Une dose de chimiothérapie de trop… tout juste évitée - L'Infirmière Magazine n° 369 du 01/03/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 369 du 01/03/2016

 

FORMATION

CAS CLINIQUE

DR Anne Auvrignon  

Alors qu’un enfant a failli recevoir une dose de trop de chimiothérapie, l’analyse de ce « presque accident » a mis en lumière les différents facteurs – matériels, humains ou organisationels – qui ont rendus cette erreur possible.

L’HISTOIRE

→ Thomas, âgé de cinq ans est suivi pour un neuroblastome métastatique depuis plusieurs semaines. Il est inclu dans le protocole européen de traitement des neuroblastomes de haut risque HR-NBL1-7. Il a bien répondu à la phase initiale de traitement (disparitions des fixations anormales métastatiques en scintigraphie MIBG) et a pu être opéré de sa tumeur abdominale en juillet.

→ Thomas est hospitalisé en vue d’une autogreffe de cellules souches périphériques nécessitant un conditionnement par deux médicaments : le Busilvex, qui est administré du 7e jour au 3e jour avant la réinjection des cellules périphériques en 16 doses au total (espacées de 6 heures), et le Melphalan (1 dose) donné la veille de l’autogreffe (voir tableau ci-contre). Ces deux médicaments peuvent présenter une toxicité hématologique (dite myélo-ablative, nécessaire dans le cadre d’une greffe), respiratoire mais aussi hépatique avec un risque de maladie veino-occlusive qui peut être particulièrement grave (lire p. 46).

→ Le J1 de la cure a été fixé en fonction de la date de décongélation des cellules souches périphériques, date déterminée par le service recueillant et décongelant ces produits. Le J1 de la cure (ou J-7 de la réinjection selon le schéma protocolaire) est donc fixé au mercredi 1er avril.

Thomas est arrivé la veille, les bilans sont bons et le médecin senior note un « ok chimio » pour les doses de 1 à 4/16.

→ La première dose est injectée le mercredi 1er avril à 16 h 00, la seconde à 22 h 00. Le busulfan doit être dilué dans du NaCl 0,9 % ou du G 5 % de façon à obtenir une concentration de 0,5 mg/mL, sans utiliser de seringue en polycarbonate. La stabilité est de 12 heures entre 2 et 8 °C suivies par 3 heures à température ambiante, ou de 8 heures à 20 °C (+ ou - 5 °C) après dilution dans du G 5 % ou du NaCl 0,9 %. Les horaires sont donc de 16 h 00, 22 h 00, 4 h 00 et 10 h 00 pour le J-6, J-5, J-4 (jeudi, vendredi, samedi). La pharmacie livre le matin vers 9 h 30 les doses de 10 h 00 & 16 h 00, et vers 17 h 30 les doses de 22 h 00 & 4 h 00.

Le vendredi avant la fermeture, la pharmacie a donc reconstitué 11 doses sur les 16 à recevoir, la dernière pour le samedi 4 h 00. Il restera donc 5 doses à préparer pour le week-end.

→ Le pharmacien remet, pour le week-end, 3 sachets aux infirmières comprenant chacun 1 flacon de Busilvex, chaque flacon permettant la préparation de 2 doses de traitement. Un document est joint expliquant les modalités de préparation, mais ne comprend aucune indication sur le nombre de doses déjà administrées ou à administrer.

→ Dans la nuit du vendredi au samedi, une infirmière A administre la 11e dose à 4 h 00 du matin et valide « n° 11 ».

→ L’infirmière B de jour qui prend le relai, prépare les 2 doses suivantes. Mais au moment de poser la dose de 10 h 00, elle note « n° 11 » sur la feuille de surveillance, puis « n° 12 » sur l’injection suivante.

→ Deux doses numéro 11 figurent donc sur le suivi de cet enfant. L’accord médical est donné quotidiennement.

→ Une infirmière C prend en charge Thomas le dimanche. Elle tient compte du calcul manuscrit de ses collègues et ne vérifie pas les validations dans le logiciel Phédra. Elle prépare deux doses de Busilvex grâce au dernier flacon restant. À 10 h 00, elle pense injecter la dose 15 alors que c’est déjà la 16…

→ À 15 h 30, à la fin de la pause déjeuner prise tard car l’unité est surchargée, elle annonce, « il ne faut pas que je sois en retard pour la dernière dose de Busilvex » devant le médecin senior qui presque par réflexe dit « quelqu’un a recompté les doses depuis J-7 ce matin ? ». Tous deux reprennent les feuilles de surveillance de la semaine et calculent que la dernière dose était bien prévue le dimanche matin à 10 h 00. 16 « ok chimio » ont bien été donnés. Une dose a été notée deux fois comme étant la 11.

→ Mais le médecin ne retrouve que 15 étiquettes ou calculs de doses. Une deuxième lecture des feuilles est réalisée et l’équipe découvre que l’étiquette n° 5 de chimio a été collée au recto au lieu du verso de la feuille de surveillance. Il s’agissait d’une infirmière de nuit faisant partie de l’équipe de remplacement de l’hôpital et présente en raison d’un arrêt d’un membre de l’équipe.

→ Au total, l’enfant avait donc bien reçu 11 doses préparées par la pharmacie et 5 par les infirmières. La 17e dose est bien évidemment annulée.

ANALYSE

Tous les événements ou presque événements (voir encadré ci-contre) sont revus depuis 18 mois au sein du service d’hématologie-oncologie et il est décidé d’analyser celui-ci. En effet, bien qu’il soit difficile d’affirmer quelle aurait pu être la toxicité d’une dose supplémentaire de Busilvex, il pose de nombreuses questions. Plusieurs « petites erreurs » se sont accumulées et plusieurs « verrous » ont sauté. Un soignant a, au dernier moment et presque par automatisme, enclenché un clignotant qui a permis le contrôle et la découverte de ce qui aurait pu être une erreur.

Facteurs favorisants

C’est un événement complexe dont l’analyse a permis de mettre en lumière les différents éléments qui ont rendus cette erreur possible.

• Des facteurs matériels :

– traitement sur plusieurs jours, soit dans ce cas 16 doses réparties sur 4 jours selon le protocole. Plus un traitement est complexe et comprend d’injections avec horaire précis sur plusieurs jours, plus le risque de décalage ou erreurs diverses existe. Les traitements en oncologie-hématologie sont qualifiés à ce titre de complexes ;

– médicament non stable après reconstitution entraînant la préparation par la pharmacie en semaine, mais aussi par les infirmières le week-end

– conditionnement du médicament permettant de préparer 2 doses par flacon soit 6 doses dans les 3 flacons livrés alors qu’il n’en fallait que 5.

• Des facteurs humains :

– un personnel de remplacement connaissant moins bien les pratiques du service. Il serait peut-être judicieux d’identifier quelques traitements dits « à risque » qui, lors de la répartition des tâches dans l’équipe infirmière prenant son service, devraient être donnés en priorité à une infirmière du service. L’objectif est de limiter le risque d’erreur afin de protéger le patient bien entendu, mais aussi l’infirmière intérimaire ;

– erreur sur le lieu de collage de l’étiquette d’une dose ;

– erreur de comptage avec recopiage d’un numéro erroné. Il est connu que le fait de visualiser un chiffre induit un risque de recopiage.

• Des facteurs organisationnels :

– traitement administré en semaine en présence de médecins différents (médecins de l’unité et médecins de week-end), infirmières de plusieurs équipes…

Mesures correctives

Plusieurs mesures ont été prises à l’issue de l’analyse de ce presque accident :

• élaboration d’un document unique mis en place au J1 du traitement par la pharmacie avec des cases comportant le numéro de dose administrée, le jour, l’heure et le nom de l’infirmière. Le document doit être contrôlé par le pharmacien chaque jour pour voir si les décomptes sont cohérents ainsi que par le médecin de l’unité ;

• si la préparation n’est pas réalisée par la pharmacie et si un flacon permet la préparation de plusieurs doses d’un traitement, la pharmacie précisera claire?ment sur un document livré avec le produit, le nombre de doses à préparer et à admnistrer ;

• optimisation à chaque début de conditionnement de la date de début afin de limiter les préparations par les infirmières le week-end. Le jour idéal pour commencer est le lundi ou en première partie de journée le mardi pour permettre la préparation de l’ensemble des doses de Busilvex par les infirmières ;

• sensibilisation de l’ensemble du personnel à la question de ces traitements sensibles comprenant plusieurs doses sur plusieurs jours (aracytine, corticoïdes…). Dans cette optique, une information a été donnée en réunion d’équipe par les cadres. De plus, une mise à jour du livret de protocole infirmier sera réalisée.

Ainsi, la déclaration de cette erreur évitée ou presque accident a permis la mise en place de procédures simples et applicables qui seront utiles non seulement au type de conditionnement décrit mais aussi à d’autres protocoles. Une telle analyse a permis d’identifier un risque pour d’autres patients et d’autres types de traitement(1). Une évaluation des mesures mises en place devra être programmée.

De plus, l’analyse d’un événement n’ayant pas eu lieu permet une approche plus sereine par les membres de l’équipe que dans le cas d’une erreur ayant eu lieu, en particulier si cette dernière a entraîné des conséquences pour le patient.

1- Voir sur la gestion des risques les références suivantes : – Barach P., Small SD. « Reporting and preventing medical mishaps : lessons from non-medical near miss reporting systems », BMJ, 2000, (320), 759-763. – Article D. 4135-2 du code de la santé publique. – HAS « Amélioration des pratiques et sécurité des soins. La sécurité des patients. Mettre en œuvre la gestion des risques associés aux soins en établissement de santé. Des concepts à la pratique. Partie 5 : des fiches techniques pour faciliter la mise en œuvre » http://bit.ly/1PhaxQy

REPÈRE

Le « presque accident » (near miss) est un évènement indésirable survenant au cours de la réalisation d’une action et qui finit par se neutraliser (spontanément ou par action volontaire) avant même la survenue de conséquences.

Ce concept est à rapprocher de l’expression « évènement porteur de risque » (EPR) utilisée dans l’accréditation de la qualité et de la pratique professionnelle des médecins et équipes médicales dans les disciplines dites à risques.

PROTOCOLE

La préparation des chimiothérapies

Le service d’hématologie-oncologie compte 40 lits d’hospitalisation répartis en quatre unités d’hospitalisation et un hôpital de jour. Plus de neuf enfants sur dix accueillis dans le service sont pris en charge pour une pathologie hématologique maligne ou une tumeur maligne. Le service est doté d’une unité de préparation des anti-cancéreux (Upac), située au même étage qu’une des unités d’hospitalisation conventionnelle. Elle est ouverte tous les jours de la semaine de 9 h à 18 h et fermée le week-end.

→ La quasti-totalité des chimiothérapies dispose d’une stabilité de plusieurs jours après reconstitution et sont donc préparées le vendredi pour le samedi ou le dimanche. Seuls quelques médicaments, de courte stabilité après reconstitution et les chimiothérapies nécessitantd’être administrées lors de situation d’urgence sont préparées par les infirmières du service qui sont toutes formées.

→ La chimiothérapie est prescrite à l’aide du module « Chimio » du logiciel Phédra, si possible 24 à 48 h avant la cure afin de permettre à la pharmacie d’anticiper la préparation. Un accord signé pour l’administration des médicaments anti-cancéreux est donné chaque jour par un médecin senior après évaluation de la situation clinique de l’enfant et lecture des examens complémentaires nécessaires.

→ Lorsqu’une chimiothérapie comporte plusieurs doses, un compte est réalisé sur la feuille de surveillance de l’enfant (exemple Vepeside 3/5). Les produits préparés par la pharmacie comportent une étiquette détachable qui permet à l’infirmière, à la réception du produit, de contrôler la concordance entre le produit livré et la prescription. Cette étiquette est apposée sur la feuille de surveillance quotidienne au moment de l’administration dans une zone prévue à cet effet. Quand les infirmières préparent la chimiothérapie, elles notent dans cette zone, le calcul de dose et le contrôle par le collègue. Que la chimiothérapie soit préparée par la pharmacie ou par elles-mêmes, les infirmières valident par ailleurs l’administration dans le plan infirmier du logiciel Phédra.

→ Circuit et contrôles d’une chimiothérapie

– Prescription par le médecin dans le module « Chimio » de Phédra.

– Validation par le pharmacien.

– Préparation en unité de reconstitution avec dosages, pesées…

– Examen clinique de l’enfant et visualisation des résultats biologiques.

– Validation d’un médecin senior habilité à la chimiothérapie (« ok médical »).

– Contrôle par l’infirmière de la concordance entre la préparation livrée et la prescription.

– Apposition de l’étiquette de préparation de la chimiothérapie sur la feuille de surveillance quotidienne.

– Validation de la dose administrée dans le module infirmier Phédra.