LES PINCEAUX DE L’ÂME - L'Infirmière Magazine n° 363 du 01/09/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 363 du 01/09/2015

 

ART-THÉRAPIE

SUR LE TERRAIN

TRANSMISSIONS

MARIE-LAURE MASSUCO  

Depuis 2010, l’unité de psychiatrie de l’hôpital Tenon (AP-HP), à Paris, propose un atelier d’art-thérapie visant à prendre en charge les psycho-traumatismes. Un projet insufflé par une IDE en addictologie, à partir de son expérience clinique de ces troubles complexes.

L’unité de psychiatrie de l’hôpital Tenon propose depuis cinq ans une prise en charge spécifique des psycho-traumatismes, qu’ils soient anciens ou récents, uniques ou répétés, se combinant le plus souvent avec d’autres troubles (thymiques, de personnalité, addictifs, conduites suicidaires…) et occasionnant une souffrance psychique intense. Dans la plupart des cas, les capacités adaptatives du patient face au trauma ont été débordées, entraînant une véritable « fracture » dans son fonctionnement, ainsi que des symptômes envahissant tous les secteurs de sa vie, et en particulier le champ relationnel : relation à soi, aux autres et au monde. La communication et le lien aux émotions se trouvent alors « coupés » et la mise en mots bloquée, enfermant l’individu dans la répétition permanente du scénario traumatique, même s’il en est parfois conscient. En proposant un travail d’expression via un média autre que la parole, l’art-thérapie peut servir de levier et offrir au patient un espace de mise à distance et de changement.

Bien que dans la relation de soins, notre culture de référence en tant que soignant passe par le langage verbal, l’expression ne se résume pas aux mots ; les mises en forme et mises en scène de soi à travers la création artistique sont porteuses de sens et favorisent souvent l’accès à ce que censure la conscience. Dans le cas de Lisa, qui se trouve soit dans une position de mise à distance des affects – en recherchant les états de dissociation induits par les produits psychotropes –, soit de contrôle absolu des émotions et des relations, l’approche par l’art-thérapie va lui permettre d’accéder à une expression plus authentique et de sortir peu à peu de l’enkystement traumatique.

Réalisation pas à pas

Le projet d’art-thérapie mis en place au sein de l’hôpital Tenon s’articule autour d’un atelier hebdomadaire, d’une durée de deux heures, proposé aux patients hospitalisés dans l’unité de psychiatrie. Lors d’une première rencontre avec les patients, je leur parle de cette activité et, en fonction des réserves émises lors de la synthèse hebdomadaire de l’équipe, les invite à y participer. Les seules contre-indications sont les états délirants, les agitations et décompensations aiguës, qui mettraient à mal le déroulement de cette séance en groupe ou qui pourraient être aggravés par la stimulation et les interactions.

L’unité accueille 20 patients et le groupe ne peut excéder 10 patients. L’approche par l’art-thérapie est particulièrement bénéfique dans le cas de difficultés majeures d’expression, de tendance au repli, etc. Une fois la salle et le matériel installés, nous avons un premier temps en commun qui permet de définir un « point de départ » – écoute musicale collective, choix d’une image dans une sélection proposée, jeux d’écriture en groupe, etc. –, auquel est associée une consigne. Celle-ci est toujours axée sur le ressenti et l’émotionnel dans le moment présent. Ce temps permet à la fois de lier le groupe et d’offrir un « starter », pour éviter l’angoisse de la « page blanche » et diminuer le sentiment d’incapacité souvent présent chez les sujets traumatisés.

Durant la seconde phase de réalisation, j’amène les patients à donner une forme à leurs ressentis, à l’aide de divers moyens (peinture, dessin, modelage, écriture, collage…) qu’ils peuvent associer à leur gré. Mon rôle consiste à la fois à observer puis à consigner, dans une fiche de synthèse, le déroulement de la séance, à encadrer et réguler les interactions dans le groupe, ainsi qu’à soutenir, conseiller ou stimuler si besoin le participant sur l’aspect technique et créatif. C’est un temps où l’aide à l’organisation et la valorisation des capacités, ainsi que le repérage des difficultés sont essentiels.

Enfin, la séance se termine sur un groupe d’expression et d’échange autour des réalisations de chacun et de l’expérience vécue. Chaque participant est libre ou non de s’exprimer. Ce partage permet un travail intéressant autour de la question des limites entre soi et l’autre, l’intime et le partageable, l’identité propre et les résonnances collectives (cf. René Kaës, Les théories psychanalytiques du groupe, PUF, 1999).

Je leur demande par la suite de donner un titre à leur œuvre, d’évoquer leurs ressentis, les bénéfices ou les difficultés identifiés lors de cet exercice créatif. Comme ces réalisations appartiennent au patient, lui seul décide de leur destin : certains les gardent, d’autres les donnent à un tiers ou les laissent à l’atelier. D’autres encore décident de les détruire. L’ensemble de l’équipe pluridisciplinaire a accès aux fiches de synthèse des séances, et les éléments importants sont transmis directement aux collègues référents (médecins, psychologues, IDE, AS…), ou évoqués lors des réunions cliniques hebdomadaires.

Les principaux objectifs de cette démarche artistique sont de favoriser d’autres formes d’expression que la parole, de viser à l’intégration émotionnelle, de stimuler les capacités (de concentration, d’organisation, de créativité, mais aussi relationnelles…), d’accompagner une transformation positive de la personnalité qui aidera à diminuer la souffrance psychique.

Statut de l’infirmière

Intervenir sous la double casquette d’art-thérapeute et d’infirmière présente à la fois des avantages et des limites. Le rôle d’infirmière est souvent identifié par le patient comme autorisant une proximité et un lien privilégié au quotidien, alors que la position médicale ou de psychologue impose plus fréquemment une forme de distance ou de crainte, en particulier dans le cadre du psycho-traumatisme où domine la peur de l’intrusion psychique. On peut donc imaginer que cette place de soignant de première ligne favorise la construction de l’alliance thérapeutique. La formation infirmière offre également les outils pour appréhender le patient dans sa réalité globale (médicale, sociale, psychique).

En revanche, il est important d’être clair sur la définition de son rôle d’art-thérapeute, afin que le patient ne soit pas dans la confusion et comprenne que s’il y a un travail thérapeutique, celui-ci ne se substitue en aucun cas à la psychothérapie mais en est complémentaire dans une visée holistique et pluridisciplinaire.

Cas de départ

Lisa est admise en psychiatrie à la suite d’une IVG quia amené la résurgence d’évènements traumatiques (attouchements entre 8 et 13 ans). L’équipe soignante note des antécédents de dépression et une tentativede suicide à 15 ans, une polyaddiction remontant à la fin de l’adolescence et des évènements de vie adverses : décès du père par cancer et viol sous la menace d’une arme à feu à 19 ans. Un tableau de trauma complexe, sur fond de remaniement de la personnalité, associé à des conduites addictives.

HISTORIQUE DU PROJET

→ 1988-1992 : Diplômes en arts graphiques.

→ Depuis 2006 : En poste dans un service spécialisé dans la prise en charge du psycho-traumatique à l’hôpital Tenon.

→ 2008 : Formation à l’approche systémique et aux groupes.

→ 2009 : Rédaction d’un projet visant à favoriser l’expression émotionnelle et la créativité dans une visée thérapeutique. Soumission à l’équipe.

→ 2010 : Validation et mise en place de l’atelier hebdomadaire.

→ 2012-2014 : Diplôme d’art-thérapeute.

→ Janvier 2014 : Mise en place d’un dispositif de suivi ambulatoire en art-thérapie.

DÉCRYPTAGE

Des mots au bout des doigts

L’œuvre de Lisa, « Le bon, le mauvais, si seulement je savais », est née d’un vrai processus thérapeutique.

→ Consigne : choisir un visuel « positif » et un « négatif » ; les mettre en rapport ; parler de ses représentations : dimension symbolique, implication dans un système de valeurs personnelles et lien à son identité propre différente de l’identité traumatique.

→ Réalisation : pastels, texte sur fond d’empreintes des mains au pastel noir, collage d’images et mots trash, évoquant le rock, le sexe, l’alcool, les excès et la souffrance, ainsi que des questions autour de l’identification, de l’appartenance, et de la possibilité de changer.

→ Commentaires : question des limites et repères, sentiment de confusion exprimé, attachement à la destruction comme identité, ambivalence et envie de changement.

→ Avancée thérapeutique : Lisa abandonne pour la première fois les productions idéalisées. Elle accepte son ambivalence et sa confusion, et évoque l’identité construite sur les traumatismes, l’idée de perdre un peu le contrôle pour évoluer vers sa vraie identité. Elle s’implique aussi dans une prise en charge globale (suivi psychologique et addictologique, shiatsu, formation…).

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