Un processus délétère - L'Infirmière Magazine n° 367 du 01/01/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 367 du 01/01/2016

 

FORMATION

L’ESSENTIEL

H. R.  

Si elles ne font pas encore l’objet d’une véritable prise de conscience, les violences infligées aux enfants ont pourtant des conséquences dramatiques sur leur santé future.

Les maltraitances, quand on est enfant, conditionnent évidemment la santé à court terme par les dégâts physiques (coups, traumatismes, voire mort) et psychologiques (conduites d’évitements…) qu’elles engendrent. Mais ces effets néfastes vont bien au-delà. À long terme aussi, c’est tout l’état de santé de l’adulte, sous tous ses aspects, qui est affecté. Une étude prospective américaine a ainsi mis en évidence que le fait d’avoir ou non subi des violences est le principal déterminant de la santé à 55 ans(1). « Les conséquences sur la santé sont proportionnelles à l’intensité des violences subies, précise Muriel Salmona, psychiatre et psycho traumatologue, chercheuse et formatrice en psychotraumatologie et en victimologie. Plus elles ont été graves et répétées, plus les dommages causés sont importants. »

Conséquences à long terme

La maltraitance dans l’enfance a tout d’abord des conséquences graves sur la santé physique : elle expose à un risque accru de maladies cardio-vasculaires et respiratoires, de diabète, d’obésité, d’épilepsie, de douleurs chroniques et de troubles de l’immunité. Mais pas seulement. Ces violences sont aussi la source de troubles psychiatriques majeurs : dépressions, idées suicidaires et tentative de suicide, troubles anxieux, troubles graves de la personnalité, addictions, troubles du sommeil, de l’alimentation et de la sexualité. Comportements sexuels à risque et troubles cognitif sont aussi très répandus parmi les anciennes victimes.

Cas de maltraitances sexuelles

Les troubles mentaux sont particulièrement fréquents en cas de maltraitances sexuelles. « Notre enquête “Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte”(2) montre que les conséquences sont d’autant plus importantes que les enfants sont victimes très jeunes (moins de 11 ans), qu’il s’agit de violences sexuelles incestueuses, et que ce sont des viols. 95 % des victimes considèrent que les violences ont eu un impact sur leur santé mentale et 70 %, un impact sur leur santé physique », explique Muriel Salmona. Les violences sexuelles sont en effet de grandes pourvoyeuses de troubles psychotraumatiques. « Les enfants confrontés aux violences sexuelles développent ce qu’on appelle une mémoire traumatique. C’est elle qui est au centre de tous les troubles psychotraumatiques, poursuit Muriel Salmona. Il s’agit d’une mémoire émotionnelle enkystée, une mémoire “fantôme” hypersensible et incontrôlable, prête à ressurgir en faisant revivre à l’identique, avec le même effroi et la même détresse, les émotions et les sensations qui sont rattachées aux évènements traumatisants. » Les souvenirs enfouis des violences subies peuvent donc « exploser », telle une véritable bombe à retardement, de nombreuses années après les faits, à l’occasion d’une situation, un affect ou une sensation qui rappelle à la victime les violences passées. « Si rien n’est fait, cette mémoire traumatique envahit tout l’espace psychique de façon incontrôlable. Elle transforme la vie psychique en un terrain miné », ajoute la psychiatre.

Atteinte neurobiologique

L’impact des violences sexuelles chez les victimes n’est pas seulement psychique, mais aussi neurobiologique : le système nerveux en pleine maturation des enfants pâtit très sévèrement des maltraitances et les effets délétères se matérialisent concrètement. Les études pointent du doigt des atteintes du cerveau chez les victimes. Un travail mené par une équipe de chercheurs internationaux(3) a mis en évidence des modifications anatomiques visibles par IRM de certaines aires du cortex de femmes adultes ayant subi dans l’enfance des violences sexuelles. « Des séquelles sont visibles avec une diminution de l’activité et du volume de certaines structures et pour d’autres une hyperactivité, ainsi qu’une altération du fonctionnement des circuits de la mémoire et des réponses émotionnelles », continue Muriel Salmona. Détecter les violences faites aux enfants est donc crucial. « Si elles ne sont pas prises en charge de façon spécifique, elles peuvent durer des années, des dizaines d’années, voire toute une vie », conclut la psychiatre.

1- Étude prospective américaine de Felitti (2010).

2- Enquête “Impact et prise en charge des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte” de l’Afirem a été conduite de mars à septembre 2014 auprès de 1 214 victimes de violences sexuelles âgées de 15 à 72 ans, dont 1 153 femmes et 61 hommes, dans le but d’évaluer l’impact des violences sur leur vie et leur parcours de prise en charge.

3- « Decreased Cortical Representation of Genital Somatosensory Field After Childhood Sexual Abuse », American Journal of psychiatry, 2013.