La psychiatrie hors des murs | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 370 du 01/04/2016

 

HOSPITALISATION À DOMICILE

SUR LE TERRAIN

REPORTAGE

LÆTITIA BONNET-MUNDSCHAU  

À Toulouse, le dispositif PsyDom31 permet l’hospitalisation psychiatrique à domicile de patients ayant besoin de soins médicaux et paramédicaux. Une solution qui vise à désengorger les unités psychiatriques, et à offrir aux patients une réhabilitation sociale, familiale et professionnelle.

Il est 15 heures. Geneviève Coquin, infirmière de PsyDom31 rattachée à la clinique de Beaupuy (Haute Garonne), commence sa tournée. Dans son coffre, elle dépose sa mallette et les piluliers destinés à ses patients du jour. Premier arrêt dans l’agglomération toulousaine chez une patiente schizophrène âgée d’une trentaine d’années, qui bénéficie de l’hospitalisation à domicile (HAD) depuis un mois et demi, après un passage par une hospitalisation classique. Aujourd’hui, Geneviève Coquin va évaluer son état, quelques jours après sa reprise du travail, et à la veille de la fin de l’hospitalisation à domicile. « Elle est suffisamment en confiance pour nous dire vraiment ce qu’elle ressent. Il semble qu’elle soit dans une pente positive, son comportement est adapté. Je crois qu’elle n’a plus besoin de nous », se réjouit l’infirmière à l’issue de sa visite. Celle-ci n’a duré que quelques minutes mais peut s’étendre, selon les besoins, à plus d’une heure. Trente patients bénéficient aujourd’hui de l’HAD PsyDom31, limitée à un mois et renouvelable une fois. Chacun reçoit une à deux visites quotidiennes des infirmières de la structure, ainsi qu’une consultation médicale hebdomadaire.

Une alternative pour les patients

Ce nouveau dispositif - qui totalise une centaine d’admissions depuis sa mise en place en septembre dernier - est le fruit d’un partenariat entre le centre hospitalier Gérard Marchant et les cliniques de Beaupuy et des Cèdres (du groupe Capio). Une collaboration qui s’est formalisée dans un groupement de coopération sanitaire (GCS, voir encadré p. 30) : une équipe dédiée coordonne l’action de deux services de 15 places chacun, dans un rayon de 30 kilomètres sur l’agglomération toulousaine. Au nord, une équipe de 11 infirmiers (équivalent temps plein) est rattachée aux cliniques de Beaupuy et des Cèdres ; au sud, une autre équipe de 11 infirmiers est rattachée à l’hôpital Marchant. Si leurs profils diffèrent - certains viennent des urgences, d’autres d’un service de suites psychiatriques ou post-cure - tous comptent au moins quatre ans d’expérience en psychiatrie. « Les urgences psychiatriques sont engorgées, et les hôpitaux confrontés à des tensions sur le nombre de lits. PsyDom31 offre une alternative aux patients, en évitant - ou en raccourcissant - une hospitalisation en établissement, avec des soins individualisés visant l’autonomie et la réinsertion. C’est également un soutien pour l’entourage », explique Serge Boubli, psychiatre coordonnateur du dispositif, et président de la commission médicale d’établissement (CME) de la clinique Beaupuy. « Pour 80 % de notre patientèle, nous intervenons en aval d’une hospitalisation dans le but de la raccourcir ou de faciliter le retour à domicile. Mais nous agissons également en amont, en prévention ou en cas de décompensation débutante, par exemple », indique Agnès Ténat, cadre de santé coordonateur de PsyDom31. À l’image de cette patiente d’origine allemande, âgée de 72 ans, qui a souffert d’un épisode maniaque pendant quelques mois, et dont le mari était désemparé. Le choix de l’HAD s’est vite imposé : « J’étais rassurée de ne pas avoir à aller à l’hôpital, mais de voir une infirmière tous les jours. Nous discutions beaucoup lors de ses visites. À la fin de l’HAD, un compte-rendu a été envoyé à mon médecin généraliste, et l’équipe soignante m’a indiqué un psychiatre en ville qui, de surcroît, parle allemand ! », raconte l’ancienne patiente.

Soins et réhabilitation sociale

Si elle ne répond pas à des situations d’urgence ou de crise, l’HAD PsyDom31 s’adresse à des patients majeurs dont l’état clinique nécessite une hospitalisation, qui acceptent d’être soignés à domicile, mais qui ne présentent pas de comportement agressif. L’équipe rencontre diverses pathologies psychiatriques : dépression, schizophrénie, bipolarité, addiction, troubles de l’humeur… Certains patients sont autonomes, d’autres sortent de longues années d’hospitalisation. La demande d’admission en HAD, qui émane du médecin, du psychiatre traitant, ou de tout établissement de soins public ou privé, doit contenir l’accord du patient ou de son représentant légal. Après la visite de pré-admission, réalisée par les médecins et l’assistante sociale de PsyDom31, un projet de soins est établi pour fixer les objectifs à atteindre. « Pour les patients plus fragiles ou peu observants, l’HAD peut faire partie du programme de soin instauré par la loi de 2011, afin de s’assurer de la prise du traitement(1) » souligne le psychiatre Radoine Haoui, président de la CME de l’hôpital Marchant.

Le devenir du patient après l’HAD est également pris en compte. Ainsi, lors de la visite de pré-admission, Ariane Girard, assistante sociale, établit un bilan social : « C’est ensuite un travail de réseau pour faire le lien avec divers organismes en fonction des besoins : aide à domicile, Pôle emploi, médiation familiale, protection maternelle et infantile (PMI), etc. Souvent, les patients investissent d’abord l’aspect médical. Les problématiques sociales émergent plus tard », remarque-t-elle. Avant d’évoquer le cas d’une jeune mère en décompensation « qui s’est saisie du dispositif dans son ensemble. Elle a ainsi pu bénéficier de soins médicaux et être aidée sur le plan social : mise en lien avec la PMI, aide pour amorcer un changement de statut… Et à la fin de l’HAD, l’équipe a mis en place un suivi en CMP. Le maillage et l’accompagnement social lui ont ainsi permis de reprendre une vie normale ». Une continuité des soins qui permet au patient de se reconnecter - ou de rester connecté - à la vie quotidienne.

De l’humanité dans le soin

De 7 h 30 à 21 heures, dimanches et jours fériés compris, les infirmières de PsyDom31 se relaient pour assurer les suivis. Et elles assurent une astreinte téléphonique en dehors de ces heures. Souplesse et réactivité du dispositif, lien retrouvé avec les patients, satisfaction d’éviter les ruptures familiales… L’HAD psychiatrique plaît ! « Elle nous apporte beaucoup de liberté et d’humanité dans le soin. Nous travaillons avec les familles et cela contribue à destigmatiser la maladie mentale », relève Edmond Ostrowski, infirmier rattaché à l’hôpital Marchant, et qui évoluait auparavant aux urgences, comme Olivier Raguin, IDE dans la même équipe : « C’est le grand écart sur le plan de l’accompagnement. L’hôpital impose des contraintes opérationnelles. Avec l’HAD, nous redécouvrons l’accord du patient et développons une relation de confiance », se réjouit-il. Zoulikha Berniac, psychiatre à PsyDom31, renchérit : « À l’hôpital, le patient veut vite sortir, il peut donc taire des choses. Alors que lorsqu’il est chez lui, la relation est plus authentique. Et nous faisons le lien avec son médecin, ce qui le rassure. » La parole circule beaucoup : celle du patient, de sa famille, mais aussi, entre les soignants. En plus d’une réunion hebdomadaire avec l’équipe, « nous avons un temps de relève d’une heure chaque jour. Cela nous permet de bien connaître les patients, et d’échanger entre nous », souligne Edmond Ostrowski. Équipée d’un smartphone, chaque infirmière est joignable en permanence et peut compléter le dossier patient unique informatisé, accessible à tous. Des séances de supervision avec un psychanalyste aident par ailleurs l’équipe à mieux comprendre les cas cliniques particulièrement complexes.

Retour à la tournée de Geneviève Coquin. Elle se rend à présent au domicile d’un patient schizophrène de 62 ans sous programme de soins. « Il n’a pas toujours envie de m’ouvrir… C’est un jeu, une stratégie, dans lequel il ne faut pas être piégé, tout en respectant sa pathologie. Je dois aussi réussir à lui faire prendre son médicament… Avec ces patients, nous sommes davantage dans le savoir-être que le savoir-faire », remarque celle qui a évolué pendant une vingtaine d’années en tant qu’éducatrice spécialisée, avant de devenir infirmière. Si cela n’est pas toujours simple d’être face à de tels patients, le sas de la voiture permet de faire le vide entre deux visites.

Des besoins grandissants

Son dernier patient est un homme psychotique de 44 ans, souffrant d’un retard mental. « J’aimerais l’emmener acheter des fruits et des légumes, pour travailler une problématique d’hygiène de vie. Mais je sais que s’il m’ouvre en pyjama, cela signifie qu’une sortie n’est pas envisageable. Il faut savoir être humble dans ce métier, et ne pas perdre de vue son objectif ! », sourit Geneviève Coquin. Car en HAD, les soignants sont au plus près de la réalité du patient, et peuvent lui consacrer du temps. « L’HAD correspond à un réel besoin. Nous avons d’ailleurs une liste d’attente de 30 personnes », relève Agnès Ténat. Mais, note Sabine Biau, directrice de la clinique de Beaupuy, « pour que ce service perdure, nous avons besoin de plus de places. Si nous ne sommes pas réactifs, les médecins ne nous adresseront plus de patients. Pour l’instant, les médecins de ville connaissent peu le dispositif. Actuellement, c’est surtout une solution d’aval, mais nous voulons aussi rendre service à la population de ville afin d’éviter les urgences ou l’hospitalisation, souvent vécues comme une épreuve ». L’équipe envisage ainsi de garder trois places réactives pour intégrer des patients plus rapidement, en enclenchant une admission dans les 24 heures suivant la demande - contre  ne semaine en moyenne actuellement. Pour l’heure, le dispositif a déjà démontré son efficacité avec un taux de réhospitalisation de 12 %, donc assez bas.

1 - Cette loi régit notamment les soins sans consentement sous différentes formes de prise en charge, incluant les soins ambulatoires (en CMP, HAD, etc.)

PARTENARIAT

Entre coûts et financements

Des pratiques communes et des rencontres ont amené les équipes de l’hôpital Marchant et les cliniques de Beaupuy et des Cèdres du groupe Capio à élaborer ce projet, fortement soutenu par l’Agence régionale de santé Midi-Pyrénées. Le groupement de coopération sanitaire (GCS) porte l’équipe de coordination (RH, logistique, etc), mais chaque offreur de soin, public ou privé, est titulaire d’une autorisation, avec son personnel soignant propre. Le fonctionnement annuel de PsyDom31 s’élève à 1,8 million d’euros. L’hôpital est financé par dotation, avec pour 15 places une enveloppe globale de 900 000 euros. Les cliniques fonctionnent avec un tarif à la journée : une HAD coûte 183 euros par jour - deux fois moins qu’une hospitalisation complète - soit un budget de 900 000 euros.