LES PARAMÉDICAUX, TOUS ENSEMBLE ? - L'Infirmière Magazine n° 366 du 01/12/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 366 du 01/12/2015

 

FORMATION INITIALE

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

Sandra Mignot  

À l’occasion des travaux de la grande conférence de santé, qui se tiendra en janvier, les propositions fusent pour améliorer l’interdisciplinarité des cursus paramédicaux : enseignements mutualisés, année préparatoire, L1…

Thierry Amouroux « L’interdisciplinarité, pourquoi pas… Mais pas en première année »

Que pensez-vous de la perspective d’un tronc commun des enseignements en santé ?

Nous ne sommes pas favorables à une première année fourre-tout, à l’issue de laquelle les meilleurs se dirigeraient vers un cursus en kinésithérapie et les autres en soins infirmiers. C’est déjà ainsi que cela se passe en médecine : seuls les mieux notés peuvent choisir leur orientation. Et cela ne s’accorde pas avec l’affirmation d’une vraie filière en soins infirmiers que nous appelons de nos vœux. Par ailleurs, si vous regardez les cursus en sciences humaines, ils n’ont pas d’année commune, pas de perspective de première année de licence (L1), bien qu’ayant des enseignements en commun. Alors pourquoi nous en faudrait-il une ? Nos professions doivent se faire par choix. Et puis, la plupart des pays d’Europe ont de vraies filières métiers séparées. En France, on nous explique qu’il faut absolument faire de l’interdisciplinarité, pourquoi pas… Mais pas en première année.

Comment imagineriez-vous ces enseignements en commun ?

Si on doit le faire, il faut que cela soit en troisième année. Car pour connaître les autres professions et aller vers elles, il faut d’abord bien connaître la sienne. Donc en troisième année, cela a du sens, chacun ayant déjà une vision de son métier. On pourrait tout à fait imaginer de partager les unités d’enseignement (UE) d’anglais, de méthodologie de la recherche, d’économie de la santé, d’éthique, de sociologie, de connaissance du système de soin, voire d’épidémiologie… Bien sûr, cela nécessiterait de réorganiser les études en soins infirmiers, mais une actualisation du programme – réformé en 2009 – est d’ores et déjà prévue.

Que retirez-vous des discussions actuelles de la grande conférence de santé sur cette question ?

Il est clair que l’on nous pousse vers l’interdisciplinarité. C’est l’objectif du ministère. Ainsi, ils ont insisté au niveau des référentiels des métiers qui ont fait l’objet d’une réingénierie ces dernières années pour que les intitulés des grandes compétences se recoupent. Par exemple, « travailler sur un diagnostic et participer à son élaboration », cela peut convenir à tous les professionnels de santé. Mais la compétence que valide une aide-soignante n’est pas la même que celle d’une infirmière ou d’un kinésithérapeute par rapport à un même intitulé de soin. L’IDE peut faire un massage d’escarre, ce ne sera pas le même que celui d’un kiné. Je trouve que cela entretient la confusion. On nous ramène toujours à l’aspect technique, exécutoire du métier et non à la réflexion. Mais surtout, il me semble que cette question de l’interdisciplinarité est avant tout motivée par des questions d’économie, et non par une amélioration de l’efficacité ou de la qualité de la formation. On cherche à mutualiser des moyens, cela s’observe à travers les regroupements qui créent des instituts régionaux des professions de santé, dans lesquels nous ne souhaitons pas que les instituts de formation en soins infirmiers se dissolvent. On ne vise pas à faire mieux, mais moins cher.

Lisa Cann « Nous soutenons une licence santé avec des spécialités correspondant à chaque filière »

Vous êtes favorable à un tronc commun de l’ensemble des formations de santé. Comment s’articulerait-il ?

Nous ne voulons pas nous caler sur le modèle de la Paces (première année commune aux études de santé), appliquée aux professions médicales depuis 2010. Il y a trop d’enseignements théoriques destinés à faire le tri entre les étudiants et inutiles à la profession ensuite. D’autre part, il ne nous semble pas possible de réunir des enseignements communs dans une première année de type L1. Que mettrait-on dans cette année supplémentaire qui soit utile à toutes les filières ? Si on pense par exemple à la biologie ou l’anatomie, nous recevons des bases au premier semestre, alors que les médecins ont besoin de connaissances beaucoup plus poussées qu’ils ne peuvent pas recevoir trop précocement dans leur cursus. En ce qui concerne l’éthique, nous souhaitons plutôt des groupes de travail interdisciplinaires, qui peuvent revenir à différentes étapes du cursus et après avoir expérimenté la pratique de soins en stage… Bref, nous voyons plutôt la première année comme le moment où l’on se construit son identité professionnelle. Nous soutenons donc un projet de licence santé avec des spécialités correspondant à chaque filière des quinze professions de santé(1). Il y aurait un tronc d’enseignements communs chaque année (50 % au premier semestre), qui s’amenuiserait au fur et à mesure du cursus. Cela faciliterait la création de passerelles entre les formations : les enseignements communs pouvant être validés, l’étudiant n’aura pas perdu tout son temps s’il se réoriente vers une autre filière.

Pourquoi ces enseignements interdisciplinaires vous semblent-ils nécessaires ?

L’interdisciplinarité dans la formation est nécessaire, car elle est à ce jour trop difficile à mettre en place, par exemple entre les libéraux ou entre la ville et l’hôpital. Il y a un enjeu de santé publique derrière tout cela. Les professionnels doivent apprendre à connaître leurs compétences réciproques afin de mieux se faire confiance. Cela ne se fera pas en un jour ; d’autres réformes devront accompagner cette évolution. Mais un temps de formation en commun peut contribuer à changer les mentalités pour se forger une identité commune.

Que pensez-vous des discussions actuelles de la grande conférence de santé sur la formation ?

Les discussions vont dans le bon sens. Nous arrivons à dégager des logiques, notamment la suppression des quotas et des concours, même si on ne sait pas précisément quelle forme prendra la sélection à l’entrée. Il y a également un consensus sur le constat que la Paces est une boucherie pédagogique qu’il ne faut pas répéter. Globalement, tous considèrent les enseignements en commun comme nécessaires. Certaines organisations proposent plutôt la création d’une année propédeutique (ou préparatoire) ; la Fnesi n’y est pas favorable car cela rallongerait considérablement le cursus. D’autres sont davantage pour la mise en place d’enseignements communs au premier semestre, puis la spécialisation professionnelle au second semestre.

1- Professions médiacales et auxiliaires.

THIERRY AMOUROUX

SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU SYNDICAT NATIONAL DES PROFESSIONNELS INFIRMIERS (SNPI CFE-CGC)

→ 1984 : infirmier au CHU Saint-Louis (AP-HP)

→ 2008 : élu président du conseil départemental de l’Ordre infirmier de Paris

→ 2015 : vice-président du Collège infirmier français

LISA CANN

PRÉSIDENTE DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DES ÉTUDIANTS EN SOINS INFIRMIERS (FNESI)

→ 2013 : intègre l’Ifsi de Vannes, aujourd’hui en 3e année

→ 2015 : élue pour un an à la tête de la Fnesi

POINTS CLÉS

→ Paces. Première année commune des formations de médecine, maïeutique, odontologie et pharmacie. Localement, l’accès aux formations de kinésithérapeute, pédicure-podologue, psychomotricien, manipulateur radio et ergothérapeute est également organisé. Après un premier semestre d’enseignements communs, une UE spécialisée est choisie au second semestre en fonction du concours visé.

→ Rapports. En 2010, un rapport parlementaire évoquait l’expérimentation d’une première année commune aux paramédicaux (sauf IDE), sur le modèle de la Paces. En 2013, un autre rapport préconisait la création de licences santé par grand domaine (médical, maïeutique, rééducation, soins infirmiers, etc.), accessible via la Paces, mais sans concours, avec une spécialisation progressive vers chacune des filières.

→ Expérimentation. La loi sur l’enseignement supérieur et la recherche de 2013 inclut la possibilité d’expérimenter une première année universitaire commune aux paramédicaux (hors IDE). Elle n’a pas été mise en œuvre.

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