Passage à l’acte en milieu hospitalier - L'Infirmière Magazine n° 363 du 01/09/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 363 du 01/09/2015

 

FORMATION

CAS CLINIQUE

Un patient, hospitalisé suite à une crise d’agitation aiguë, s’est pendu en chambre d’isolement. Devant un diagnostic difficile à poser, comment permettre aux équipes soignantes d’anticiper un glissement vers la crise suicidaire ?

L’HISTOIRE

→ Monsieur G., âgé de 23 ans, est hospitalisé dans un établissement psychiatrique en unité fermée. Monsieur G. arrive des urgences, sédaté pour agitation aiguë. Il a été reçu au service des urgences pour agitation et menace sur la voie publique. Son agitation n’ayant pas cédé au traitement sédatif immédiat, et en l’absence de cause médicale identifiée, Monsieur G. est orienté vers un service de psychiatrie pour prise en charge de l’agitation aiguë et recherche d’un diagnostic. Monsieur G. est connu de l’unité d’accueil et de crise puisqu’il est suivi en ambulatoire par le secteur de psychiatrie et a déjà été hospitalisé dans l’unité. Il est hospitalisé sans son consentement en soins psychiatriques à la demande d’un tiers(1), en l’occurrence ses parents. La première nuit se passe calmement malgré le refus du traitement du soir(2).

→ Traitement : Tercian (cyamémazine)(3), 40 mg/ml, solution buvable en gouttes : 200 mg matin et soir ; Solian (amisulpride)(4), comprimé à 400 mg : un comprimé, matin et soir ; Valium (diazépam)(5), comprimé à 10 mg : 20 mg matin et soir.

→ Le lendemain, le patient se réveille tôt, agité. La prise des constantes est compliquée par l’opposition du patient. Elles s’avèrent normales. Monsieur G. se calme dans la matinée après la prise du traitement.

→ Après le déjeuner, Monsieur G. est de nouveau agité et se montre menaçant envers les autres patients. La décision est prise par l’équipe infirmière de le placer en chambre d’isolement (CI) pour sécuriser les autres patients et pour réévaluation de l’état de Monsieur G. et de son traitement. Le médecin est averti. Il consulte le patient, fait la prescription d’isolement thérapeutique et, si refus du traitement per os, de l’administration du Tercian par voie intramusculaire (4 ampoules à 50 mg/5 ml). La forme injectable du Tercian étant indiquée dans le traitement de courte durée des états d’agitation et d’agressivité au cours des états psychotiques.

→ À 21 h, le patient refuse son traitement per os. Le Tercian lui est administré par voie intramusculaire. Monsieur G. passe une nuit calme.

→ Le jour suivant, Monsieur G. est « très exalté » dès le matin. Les constantes sont normales et les soins d’hygiène sont assurés. Le déjeuner est pris en CI. Devant le calme de Monsieur G., une sortie temporaire de la CI lui est proposée.

→ Au contact des autres patients, Monsieur G. se montre à nouveau provocateur et menaçant. Il est reconduit en isolement après une longue négociation avec les infirmières. Lors de l’entretien qui suit avec le médecin en présence de deux infirmières, le patient explique de façon incohérente son attitude hétéro-agressive. Il fait allusion à des persécutions qu’il n’a plus envie de subir. Le patient est maintenu en chambre d’isolement avec prescription d’une surveillance horaire.

→ Lors du passage des infirmières, une heure plus tard, Monsieur G.est retrouvé inanimé, pendu par son pyjama à l’angle de la fenêtre de la CI. Malgré les premiers soins de réanimation et l’intervention du Samu, le patient ne survivra pas à son geste.

ANALYSE

Monsieur G. est suivi par le secteur de psychiatrie depuis trois ans, alternant prise en charge ambulatoire au domicile des parents et hospitalisations(6). Le diagnostic est difficile à poser devant la variabilité des symptômes, notamment des troubles du comportement avec un versant très provocateur malgré une intelligence remarquée des soignants. Un trouble bipolaire est d’abord évoqué, puis une schizophrénie débutante sans conviction définitive(7). Le patient avait déjà fait d’autres passages à l’acte de type suicidaire qui ont été considérés par certains soignants comme des provocations ultimes pour attirer l’attention sur lui. Malgré ces antécédents, la complexité du comportement du patient et l’absence de diagnostic privent les soignants d’un cadre sémiologique leur permettant d’observer l’évolution des symptômes et d’anticiper un glissement vers une crise suicidaire (voir p. 42). Les antécédents sont néanmoins pris en compte. Un lit en mousse est installé et les draps son retirés. Seul le pantalon du pyjama est laissé au patient.

PROPOSITIONS

Les pistes d’amélioration

Suite au suicide de Monsieur G., une revue de mortalité et de morbidité (RMM) a été réalisée afin de mettre en œuvre des actions de prévention, de récupération ou d’atténuation.

→ Augmentation de l’effectif. Les effectifs infirmiers et aide-soignants de l’unité sont chacun augmenté d’un équivalent temps plein (ETP). L’apport de deux ETP soignants a simplifié la gestion des plannings et l’organisation du travail avec plus de confort pour les personnels.

→ Formation au risque suicidaire systématique pour tous les nouveaux professionnels soignants affectés en psychiatrie. Certains points faisant défaut dans la formation initiale des soignants, des formations spécifiques (tutorat, gestion de l’agressivité…) étaient déjà proposées systématiquement aux nouveaux arrivants selon le plan de formation institutionnel. Dans l’unité, la formation sur le risque suicidaire est devenue obligatoire (lire p. 58).

→ Sensibilisation aux enjeux médico-légaux de la prise en charge en psychiatrie pour les nouveaux internes et chefs de clinique-assistants (impératifs de la prise en charge, responsabilité des soignants et droits du patients).

→ Sécurisation des locaux et des chambres d’isolement. Changer les fenêtres des CI pour qu’elles ne permettent plus un accrochage en vue d’un suicide par pendaison. Équiper les CI de fenêtres et portes sans poignée pour la même raison.

→ Amélioration du fonctionnement :

• le protocole d’isolement thérapeutique a été revu et optimisé (prescriptions, surveillance…). Par exemple, une surveillance horaire est conseillée pour l’observation des comportements et de l’état de conscience, d’une désorientation. La prise des constantes (fonction respiratoire, température, saturation en O2) doit avoir lieu trois fois par 24 heures ;

• fluidifier les admissions du secteur fermé en améliorant la gestion des lits ;

• mettre en place une réflexion sur les modalités de prise en charge médicale et paramédicale en secteur fermé afin de la réinsérer au sein d’un parcours patient. Réécrire le projet de soins en formalisant le fonctionnement interne du secteur fermé et de la mise en CI ;

• améliorer les relations avec les services de police en disposant d’un numéro de téléphone direct.

Réflexion sur les risques psychosociaux

Dans la suite de la RMM, l’équipe soignante a prolongé sa réflexion en l’élargissant aux risques psychosociaux qui peuvent être induits par l’activité elle-même ou générés par l’organisation et les relations de travail(8). Des réunions ont été organisées pour recueillir les avis des personnels et pour proposer des réponses aux problématiques révélées. La présence médicale a été renforcée pour fournir un meilleur soutien aux équipes soignantes. La salle de repos des personnels a été améliorée.

1- En l’absence de consentement du patient, les soins psychiatriques à la demande d’un tiers (SPDT) peuvent être demandés sur la base de deux certificats médicaux circonstanciés ou un seul certificat en cas de « risque grave d’atteinte à l’intégrité du malade ». Le tiers doit être un « membre de la famille du malade », « une personne justifiant de l’existence de relations avec le malade antérieure à la demande de soins et lui donnant qualité pour agir dans l’intérêt de celui-ci », le tuteur ou le curateur.

2- Le traitement d’une schizophrénie débutante repose sur les antipsychotiques dits de seconde génération prescrits en première intention aux doses minimales efficaces.

En cas d’épisode unique, la chimiothérapie antipsychotique est maintenue pendant 1 à 2 ans afin d’éviter les rechutes. (« Schizophrénies débutantes », Conférence de consensus, Fédération française de psychiatrie, janvier 2003).

3- La cyamémazine est indiquée dans les états psychotiques aigus et chroniques (schizophrénies, délires paranoïaques, psychoses hallucinatoires chroniques). Son activité antipsychotique est faible et ses effets extrapyramidaux sont très modérés.

La molécule possède également des propriétés antihistaminiques à l’origine d’une sédation en général recherchée en clinique.

4- L’amisulpride est un antipsychotique indiqué dans le traitement de la schizophrénie. Au delà de 400 mg par jour, l’administration se fait en 2 prises.

5- Le diazépam fait partie des benzodiazépines avec une activité pharmaco-dynamique similaire : myorelaxante, anxiolytique, sédative, hypnotique, anticonvulsivante, amnésiante.

6- Le suivi des patients présentant une schizophrénie débutante par une équipe spécialisée à domicile est possible. Il permet d’éviter la stigmatisation d’une hospitalisation.

7- Les premiers épisodes de la schizophrénie sont mieux connus que ceux des troubles de l’humeur. Affects et symptômes sont parfois mal différenciés et les aspects thymiques, cognitifs et végétatifs sont semblables dans les deux types de pathologie (« Schizophrénies débutantes », Conférence de consensus, Fédération française de psychiatrie, janvier 2003).

8- Les risques psychosociaux correspondent à des situations de travail où sont présents, combinés ou non, du stress, des violences internes commises par des salariés et des violences externes faites par des personnes étrangères au service.