LE DIEU DES INFIRMIÈRES EN DÉTRESSE - L'Infirmière Magazine n° 369 du 01/03/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 369 du 01/03/2016

 

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Réveil ordinaire d’une journée ordinaire. Il est trop tôt, beaucoup trop tôt. Tous mes muscles sont endormis, mon sang circule au ralenti, mes yeux me supplient de rester fermés. Il faut se lever, l’heure tourne. Déjà dix minutes d’errance entre rêve et réalité. Ça y est, je pose un pied, petit briefing mental de la matinée. Il ne va pas falloir traîner, la tournée va être longue. Démarrage de mon bolide, en même temps, mon cerveau lui aussi passe à la vitesse supérieure. La route est déserte, un épais brouillard a envahi la campagne.

Première sonnette, dans la nuit noire. Une petite dame en robe de chambre m’ouvre. Je la suis jusqu’à la salle à manger plongée dans la pénombre. Elle n’est pas très bavarde, l’heure matinale a peut-être pris le pas sur sa bonne humeur. Elle me tend son bras pour que je puisse passer le garrot. Là, « bip-bip », mon alarme mentale se met en marche. Elle n’a pas de veine et moi non plus d’ailleurs. Je tâte son bras, regarde sa main, son poignet : rien. De l’autre côté, encore pire. Serait-elle un cyborg dépourvu de sang ? Après cinq bonnes minutes d’inspection, je perçois une minuscule, mais alors vraiment minuscule, petite veine au poignet. La dame commence à s’impatienter. Je suis à la fois rassurée (du coup, je me sens moins seule) et un peu affolée quand elle me dit : « La dernière fois, à l’hôpital, “ils” m’ont piquée trois fois. Un peu plus et je me mettais à crier. » Je fais une petite prière mentale pour ne jamais entendre son cri en invoquant « le dieu des infirmières en détresse ». J’ai envie de fermer les yeux pour ne pas regarder. Allez, courage, je souffle un bon coup, je pique, et là, miracle, le sang arrive dans le tube.

Je remercie le dieu des infirmières et même tous les autres de m’avoir épargnée. Piquer du premier coup au premier rendez-vous, c’est toujours un petit plus, une sorte de bonus pour les prochaines visites. Je range mon matériel et j’annonce la douloureuse : « 8,58 euros siouplaît. » La dame me rétorque du tac-au-tac : « C’est que je dois payer en plus ! À l’hôpital, je n’ai rien payé la dernière fois ! » Je lui explique gentiment que le domicile, c’est comment dire, un peu différent de l’hôpital. Elle me règle mon dû sans sourciller, puis me raccompagne à la porte. Pas de grandes embrassades, mais un « à la prochaine fois » déjà bien encourageant. Il est presque 7 h 15, je ne suis pas en avance, de nombreux patients m’attendent. Je suis prête à braver tous les dangers de cette matinée ordinaire, au moins jusqu’à la prochaine sonnette !