LEVER LE VOILE SUR LA VIOLENCE - L'Infirmière Magazine n° 363 du 01/09/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 363 du 01/09/2015

 

GÉRIATRIE

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CAROLINE COQ-CHODORGE  

Gifles, morsures, crachats, insultes… Selon le dernier rapport de l’Observatoire national des violences en milieu de santé, la gériatrie est l’un des secteurs où les professionnels sont les plus exposés. Un phénomène pourtant largement sous-estimé.

On parle tout le temps de la maltraitance des personnes âgées, mais jamais des violences contre le personnel. Elles sont pourtant quotidiennes. Ce sont des gifles, des morsures, des crachats, des griffures, des coups de poing, des insultes, souvent à caractère sexuel. Il y a aussi des formes de harcèlement, par exemple lorsqu’un résident sonne toutes les deux minutes pour déplacer un verre un peu à droite, un peu à gauche », énumèrent Sylvie Torresse et Clémence Defois, cadre de santé et psychologue de la maison de retraite associative Saint-Joseph située à Chenillé-Changé (49). Dans les maisons de retraite, la violence est bien présente et malgré tout largement sous-estimée. Dans le dernier rapport annuel de l’Observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS), paru en juin, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et les unités de soins de longue durée (USLD) figurent au 4e rang des services qui ont déclaré le plus de violences en 2013, après la psychiatrie, les urgences et la médecine.

Paradoxalement, l’observatoire est très peu connu dans le secteur médico-social : seules deux maisons de retraite ont déclaré chacune un acte de violence en 2013. Les présidents des deux principales associations de directeurs du secteur, Claudy Jarry pour la Fnadepa et Pascal Champvert pour l’AD-PA(1), reconnaissent tous deux qu’ils ne connaissent pas cet organisme créé en 2005 pour collecter les faits de violence, coordonner et évaluer les politiques mises en œuvre.

Davantage de démences

La plupart des signalements à l’ONVS émanent en réalité d’Ehpad et d’USLD intégrés à des centres hospitaliers, comme celui de La Corniche angevine de Chalonnes-sur-Loire (49). « Nous faisons une dizaine de déclarations à l’ONVS chaque année, souvent de violences physiques », confirme Pascale Moreau, la cadre supérieure de santé de cet établissement gériatrique. La démarche de signalements y est récente, consécutive à une prise de conscience de l’encadrement. « À l’occasion d’une formation au raisonnement clinique, qui passait par une mise à distance de situations vécues grâce au théâtre, le personnel a exprimé ses difficultés face aux actes de violence, souvent tus car ils mettent à mal la fonction soignante, explique la cadre de santé. Désormais, ces actes ne sont plus gérés individuellement. Ils deviennent un problème d’équipe et sont analysés de manière pluridisciplinaire, tracés en interne, et déclarés à l’ONVS lorsqu’ils sont particulièrement violents. »

Avec le recul de ses trente années d’expérience, Pascale Moreau n’a pas, paradoxalement, le sentiment que les personnes âgées sont plus violentes : « C’est plutôt la tolérance des professionnels qui baisse, par exemple face aux insultes à caractère sexuel, auparavant minimisées ». Elle relève cependant que le public des maisons de retraite évolue : « Il y a de plus en plus de démences, dont la prise en charge a évolué. Avant, on les calmait avec des médicaments, les personnes âgées perdaient leur liberté d’aller et venir, évoluaient vite vers la grabatisation. Aujourd’hui, on prend en soins les troubles psycho-comportementaux avec des techniques d’atelier, d’occupation, d’une manière plus humaine. Parce que nous sommes plus proches des gens, nous sommes plus exposés à leur violence. »

L’écoute, un levier d’action

Les manifestations de violence, même minimes, sont généralement évoquées lors des transmissions, en équipe pluriprofessionnelle, puis tracées. « Nous recherchons les causes, expliquent Morgane Huillet et Élodie Guilhem, psychologue et cadre de l’Ehpad des Estamounets, situé à Couiza (11). Certaines sont intrinsèques : est-ce que cette personne ne parvient pas à faire le deuil de son avancée en âge, de son placement en institution ? Exprime-t-elle ainsi une douleur ? Est-ce la manifestation d’une démence, de troubles psychologiques ? Et il y a aussi les causes extrinsèques, liées aux contraintes de la vie en institution : les horaires, le groupe, les blouses blanches, les soins, la toilette, etc. ». Dans cette maison de retraite toute neuve, « ouverte, claire et proche de la nature », les causes extrinsèques de la violence sont limitées, assurent-elles. Quant aux causes intrinsèques, l’équipe pluridisciplinaire tente de les comprendre en s’intéressant aux « histoires de vie des personnes âgées. Dès leur arrivée, on les reçoit avec leur famille, pour construire un projet de vie, en prenant en compte leur histoire, leur caractère. La violence s’est parfois déjà manifestée à la maison. Avec le grand âge, des choses non résolues et douloureuses du passé resurgissent. On évite beaucoup de violences ainsi, en étant à l’écoute, en détectant des situations qui peuvent s’envenimer ».

Canaliser la colère

La maison de retraite Les Plaines, au Trélazé (49), a recours depuis plusieurs années à des méthodes de communication bienveillantes, qui ont permis de faire « beaucoup baisser la violence dans l’établissement », assure Élisabeth Thétas, la cadre de santé. Depuis 2006, l’ensemble du personnel s’est formé à la méthode de la Validation de la psychologue américaine Naomi Feil. « Quand on sent que la colère monte, on le relève calmement : “Je sens que vous êtes en colère. Qu’est-ce qui se passe ?” On valide ainsi les émotions. La plupart du temps, elles retombent très vite », assure la cadre. La maison de retraite met également en pratique l’Humanitude, une méthode de soins qui promeut le « respect de la personne âgée : on frappe trois fois, puis deux fois avant d’entrer doucement, pour éviter les effets de surprise, qui génèrent du stress, et parfois de la violence. Avant de faire une toilette, on demande son accord à la personne âgée, qui le donne dans 99 % des cas. Nous essayons aussi de repérer les personnes âgées qui ont besoin de manifester leurs émotions : certaines ont des punching ball dans leur chambre, d’autres sortent pour crier, d’autres encore ont besoin qu’on leur tienne la main en fin de journée ».

Mais même à la maison de retraite du Trélazé, certaines personnalités font échouer ces méthodes et épuisent les équipes. Par exemple « une vieille dame, qui n’a plus de famille, qui a reçu une éducation très stricte et qui ne supporte aucun écart, raconte Élisabeth Thétas. Elle est très désagréable, surtout aux dates anniversaires de sa vie. Elle se plaint sans cesse auprès du médecin, du Conseil général, de la Caisse primaire d’assurance maladie. C’est sa manière d’exister, mais les résidents et le personnel ne la supportent plus. Le directeur l’a déjà convoquée dans son bureau pour lui proposer de lui trouver une placeailleurs, mais elle refuse. Alors nous disons aux professionnels que leur exaspération est légitime, qu’ils méritent d’être respectés ».

Manque de personnel

Il y a encore une autre limite à la prise en compte des besoins individuels et elle est de taille : le manque de personnel. « Il y a quelques jours, une dame très anxieuse a giflé un résident et un agent. Nous nous sommes demandé quels leviers auraient pu être actionnés pour éviter ce geste, poursuit ainsi Élisabeth Thetas. Hélas, à ce moment-là, le groupe de résidents était trop important pour pouvoir consacrer du temps individuellement à cette personne. »

Le manque d’effectifs est d’autant plus criant face à des pathologies psychiatriques, elles, de plus en plus lourdes. Sylvie Torresse et Clémence Defois l’avouent sans gêne : « Nous subissons, car nous n’avons pas les effectifs et les compétences suffisants. Le médecin traitant est démuni. Les médecins psychiatres du secteur ne passent plus. Une infirmière psychiatrique intervient deux heures par semaine, elle nous donne quelques clés, mais c’est du soutien moral. Et quand nous envoyons des personnes âgées en pleine crise de démence à l’hôpital, on nous les renvoie en nous faisant comprendre que nous ne savons pas nous en occuper correctement. La violence que nous endurons est niée. »

1- Fnadepa : Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées ; AD-PA : Association des directeurs au service des personnes âgées.

REPÈRES

12 432 faits de violence signalés en 2013, soit une hausse de 9,6 % en un an.

64 % des atteintes aux personnes sont verbales (injures, insultes, menaces).

36 % des violences sont physiques (coups, violences avec armes…).

8 fois sur 10, la victime est un membre du personnel : les IDE en tête à 46 %.

Dans 72 % des cas, les patients en sont les auteurs. (ONVS, juin 2015.)