherche, elles mêmes convoquées à la suite des vifs débats provoqués par la naissance d’Amandine, premier « bébé-éprouvette » en France, le CCNE devient par décret du président de la République, François Mitterrand, la première instance du genre dans le monde. À l’époque, le comité est rattaché au ministère de la Recherche et à celui de la Santé.

• Depuis, le CCNE a « fait école » puisque quelque 60 pays se sont dotés d’une instance analogue. Et les questions éthiques liées aux sciences de la vie et de la santé dépassant bien souvent les frontières hexagonales, le Comité entretient des relations avec nombre de ses homologues, notamment avec les comités d’éthique allemand et anglais. Il participe aussi à diverses initiatives européennes et contribue ainsi à porter un débat citoyen au niveau international.

… et locale

• Dans son sillage, et même si leur fonctionnement et leur mission sont très différents, de nombreux établissements de santé se sont dotés d’un comité d’éthique conformément à la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Une démarche reprise par la loi hôpital, patients, santé et territoires (HPST) de 2009. L’objectif de ces comités étant de mener une réflexion éthique liée à l’accueil et à la prise en charge médicale des patients. Pour la Haute autorité de santé, la mise sur pied d’un espace de réflexion éthique constitue d’ailleurs un critère de qualité.

• À noter cependant que si les comités d’éthique hospitaliers peuvent se référer aux avis du CCNE pour éclairer leur questionnement, le CCNE n’entretient pas de rapport avec ces eux.

Indépendance préservée

• En 2004, le CCNE est devenu une autorité publique indépendante. Toutefois, un récent projet de loi initié par deux sénateurs (Les Républicains) visant l’ensemble des autorités administratives et publiques indépendantes les juge trop nombreuses, trop coûteuses et leurs décisions trop contraignantes, et réclame la fin de ce statut. « Si un tel projet devait aboutir, ce serait très grave. D’une part, les avis du Comité ne sont pas contraignants, mais exclusivement consultatifs et, d’autre part, son indépendance doit être absolument préservée », estime Didier Sicard, président d’honneur du Comité.

• Le rôle du CCNE a cependant été renforcé par la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique qui stipule notamment que tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d’un débat public sous forme d’états généraux organisés à l’initiative du CCNE. Par ailleurs, en l’absence de projet de réforme, le Comité est tenu d’organiser des états généraux de la bioéthique au moins une fois tous les cinq ans. Par ailleurs, il dispose pour son fonctionnement d’un budget annuel de 430 000 euros et compte cinq salariés.

Pluralisme et pluridisciplinarité

• Afin de croiser les regards et les opinions sur chaque question dont il est saisi ou dont il se saisit, le CCNE réunit des hommes et des femmes d’horizons divers nommés pour quatre ans – un mandat renouvelable une fois. Il est ainsi composé de 5 personnalités désignées par le président de la République, et appartenant aux principales familles philosophiques et spirituelles, de 19 personnalités désignées pour leur compétence et leur intérêt pour les problèmes éthiques et choisies par le Premier ministre, une dizaine de ministères, le Sénat, l’Assemblée nationale, le Conseil d’État et la Cour de cassation et, enfin, de 15 personnalités appartenant au secteur de la recherche, désignées, entre autres, par l’Académie des sciences, l’Inserm, le CNRS, des centres hospitalo-universitaires ou encore l’Académie nationale de médecine. Ainsi siègent actuellement des philosophes, des médecins, des chercheurs, des juristes, des avocats…

• À noter que durant plusieurs années, des infirmières ont régulièrement été membres du CCNE. Cela n’est pas le cas aujourd’hui. Ce que regrette Didier Sicard « car elles ont apporté beaucoup », confie-t-il. Le président du CCNE est également désigné par le président de la République pour une période de deux ans, renouvelable. « Mon rôle, tel que je le conçois, est d’accompagner, d’animer la réflexion du Comité et ensuite d’expliquer et d’essayer de rendre clair ce que le Comité a pensé, y compris quand il y a un avis et des opinions minoritaires », explique ainsi Jean-Claude Ameisen(1), président du CCNE depuis 2012 et par ailleurs directeur du Centre d’études du vivant de l’Institut des humanités de Paris.

Fonctionnement

• Le CCNE peut être saisi par le président de la République, les présidents des assemblées parlementaires, les membres du gouvernement, mais également par un établissement public ou de l’enseignement supérieur ou encore une fondation reconnue d’utilité publique.

• Mais, et c’est l’une de ses grandes libertés et l’une des garanties de son indépendance, il peut également s’auto-saisir (ou se saisir d’une question posée par un citoyen). C’est le cas de son dernier avis publié en janvier dernier et de celui, très attendu, portant sur la procréation médicalement assistée (PMA). Rappelons qu’en 2010, le CCNE s’était prononcé contre l’ouverture de la PMA aux couples homosexuels, mais en faveur de l’adoption par ces mêmes couples. Pour Didier Sicard « le CCNE est l’exemple même de ce qu’un groupe d’hommes et de femmes peut apporter comme richesse lorsqu’il n’est pas animé par des intérêts particuliers. Personne ne représente personne et c’est pour cette raison que la parole est totalement libre en son sein. Et ceux de ses membres qui voudraient exercer une pression quelconque au nom d’un groupe philosophique, religieux ou politique perdraient toute légitimité. »

• Les travaux du CCNE ne trouvent pas toujours de traduction dans la loi. Mais pour Jean-Claude Ameisen, « l’important pour nous est de savoir si les avis émis par le CCNE en trente ans ont contribué à la réflexion, et non pas de tenter d’apprécier combien de ces avis ont été ou non suivis par le législateur. C’est un sujet intéressant de recherche, mais cette question n’a pas de lien direct avec les missions du CCNE »(2).

1- France culture, le 20 octobre 2015.

2- Le Monde, 9 février 2013.

Le document

Les « Grands avis » du CCNE décryptés

Dignité, consentement, fin de vie, maternité de substitution, IVG, diagnostic prénatal… telles sont les questions éthiques auxquelles s’est attaqué le CCNE depuis sa création. Paru en 2013, les « Grands avis » du CCNE est le premier ouvrage consacré à ses travaux. Préfacé par Didier Sicard, président d’honneur du Comité, ce recueil commenté couvre trente ans de réflexion bioéthique : « L’évolution permanente et effrénée de la science impose une adaptation permanente du cadre normatif et, dans ce contexte, les échanges entre éthique et droit se révèlent denses et complexes à appréhender. Rédigé par des juristes, l’ouvrage s’adresse aux universitaires de toutes disciplines, aux professionnels du droit et de la santé, aux chercheurs, aux étudiants mais également aux citoyens soucieux de s’informer dans des domaines qui concernent chacun de nous dans son intimité comme dans la Cité. » Par Éric Martinez, François Vialla, Éditions LGDJ, 54 €

SAVOIR PLUS

→ Article 46 de la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 (JO du 8 juillet 2011) relative à la bioéthique, sur le rôle du CCNE dans l’organisation de débats publics.

→ Dossier « Éthique et soins », Actualité et dossier en santé publique (ADSP), n° 77, septembre 2011. À télécharger sur www.hcsp.fr

→ Journée de réflexion avec des lycéens organisée par le CCNE dont l’édition 2016, le 11 mai, aura pour thème « Identité, confidentialité et avancées technologiques. ». Ouverte au public, entrée libre.

→ Site du CCNE : www.ccne-ethique.fr

INTERVIEW

PATRICK GAUDRAY GÉNÉTICIEN, DIRECTEUR DE RECHERCHE AU CNRS ET PRÉSIDENT DE LA SECTION TECHNIQUE DU CCNE

Quel est le rôle de la section technique du CCNE que vous présidez ?

• Son rôle est d’instruire les saisines et auto-saisines soumises au CCNE afin d’apprécier si ces demandes sont conformes à la mission du Comité et quel type de réponse nous pouvons y apporter. Cela peut être un avis, mais aussi une réponse plus courte et rapide, voire un report ou une fin de non-recevoir, soit parce que nous ne sommes pas en capacité de répondre sur le fond, soit parce que nous n’en avons pas matériellement et humainement les moyens. Le cas échéant, nous pouvons auditionner les instances qui nous saisissent pour nous aider à mieux cerner leur questionnement éthique – l’exercice n’est pas toujours évident, en effet – et ainsi permettre au groupe de travail qui va se constituer de répondre le mieux possible à leurs attentes et à celles de la société, puisque les avis du Comité sont publics. Enfin, la section assure le suivi du travail du Comité.

… de quelle manière ?

• Nous travaillons étroitement avec les rapporteurs et les membres des groupes de travail. On peut par exemple les conseiller de développer telle question ou tel aspect de l’avis. C’est un dialogue permanent. Et parfois, on « pousse » un peu si l’on estime que cela ne va pas assez vite. Puis vient le moment où la section considère que l’avis peut être présenté en réunion plénière.

Justement, comment estimez-vous qu’un avis est « mûr » ?

• J’avoue que ce n’est pas toujours très simple… Les sujets que nous traitons font souvent controverse et les membres ne sont pas plus d’accord entre eux que peut l’être la société lorsque, par exemple, il s’agit de traiter de la procréation médicalement assistée ou du statut de l’embryon. D’ailleurs, il n’est pas rare que les avis ne fassent pas l’unanimité. Mais, au final, l’essentiel est de montrer en quoi le cheminement de pensée a pu conduire un groupe de personnes à réfléchir sur des bases communes. Et si dans la plupart des avis, on parvient à bien faire ressortir le parcours de cette réflexion, pour d’autres, c’est un peu plus délicat. J’ai en mémoire, l’avis 63 portant sur la fin de vie où il est clairement indiqué que certains avis étaient inconciliables, mais où l’unanimité s’est faite autour d’une réflexion de qualité et respectueuse des différents points de vue.

PROPOS RECUEILLIS PAR F. V.