QUELLE SPÉCIALITÉ POUR LES INFIRMIÈRES ? - L'Infirmière Magazine n° 363 du 01/09/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 363 du 01/09/2015

 

URGENCES

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

AVELINE MARQUES  

La création, en avril, de l’association « Infirmiers Smur urgences finalement ligués » (Insufl) a soulevé une nouvelle fois la question de la formation des IDE exerçant aux urgences. Revendiquant leurs compétences en la matière, les Iade déplorent, elles, d’en être exclues.

Bruno Garrigue

En 2008, la SFMU déplorait le « décalage » entre la formation initiale des IDE et ce qu’on attend d’elles dans un service d’urgences. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Les compétences s’acquièrent dans les services. Mais quand l’infirmière stagiaire arrive dans un service surbooké, le transfert de compétences est compliqué. Les stages du nouveau référentiel de formation sont longs et il est plus difficile de passer en revue les différentes spécialités. Pour éviter que les nouvelles diplômées ne soient lâchées aux urgences – service où le flux de patients est important et un médecin n’est pas forcément disponible –, de nombreux établissements ont mis en place un tutorat et un parcours professionnalisant. Elles commencent en unité d’hospitalisation de courte durée, puis passent en box de soins et enfin, au poste d’infirmière organisatrice de l’accueil (IOA), qui nécessite une certaine autonomie – ce que l’on n’apprend pas en Ifsi. Mais il y a un problème de maintien des compétences aux urgences, dû à un important turn-over.

Faut-il faire évoluer les compétences infirmières aux urgences ?

Les responsabilités de l’ensemble de la profession se sont accrues. Les gestes techniques et le matériel ont évolué. Il faut faire bouger les lignes pour éviter les glissements de tâches. Aux urgences, la question du diagnostic se pose. En théorie, une IDE qui pose un diagnostic, ça n’existe pas. En pratique, quand l’IOA fait son tri, elle a une idée derrière la tête. Même chose pour la réalisation d’un électrocardiogramme : on forme l’IDE à faire un examen de qualité, à étudier le tracé pour détecter un problème technique ; mais si une anomalie lui fait penser à un infarctus, elle est dans l’interprétation et n’a pas le droit de le faire. Une fois le tri effectué aux urgences, une bonne partie des pathologies pourraient probablement être traitées par une infirmière de pratique avancée (IPA), à l’image des soins de santé primaire dans les pays anglo-saxons. La pratique avancée pourrait être une évolution de carrière à proposer aux IDE des urgences. La charge de travail et le stress sont tels qu’il faut aussi réfléchir aux parcours et à la fidélisation. Par ailleurs, les compétences n’évolueront qu’au travers de la recherche propre à la profession, que l’encadrement doit promouvoir.

Quelle formation pour les IDE qui exercent aux urgences ?

Je ne crois pas à un diplôme de spécialité. Aux urgences, on rencontre aujourd’hui un peu toutes les pathologies, et proportionnellement moins d’urgences vitales qu’auparavant. Le travail est tellement polyvalent que plusieurs niveaux de formation doivent coexister et se compléter : des IDE de soins généraux avec des compléments de formation continue propres à l’activité, des IPA – de niveau master –, et des Iade, notamment en salle d’accueil des urgences vitales. Elles ont déjà un haut niveau de responsabilités et d’autonomie et l’urgence est l’une des facettes du métier. Quant aux formations dispensées à l’IOA, elles sont très disparates selon les établissements. La formation au Cesu(1), axée sur la reconnaissance des signes vitaux et sur le tri, est une formation de qualité. Encore faut-il que tout le monde la fasse.

Christophe Prudhomme

Les infirmières des urgences doivent-elles être spécialisées ?

Il y a des spécificités dans l’exercice aux urgences qui nécessitent une formation propre. Aujourd’hui, un certain nombre de formations sont faites sur le tas, mais elles ne sont pas reconnues. L’infirmière qui a un diplôme universitaire ou se voit transférer une compétence par le biais d’un protocole reste à bac + 3, avec la même grille de salaire. On a largement développé la fonction de l’IOA, sans que la formation ne soit formalisée, validée et reconnue financièrement. Pourtant, c’est une qualification particulière. On pourrait envisager un niveau master 1 en médecine d’urgences, avec, pourquoi pas, un tronc commun avec la première année de formation Iade.

Quelle place pour les infirmières anesthésistes aux urgences ?

Je plaide pour la présence d’infirmières spécialisées aux urgences et au Smur(2) mais, à choisir, je préfèrerais une infirmière urgentiste plutôt qu’une Iade. Aux urgences, il est plus important d’avoir des compétences en cardiologie ou en pneumologie qu’en anesthésie, car on ne fait que des anesthésies simples, sur des durées assez courtes, avec une pharmacologie réduite. La formation Iade reste une formation pour exercer au bloc. Les infirmiers anesthésistes sont arrivés dans les Samu car ils ont été créés par des médecins anesthésistes. On a milité – sans succès – pour la présence obligatoire d’une Iade dans les véhicules du Samu parce qu’en intervention, on est au maximum trois et que la qualification des Iade apporte un plus du fait de l’absence de possibilité de renfort immédiat.

Faut-il redistribuer les tâches entre professionnels de santé de l’urgence ?

Quand je suis arrivé en tant qu’externe à Bobigny, ce sont les infirmières qui m’ont appris à faire les gaz du sang, alors que c’était un acte médical – en théorie. Il n’a été transféré aux IDE qu’au début des années 1990. Les textes ont validé une situation acquise dans la pratique. Le monde a changé, les outils techniques se sont simplifiés, toutes les professions de santé doivent voir leurs compétences évoluer.

L’ambulancier du Smur, par exemple, avec ce qu’on lui demande aujourd’hui, devrait pouvoir devenir aide-soignant par validation des acquis de l’expérience. Dans une situation d’urgence, où la qualité des soins repose sur la coordination, la hiérarchie s’aplatit fortement. Les infirmières devraient pouvoir intuber, poser des voies veineuses centrales et intra-osseuses, prescrire de la morphine titrée pour pouvoir soulager le patient sans attendre le médecin ou encore réaliser des échographies de débrouillage. Les nouveaux échographes ont la taille d’un smartphone ; c’est le stéthoscope du 21e siècle, ça n’a pas à être un outil médical !

Mais ces nouvelles compétences doivent être enseignées en formation initiale ou en formation continue, validées et reconnues financièrement.

1- Centre d’enseignement en soins d’urgences.

2- SAU et Smur sont souvent mutialisés dans les petits établissements.

BRUNO GARRIGUE

PRÉSIDENT DE LA COMMISSION « SOINS » DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISEDE MÉDECINE D’URGENCES (SFMU)

→ 1984 : DE infirmier

→ 1990 : Iade au Samu 93

→ 2007 : Cadre de santé au Samu 91

→ 2010 : Porteur d’un projet de recherche infirmière sur les préparationspour seringue électrique

CHRISTOPHE PRUDHOMME

PORTE-PAROLE DE L’ASSOCIATION DES MÉDECINS URGENTISTES DE FRANCE (AMUF)

→ 1986 : médecin au Samu 93

→ 1995 : auteur de « L’infirmière et les urgences » (7e édition en 2012)

→ Fin des années 1990 : entre à la direction fédérale de la CGT-santé

POINTS CLÉS

→ Chiffres. Dans sa dernière enquête sur les urgences, la Drees recensait 736 points d’accueil des urgences en France. La médiane des ETP infirmiers est située à 15,3. 71 % des établissements ont un poste d’infirmière organisatrice de l’accueil (IOA).

→ Compétences. Hausse des responsabilités, polyvalence renforcée par les mutualisations SAU/Smur, insuffisances de la formation… En 2008, la SFMU souligne la nécessité d’un « programme national uniforme de formation d’infirmier urgentiste » et publie un référentiel de compétences (http://petitlien.fr/sfmu). En avril 2015, les IDE des urgences du CH de Chalon-sur-Saône créent l’Insufl pour obtenir « la création d’un diplôme d’IDE urgentiste ».

→ Iade. La formation d’Iade comprend un stage en Samu-Smur et un enseignement sur la prise en charge des urgences pré-hospitalières. Le code de santé publique (art. R. 4311-12) précise que les transports en Smur sont réalisés « en priorité » par l’Iade. Économies budgétaires obligent, les établissements privilégient l’emploi d’IDE. Une situation dénoncée par le Syndicat national des Iade et par le Collectif des étudiants anesthésistes de France, qui appellent à un « mouvement d’ampleur » à la rentrée.