Des stagiaires sous haute surveillance - L'Infirmière Magazine n° 369 du 01/03/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 369 du 01/03/2016

 

FORMATION

ENSEIGNEMENT

Sophie Komaroff  

En raison de la spécificité de la discipline et de la vulnérabilité des patients, les ESI en stage en service d’onco-hématologie pédiatrique bénéficient d’un encadrement rapproché.

Il est rare que les services d’onco-hématologie pédiatriques accueillent des étudiants de première année. Les soins courants y sont très techniques et nécessitent d’avoir acquis les compétences nécessaires pour conduire une relation triangulaire – soignant, enfant et parents. De plus, « la cancérologie fait référence à la maladie grave, et l’impact est encore plus important lorsqu’il s’agit d’enfants, souligne Sylvie Dupont, cadre de santé formatrice à l’Ifsi Saint-Antoine (Paris) et référente de ce terrain de stage. Les ESI de première année ne sont généralement pas suffisamment armés pour affronter ce type de soins. Dans la mesure du possible, nous y affectons les étudiants qui en formulent la demande et dont le projet professionnel est d’exercer en pédiatrie. »

Certains établissements ont la chance de bénéficier d’une IDE dont la mission est le suivi des étudiants. Florent Chardonnet, infirmier coordinateur du tutorat des étudiants et des nouveaux professionnels en oncologie pédiatrique à Gustave Roussy, définit ainsi son rôle : « Je prends soin des blouses blanches pour qu’ils prennent soin au mieux des patients, résume-t-il. Nombreux sont les étudiants qui se demandent s’ils tiendront psychologiquement, sans même entrer dans des considérations techniques. » L’intégration constitue donc une étape essentielle du parcours de stage de l’ESI. L’accueil est destiné à informer le stagiaire sur les aspects pratiques (le planning, les différents acteurs, etc.), mais aussi sur les spécificités du service.

Test de connaissances à l’arrivée

Certains établissements, comme Gustave Roussy, prévoient des cours sur les maladies traitées dans le service et les thérapeutiques antitumorales. L’ESI doit également s’attendre à une évaluation de ses connaissances. « Cela ne compte pas dans l’appréciation finale, souligne Florent Chardonnet. Il s’agit de connaissances génériques attendues chez un ESI de 3e année. Cela permet notamment de détecter s’il y a des failles dans le calcul de dose. » Et de prévenir les IDE référentes qu’elles devront maintenir leur vigilance et faire travailler le stagiaire de façon accrue sur ce point. « Je profite de ce test pour mettre l’accent sur le risque d’erreur en pédiatrie : plus le patient est petit, plus l’erreur peut se révéler gravissime, renchérit Véronique Tanguy, cadre de santé en onco-hématologie pédiatrique à l’hôpital Armand Trousseau (Paris). Savoir calculer ne fait pas tout : il faut aussi être au fait des dilutions, des points de vigilance, etc. J’insiste également sur le respect des bonnes pratiques et des procédures : s’en éloigner revient à se rapprocher de l’erreur. »

Un passeport pour suivre la progression

La présentation des objectifs de l’ESI se déroule quelques jours après son arrivée dans le service, une fois que celui-ci s’est familiarisé avec ce nouvel environnement. « En organisant cela ainsi, j’attends de l’ESI qu’il m’indique les points qu’il sait devoir améliorer, précise Florent Chardonnet. C’est à ce moment que je présente les deux situations apprenantes que sont le patient sous chimiothérapie et celui en aplasie fébrile, des situations qu’il rencontrera forcément au cours du stage. »

À l’hôpital Armand Trousseau, un passeport est utilisé pour consigner la progression de l’ESI et transmettre ce suivi aux différentes infirmières amenées à encadrer celui-ci. Pour autant, une fois qu’un soin est noté comme acquis par un professionnel, celui-ci n’est pas considéré comme étant praticable en solo par les IDE qui ne l’auraient pas vu réaliser au moins une fois. « En fin de parcours de stage, lorsque l’équipe a clairement identifié que l’ESI est autonome, qu’il a effectué le soin plusieurs fois sans erreur et qu’il fait un retour aux professionnels, il est autorisé à pratiquer certains actes seuls », explique Pascale Usubelli, cadre de santé du département d’oncologie pédiatrique de Gustave Roussy.

En pratique, et c’est toute la subtilité de l’encadrement, « l’ESI fait le soin vraiment seul, ou avec l’IDE à 2 m de lui en position d’observatrice, décrit Florent Chardonnet. Cela se décide vraiment au cas par cas. Les seuls limites infranchissables sont celles du contrôle et de la responsabilité ». En effet, si l’ESI est responsable de chacun de ses actes, la responsabilité de l’IDE qui l’encadre est toujours engagée. « Un ESI ne sera jamais autorisé à pratiquer un soin seul s’il n’a pas été préalablement évalué aussi sur le plan comportemental : sait-il expliquer ce qu’il fait ? (ses réponses traduiront sa clarté intellectuelle), se pose-t-il les bonnes questions ?, se tourne-t-il vers les IDE lorsqu’il a un doute ? », énumère Florent Chardonnet. Le savoir-être est fondamental et l’autonomie laissée à l’ESI se mesure aussi à sa capacité à s’intégrer aux équipes paramédicale et médicale, à son comportement avec l’enfant et ses parents, etc. L’autonomie du stagiaire impliquera donc la présentation de ses patients lors des staffs, la conduite de la relation avec l’enfant et ses parents : « L’ESI forme un binôme avec l’infirmière qui l’encadre, insiste Véronique Tanguy. Il a donc toute sa place, mais il est nécessaire d’instaurer la confiance avec le patient et ses proches, mais aussi avec l’équipe. »

Une culture positive de l’erreur

Par ailleurs, l’environnement onco-pédiatrique a beau être fortement protocolisé, cela ne préserve pas des erreurs. « Nous souhaitons inculquer une culture positive de l’erreur, insiste Véronique Tanguy. Ne pas être répressif mais dans le dialogue, dans la prévention plus que dans la coercition. C’est pourquoi nous insistons sur les protocoles et les notions d’identito?vigilance, de pharmacovigilance, d’hémovigilance, de matériovigilance, de traçabilité afin d’éviter les dérives des pratiques professionnelles. Les sensibiliser à ces questions a un impact positif sur leur stage. » Et sans doute sur la suite de leur carrière professionnelle, en les amenant à réfléchir sur cette question : « Quel type de professionnel ai-je envie de devenir ? »

STAGES

Exemples d’objectifs proposés à l’hôpital Armand Trousseau

→ Connaître les normes biologiques de la NFS, du ionogramme sanguin et de l’hémostase.

→ Savoir expliquer ce que sont : une leucémie aiguë myéloïde, une leucémie aiguë lymphoblastique et un lymphome ; l’aplasie ainsi que les précautions et les actions de prévention qui en découlent ; le régime alimentaire en hématologie.

→ Connaître la prise en charge sociale des patients.

→ Réaliser une transfusion sanguine et une transfusion de plaquettes, un prélèvement sanguin sur cathéter central et/ou chambre implantable.

→ Expliquer le processus de pose d’une chimiothérapie.

→ Participer à un entretien d’éducation thérapeutique pour un de ses patients.

→ S’investir dans la dimension relationnelle et adapter son langage/comportement à l’âge des enfants pris en charge.

→ Prendre en charge globalement d’ici la fin du stage de 1 à 2 patients pour les ESI de 2e année, 2 à 3 patients en 3e année.

TÉMOIGNAGES

« J’ai rapidement été amenée à pratiquer »

SUZANNE DURAND ESI DE 3E ANNÉE À L’IFSI ANTOINE-BÉCLÈRE DE CLAMART (92), EN STAGE À L’INSTITUT GUSTAVE ROUSSY

L’oncologie pédiatrique est une spécialité qui peut effrayer. Même si j’étais contente en arrivant, j’avais quelques appréhensions. L’accueil organisé pour les ESI m’a énormément rassurée. Une demi-journée est consacrée à la présentation du service, du parcours de stage, de ce à quoi nous allons être confrontés, des difficultés que nous allons rencontrer…

J’ai trouvé une équipe à l’écoute de mes interrogations, qui ne m’a pas laissée seule dans l’inconnu. Si au départ, j’étais en observation, j’ai rapidement été amenée à pratiquer, d’abord sous le regard des IDE, puis seule une fois que ces dernières s’étaient assurées que je maîtrisais et comprenais les soins qui m’étaient confiés. C’est valorisant d’agir en autonomie et surtout, cela m’a permis de gagner en confiance en soi.

L’encadrement individualisé et la présence quasi permanente des IDE à mes côtés ont été enrichissant et instructif.

Et lorsqu’il m’est arrivé de commettre une erreur, je n’ai pas été mise à l’écart, mais accompagnée pour progresser davantage. L’encadrement que j’ai reçu m’a aidée professionnellement et en termes de développement personnel.

TÉMOIGNAGES

« Nous devons montrer que nous savons effectuer un acte »

AURÉLIE DAILLANT ESI DE 3E ANNÉE À L’IFSI SAINT-ANTOINE (PARIS), EN STAGE À L’HÔPITAL ARMAND TROUSSEAU

Si à l’Ifsi nous recevons des apports sur l’onco-hématologie chez l’adulte, le champ pédiatrique est peu traité. Le rendez-vous d’accueil dans le service, qui a duré environ une heure, m’a laissée un peu sur ma faim, car il concernait essentiellement l’aspect pratique (le planning, l’organisation du service, etc.), mais pas les soins ou les maladies elles-mêmes. Le livret d’accueil a donc été un outil utile, car il contenait la plupart de ces éléments, que j’ai complétés grâce à du travail personnel. De par les maladies et le milieu pédiatrique, les stagiaires sont très surveillés dans le service : les professionnels ne nous laissent pas agir tant que nous n’avons pas montré que nous savons effectuer tel acte, pour quelle raison et dans les conditions d’hygiène correctes. J’ai pratiqué certains actes seule (l’administration de médicaments par exemple, précédé d’un contrôle par l’IDE), mais jamais de soins lourds tels que les soins sur cathéter central. De même, au début du stage, je n’ai pas été autorisée à conduire la relation avec l’enfant et ses parents. Ce n’est qu’une fois que les IDE ont identifié que je ne tiendrais pas de propos inadéquats et que je référerais aux professionnels si je ne savais pas répondre à leurs questions qu’elles m’ont laissée gérer cet aspect du soin.

ÉTUDIANTS EN IFSI

Les UE en lien avec ce dossier

Références d’UE et extraits de leur contenu :

→ UE 2.9.S5 « Processus tumoraux » (compétence 4) : mécanisme de la cancérogénèse, classification des tumeurs, caractéristiques des tumeurs bénignes et malignes ;

→ UE 2.10.S1 « Infectiologie, hygiène » (compétence 4) : infections afférentes aux soins, lutte contre l’infection, système immunitaire ;

→ UE 2.11.S1 « Pharmacologie et thérapeutiques » (compétence 4) ;

→ UE 2.11.S3 : familles thérapeutiques et interactions médicamenteuses, antibiothérapie, chimiothérapie anticancéreuse, médicaments chez les enfants ; UE 2.11.S5 : responsabilité IDE en pharmacothérapie, prescription médicale, prescription infirmière ;

→ UE 3.2.S2 « Projet de soins infirmiers » (compétence 2) : le contexte de la pluriprofessionnalité dans l’élaboration et le suivi du projet de soins, harmonisation entre le projet de soins et le projet de vie, protocoles de soins ; UE 3.2.S3 : continuité du projet de soins entre les différentes structures de soins ;

→ UE 4.2.S3 « Soins relationnels » (compétence 6) : adaptation des modalités de communication aux population et personnes (enfants) ;

→ UE 4.4.S2 « Thérapeutiques et contribution au diagnostic médical » (compétence 4) : la préparation de thérapeutiques médicales, d’injections avec calculs de dose ; UE 4.4.S5 : les chambres implantables ;

→ UE 5.5.S5 « Mise en œuvre des thérapeutiques et coordination des soins » (compétence 4 et 9) : administration des antalgiques dans le cadre des protocoles médicaux, identification des acteurs intervenant auprès des personnes (santé, social, médico-social…).