L’agitation aiguë, une urgence absolue - L'Infirmière Magazine n° 363 du 01/09/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 363 du 01/09/2015

 

FORMATION

BONNES PRATIQUES

Qu’elle soit d’origine organique, toxique ou psychique, la prise en charge de l’agitation aiguë est une priorité. Objectif : maîtriser la situation le plus rapidement possible et réaliser un diagnostic étiologique.

1. DESCRIPTION

L’état d’agitation aiguë est un trouble du comportement qui associe une hyperactivité motrice et une perte de contrôle des actes, de la parole et de la pensée. L’agitation aiguë, qui peut s’accompagner d’une violence verbale et comportementale auto ou hétéro-agressive, est une préoccupation quotidienne des services d’accueil et d’urgences.

Plusieurs étiologies

Les causes de l’agitation aiguë sont organiques, toxiques et psychiques. L’origine psychique de l’agitation ne doit être envisagée qu’après élimination des autres causes possibles. Si l’état du patient rend l’examen difficile, une communication, voire un examen clinique, est parfois réalisable.

→ Principales causes organiques : hypoxie, hypercapnie, état de choc, douleur, rétention urinaire, fécalome, hyperthermie, hypoglycémie, troubles hydroélectrolytiques, épilepsie, méningite, AVC, hémorragie méningée, traumatisme crânien…

→ Principales causes psychiques : accès maniaque, bouffée délirante aiguë, épisode psychotique aigu, délire paranoïaque, anxiété, attaque de panique, agitation hystérique, syndrome confusionnel ou démentiel. La survenue d’une agitation aiguë chez une personne âgée est souvent attribuée à une aggravation de la démence (Alzheimer par exemple) alors qu’elle peut être révélatrice d’un syndrome iatrogène ou d’une affection intercurrente (infection, diabète, fécalome…).

→ Principales causes toxiques : alcool, substances psychotropes, médicaments (corticoïdes, antidépresseurs…) peuvent être à l’origine d’une agitation aiguë, qui peut aussi être observée en période de sevrage. Les principaux symptômes psychiques d’un syndrome sérotoninergique (intoxication par médicaments, surtout les psychotropes) sont l’agitation, la confusion et l’hypomanie.

Types d’agitations psychiatriques

→ L’agitation maniaque se manifeste par l’apparition brutale d’un état d’excitation psychique et d’exaltation thymique. L’humeur euphorique s’accompagne d’une logorrhée avec tachypsychie (accélération du cours de la pensée), hyperactivité ludique et désinhibition globale. L’humeur est versatile, le contact est faible et superficiel.

→ Agitation et schizophrénie : le diagnostic de schizophrénie sera évoqué lorsque l’agitation s’associe à des interprétations délirantes, à un syndrome d’influence (conviction qu’une force occulte dirige ses pensées et commande ses actes et ses comportements : « On me fait parler, on me fait penser, on me fait agir, etc. ») ou un syndrome dissociatif (les affects, les pensées et les comportements ne sont plus liés ensemble harmonieusement)(1). L’agitation associée à une schizophrénie est marquée par la froideur, le retrait affectif et l’ambivalence, avec un caractère discordant et imprévisible.

→ Agitation des bouffées délirantes aiguës : l’humeur est labile, les hallucinations fréquentes et les thèmes délirants variés et nombreux. Les troubles du comportement sont généralement liés aux idées délirantes.

→ Agitation et crise d’angoisse : l’agitation peut surgir lors d’une attaque de panique caractérisée par la survenue brutale d’une peur intense et sans objet (angoisse), d’un sentiment de mort imminente, de la peur de devenir fou (par la perte de sa contenance psychique) ou de la crainte d’une catastrophe. L’agitation, quand elle existe, est au second plan derrière l’angoisse. Les signes somatiques associés peuvent masquer le tableau psychique : étouffement, oppression thoracique, palpitations, sueurs, tremblements, nausées, vomissements, sensations vertigineuses, instabilité motrice. La mélancolie (profonde tristesse) anxieuse et les syndromes dépressifs peuvent s’accompagner d’une agitation déclenchée par une angoisse importante avec un risque majeur de passage à l’acte suicidaire.

→ L’agitation caractérielle : dans ce cas, l’agitation est principalement réactionnelle. Elle se manifeste par une crise explosive chez une personne impulsive, intolérante à la frustration, qui profère des accusations intempestives et inadaptées pour mettre en jeu la responsabilité du médecin ou des tiers. Chez le sujet psychopathe, qui contrôle difficilement son impulsivité, l’agitation est souvent secondaire aux frustrations imposées par le milieu. Chez la personne hystérique, l’agitation a un caractère théâtral.

2. CONDUITE À TENIR

L’agitation aiguë est une urgence absolue dont la prise en charge a deux objectifs majeurs : maîtriser la situation le plus rapidement possible et réaliser un diagnostic étiologique.

Approche relationnelle

Malgré l’urgence, et parfois le danger, la prise en charge du patient agité consiste, dans un premier temps, par l’établissement ou le maintien d’une relation avec le patient. Pour cela, le soignant déploie une approche calme, bienveillante, rassurante mais ferme, afin de de créer et de maintenir une relation de confiance avec le patient. Le soignant s’assure de la présence d’aides suffisantes afin d’éviter une agression potentiellement dangereuse, et fait appel à des renforts si nécessaire. Il demande aux autres patients de s’éloigner, lui-même se tenant hors de portée de bras du sujet agité. Après s’être présenté et avoir tenté de rassurer, le soignant interroge le patient sur ce qui lui pose problème et ce qu’il souhaiterait pour y remédier. Il s’agit de comprendre les raisons de son comportement sans les minimiser. Quand des objets dangereux sont accessibles ou déjà dans les mains du patient agité, il vaut mieux lui demander de les poser et de s’en éloigner. De même, il est préférable d’éloigner les personnes susceptibles d’amplifier l’agitation du patient, comme la famille, et, si besoin, de le déplacer dans une autre pièce. Le soignant cherche alors à ramener le patient à la réalité en lui proposant une boisson par exemple. Les autres soignants restent pour servir de tiers dans la relation et la communication, ils permettent de sécuriser la relation.

Contention et sédation

Lorsque l’approche relationnelle n’est plus possible, il est nécessaire de recourir à une contention physique associée à une sédation. Le type de contention est adapté à la situation et le contact verbal est maintenu. L’intervention de l’équipe soignante est organisée et coordonnée pour garantir la sécurité de tous et assurer une installation de la contention rapide afin d’éviter que le patient s’agite et que son angoisse se majore. La bonne position de ce dernier est contrôlée en s’assurant, notamment, de la liberté des voies aériennes. En cas de manifestations de violence mettant en danger immédiat le patient ou l’équipe médicale, sédation et contention sont réalisées d’emblée. La contention physique est un acte prescrit destiné à permettre la sédation médicamenteuse. Elle est levée dès que la sédation est efficace. Une surveillance de l’état somatique est maintenue (risque de constipation, surveillance de l’hydratation, risque de fausse route ou de risque thrombo-embolique).

Décision d’hospitalisation

Lorsque l’agitation perdure malgré le traitement administré en urgence ou en cas de coexistence d’un trouble susceptible de justifier une évaluation plus approfondie, le patient est orienté vers un service d’accueil en secteur fermé de psychiatrie (voir plus loin). Ces services sont spécialisés dans le traitement de la crise et peuvent poser un diagnostic psychiatrique.

3. PRISE EN CHARGE

Traitement médicamenteux

Les benzodiazépines et les neuroleptiques sont les deux classes pharmacologiques utilisées dans le traitement de l’agitation aiguë (lire p. 49). L’administration par voie orale est privilégiée, mais elle peut être refusée par le patient agité. La voie intramusculaire est alors le mode d’administration le mieux adapté.

Traitement institutionnel de la crise

Le secteur « fermé »

Les unités fermées de soins psychiatriques proposent un cadre contenant pour des patients présentant des états de crise persistants, une dangerosité psychiatrique ou des troubles majeurs du comportement. Elles accueillent les patients pour un bilan d’orientation diagnostique et thérapeutique irréalisable dans des conditions satisfaisantes dans les services de psychiatrie générale. Spécialisées dans le traitement de la crise, les unités du secteur fermé hébergent temporairement des patients nécessitant une surveillance plus stricte lors de décompensations aiguës de pathologie chronique (schizophrénie, troubles bipolaires…), d’états de crise suicidaire ou de troubles des conduites sociales. Pour des patients en rupture de lien social ou thérapeutique, l’hospitalisation en unité fermée propose un moment d’apaisement, d’expression de la souffrance. Elle permet de réaliser un bilan et une évaluation psychiatrique, psychologique et sociale.

Une fonction de pare-excitation

L’unité fermée de psychiatrie est aussi fermée dans le sens extérieur vers l’intérieur. Du coup, elle a une fonction de protection contre des excitations en provenance du monde extérieur, sources d’angoisse et d’agitation. Le phénomène de pare-excitation consiste surtout à préserver l’équilibre psychique de l’individu en filtrant sa perception de la réalité extérieure. « Le cadre d’un service fermé a paradoxalement pour but d’ouvrir à la vie psychique en procurant aux patients un espace figurant un intérieur et un extérieur », explique Jean-Paul Lanquetin, infirmier de secteur psychiatrique et praticien chercheur au centre hospitalier de St-Cyr-au-Mont-d’Or (69).

Pour que l’équipe soignante contribue à l’effet de pare-excitation de l’unité, les soignants doivent disposer d’un temps de travail pour se rendre disponible aux patients. Ce temps permettra de renforcer l’alliance thérapeutique, mais aussi de repérer les signes de tension chez un patient et d’anticiper, voire de désamorcer, une éventuelle agitation. Une agitation ou une situation de violence constitue le plus souvent la résultante d’incidents évoluant à bas bruit et non pris en compte ou repérés. C’est dans ces moments que les soignants « sentent » que le patient ne va pas bien sans qu’il n’y ait pourtant d’élément concrètement différent dans son attitude. Sans ce temps d’observation et d’échange avec les patients, la fonction de pare-excitation ou de prévention des crises des soins infirmiers est très vite débordée.

L’isolement thérapeutique

L’isolement thérapeutique en psychiatrie a été considéré il y a deux siècles comme un progrès majeur en se substituant à la contention physique des patients par des entraves. Actuellement, l’isolement à but thérapeutique est une pratique fréquente, sujette à des incertitudes persistantes sur les conduites à tenir dans ce domaine. Ce qui a justifié l’audit clinique sur l’isolement thérapeutique publié en 1998 par l’Anaes à la demande des professionnels de psychiatrie, et qui sert aujourd’hui encore de référence en la matière(2).

Un soin mal encadré

Sur un plan juridique, la notion de « mise en chambre d’isolement » est très floue(2). Seule une circulaire de juillet 1993 rédigée par Simone Veil, ministre de la Santé, pose que les restrictions apportées à l’exercice des libertés individuelles doivent être strictement limitées « à celles nécessitées par leur état de santé et la mise en œuvre de leur traitement ». Il est rappelé qu’en toutes circonstances la dignité de la personne hospitalisée doit être respectée et sa réinsertion recherchée. La circulaire Veil laisse aussi considérer que tout patient dans une chambre dont la porte est verrouillée, séparé de l’équipe de soins et des autres patients, se trouve de ce fait en isolement. Cet isolement ne peut avoir qu’un but thérapeutique.

Un processus de soin

L’isolement est un acte de soin consistant à confiner un patient dans une chambre spécialement dédiée pour le mettre en retrait de la vie institutionnelle du service et du contact avec les autres patients, ainsi que des stimuli perturbateurs. L’utilisation de l’isolement thérapeutique représente un processus de soins intensifs complexe, justifié par une situation clinique initiale (voir les motifs d’isolement ci-dessous). L’isolement est maintenu jusqu’à l’obtention d’une amélioration clinique(2). Le processus de soin comprend de nombreux éléments : prescription, accompagnement du patient, délivrance de soins, surveillance, etc (voir p. 50). Ces actes sont réalisés par les différents professionnels d’une équipe de soins, selon leurs champs de compétence et de responsabilité.

La décision de mise en chambre d’isolement

Elle est prise par un médecin ou, en cas d’urgence, par l’équipe infirmière dans le cadre dit des « actes conservatoires ». Dans ce cas, le patient est vu par le médecin dans l’heure qui suit la mise en chambre d’isolement (CI), et une prescription d’isolement est établie. Le patient est informé de la décision de son accompagnement en chambre d’isolement thérapeutique psychiatrique, et des raisons qui la fonde. La nécessité d’informer l’entourage est examinée (référentiel Anaes, juin 1998). La prescription de l’isolement thérapeutique devra être reconduite toute les 24 heures par le médecin.

• Indications de l’isolement thérapeutique :

– prévention d’une violence imminente du patient envers lui-même ou autrui alors que les autres moyens de contrôle ne sont ni efficaces et/ou ni appropriés ;

– prévention d’un risque de rupture thérapeutique alors que l’état de santé impose les soins (maintien du traitement sous contrainte) ;

– isolement intégré dans un programme thérapeutique ;

– isolement en vue d’une diminution des stimulations reçues ;

– utilisation à la demande du patient. Certains patients qui connaissent bien leur pathologie peuvent demander d’eux-mêmes à être placé en isolement pour apaiser leurs symptômes.

• L’isolement à visée non thérapeutique contre-indiqué :

– utilisation de la CI à titre de punition ;

– état clinique ne nécessitant pas un isolement ;

– utilisation uniquement pour réduire l’anxiété de l’équipe de soins ou pour son confort ;

– utilisation uniquement liée au manque de personnel.

• Contre-indications somatiques :

– affection organique non stabilisée (diagnostic ou pronostic suffisamment incertains ou graves pour nécessiter des soins et une surveillance intenses) : insuffisance cardiaque, état infectieux, trouble de la thermorégulation, trouble métabolique, atteinte orthopédique, atteinte neurologique ;

– risques lié à la prise de toxiques avant la mise en CI (drogue ou alcool) ;

– surdosage médicamenteux.

• Motifs d’isolement. Les motifs de mise en chambre d’isolement les plus fréquents sont :

– un comportement violent envers les professionnels ou les autres patients ;

– un comportement non violent, mais inapproprié tel que l’agitation, les tentatives de « fugue » ou un comportement de dénudation ;

– les risques d’automutilation et de suicide.

En pratique, l’isolement résulterait d’une démarche empirique qui associe les fonctions :

– de limitation du caractère contagieux de l’agitation et de la violence aux autres patients ;

– et de mise au calme et de protection du patient face aux stimulations excessives.

• Des périodes propices à l’isolement. Les périodes où le recours à l’isolement est le plus fréquent sont les premiers jours d’hospitalisation, les moments de la journée où l’emploi du temps du patient n’est pas structuré par des soins ou des activités, et où l’équipe de soins est moins disponible, lors de participation à des réunions par exemple(2).

Caractéristiques de la qualité de l’isolement

Les auteurs de l’audit(2) proposent plusieurs critères de la qualité de l’isolement thérapeutique :

– l’acceptabilité de l’isolement qui concerne, entre autres, le respect du patient, son confort, l’information délivrée à lui-même et à son entourage le cas échéant ;

– l’accessibilité aux professionnels et à l’information ;

– isolement approprié en conformité avec les indications et contre-indications thérapeutiques, et à la modalité d’hospitalisation ;

– surveillance adaptée aux risques à gérer et à la continuité des soins ;

– sécurité des patients qui repose sur la gestion des risques physiques et psychiques liés au patient lui-même, à sa maladie et à la mise en œuvre de l’isolement ;

– sécurité des personnels comme un facteur essentiel de la qualité des soins.

Surveillance du patient isolé

Le patient doit bénéficier d’une surveillance médicale avec pour objectifs :

– le contrôle des paramètres physiques et biologiques quand la pathologie est évolutive. Exemple, si le patient refuse de s’alimenter, évaluer la nécessité d’une alimentation périphérique après 48 heures, en fonction de la situation clinique et des antécédents ;

– l’élaboration d’un diagnostic après observation en cas de diagnostic imprécis ;

– la surveillance et la prévention d’un traitement susceptible de présenter des risques (neuroleptiques par exemple). Exemple, en cas de recours à une contention physique, prescription d’un bilan sanguin à partir de 12 h à 24 h de contention : ionogramme, créatinémie et dosage des CK (créatine kinase) qui est le témoin de la lyse musculaire en position allongée sur plan dur. Si CK > 10 000, nécessité de prescrire un ECG et un dosage de la kaliémie ;

– la prévention des gestes violents auto-agressifs liés à l’état de conscience ou aux troubles psychiques. Tout élément susceptible de permettre au patient de s’automutiler ou de tenter de se suicider est proscrit.

1- Voir « La schizophrénie », L’Infirmière magazine n° 350, septembre 2014.

2- « L’audit clinique appliqué à l’utilisation des chambres d’isolement en psychiatrie », Anaes (HAS depuis 2005), juin 1998.

HÔPITAUX

À chaque service sa pathologie

Les causes d’agitation aiguë diffèrent entre le milieu psychiatrique et les services d’urgences*.

→ En psychiatrie, les pathologies psychotiques (70 %) et maniacodépressives (13 %) constituent la majorité des diagnostics.

→ Aux urgences médicales, 3,5 % des agitations ont une cause organique, principalement hypoglycémies, accidents vasculaires cérébraux, infarctus du myocarde et insuffisance respiratoire aiguë.

→ La consommation d’alcool, peu impliquée en psychiatrie, est l’origine de 59 % des cas d’agitation aux urgences médicales.

* « Conduite à tenir devant une agitation aux urgences », F. Moritz, J. Jenvrin, S. Canivet, D. Gerault, Service d’accueil et d’urgences du CHU de Rouen, août 2014.

POINT DE VUE

« La culture de l’accompagnement disparaît »

JEAN-PAUL LANQUETIN, INFIRMIER DE SECTEUR PSYCHIATRIQUE ET PRATICIEN CHERCHEUR AU CENTRE HOSPITALIER DE SAINT-CYR-AU-MONT-D’OR (69)

« Les actions de prévention, d’accompagnement ou d’amortissement d’une crise d’agitation donnent rarement lieu à lisibilité. Du coup, les actes de désamorçage, de maintien d’une alliance thérapeutique, en amont de la crise, ne sont ni valorisés, ni renforcés. Ces actions de soin relèvent de la part “invisible” du rôle propre des soignants. En fait, elles n’apparaissent que dans l’échec de leur déploiement, car en situation de crise, il y a une traçabilité des actes que ne connaissent pas les actions liées à la prévention.

L’évaluation de la charge en soins devrait tenir compte des impératifs de gestion quotidienne du service, mais aussi d’une situation de tension qui, avérée ou potentielle, est une composante permanente du soin.

Tension permanente

En psychiatrie, tout patient peut présenter à un moment ou à un autre un état d’agitation à cause d’un interdit posé par le personnel soignant ou suite à un sentiment, fondé ou non, de ne pas être compris ou entendu.

Et deux ou trois patients peuvent mobiliser la quasi-totalité des disponibilités soignantes présentes. En conséquence, l’amplitude et la rapidité des fluctuations de la charge de travail deviennent une difficulté centrale de la pratique infirmière.

Une organisation du “prendre soin”

La question des effectifs n’est pas le seul aspect du problème. En termes d’organisation du travail, lorsque les temps de la relation avec les patients sont absents, l’équipe soignante perd sa capacité à contenir, prévenir et anticiper, c’est-à-dire à prendre soin. La charge psychique, la tension, le stress deviennent pesants et les conditions de travail sont attaquées. L’équipe soignante qui a perdu sa capacité d’anticipation est alors soumise à une constante obligation de réponse. Résultat, on assiste ces dernières années à une sorte de systématisation du recours à l’isolement, aux traitements médicamenteux de la crise et aux entraves mécaniques. Et certains professionnels en arrivent même à penser qu’on ne peut pas faire autrement. On oublie que de rares établissements travaillent sans chambre d’isolement ou ont réduit considérablement leur recours. Au-delà du problème des effectifs, si les temps d’accompagnement disparaissent, c’est parce que la culture de l’accompagnement disparaît. »

INTERVIEW

« L’ISOLEMENT, UN ATOUT THÉRAPEUTIQUE »

CECILE BOURSEILLER

CADRE DE SANTÉ À L’HÔPITAL MAISON BLANCHE – AVRON (PARIS)

Pourquoi avez-vous souhaité améliorer le protocole de la chambre d’isolement thérapetique (CIT) ?

J’étais infirmière et le protocole de soins pour la CIT proposait des outils permettant une traçabilité qui, pour moi, ne reflétait pas complètement la pratique infirmière. Un avis partagé par l’équipe. C’était très compliqué de retrouver une information concernant l’état somatique du patient et la prise en charge relationnelle faite par les soignants. En plus, notre protocole ne collait plus aux nouvelles recommandations de la Haute autorité de santé (HAS) publiée à cette époque(1). Une réflexion s’est développée au sein de l’équipe en même temps que l’hôpital proposait des « formations actions pour l’amélioration de la qualité ». Je suis devenue chef de projet pour cette évaluation des pratiques profesionnelles en CIT.

Un parcours d’évaluation qualité complet autour de ce soin a mis en évidence la nécessité de revoir nos protocoles et nos outils de traçabilité(2). Ce qui fut réalisé.

Quel est ce travail relationnel des soignants qui n’était pas reporté dans les transmissions ?

Tout le travail relationnel de l’équipe n’était pas retracé. Les transmissions étaient principalement axées sur l’aspect factuel des soins. Est-ce que le patient a mangé ? A-t-il pris sa douche, son traitement ?

Tout ce qui concerne l’observation soignante, le tissage relationnel n’apparaissait pas, alors que c’est un aspect primordial des soins en psychiatrie.

En CIT, la relation est compliquée à mettre en place vis-à-vis d’un patient à qui on a restreint la liberté de mouvements et qui ne le comprend pas comme un soin dans un premier temps.

La situation en CIT « oblige » en quelque sorte le patient à rentrer en relation avec l’équipe soignante qui est son seul interlocuteur. Le soignant fait le lien avec l’extérieur. Il endosse un rôle de messager. « Votre famille a appelé pour prendre de vos nouvelles », « votre mari a téléphoné, vos enfants vont bien », « quelqu’un s’occupe de votre chat », etc.

De fait, lors de leur passage en CIT, les patients finissent par tisser des liens relationnels forts avec les soignants.

Cette proximité relationnelle permet aussi aux soignants de distinguer ce qui relève du pathologie ou de la personnalité chez le patient.

Pensez-vous que la CIT est un lieu privilégié pour le traitement de la crise ?

Effectivement, la CIT est très contenante et apaisante pour un patient agité. Elle permet une observation privilégiée de l’état du patient, des variations de son humeur au cours, ou encore des éléments considérés comme « persécuteurs » par le patient.

Par exemple, des idées xénophobes peuvent être travaillées. Si un soignant est visé pour ses origines ethniques, il continue à intervenir en CIT dans une position de tiers bienveillant par rapport au patient en relation avec le soignant qui gère le soin.

L’isolement thérapeutique est aussi un atout pour la mise en place d’un traitement en toute sécurité. Le patient est sédaté dès sa mise en chambre d’isolement qui est un lieu très angoissant sans cela. Une sédation dégressive sur trois jours permet l’intégration du traitement par neuroleptique par exemple.

Durant ce délai, le neuroleptique commence à agir et la sédation est progressivement levée. L’observation de la réaction du patient permet l’adaptation du traitement.

1- « L’audit clinique appliqué à l’utilisation des chambres d’isolement en psychiatrie », Anaes.

2- Voir document p. 50.

RÉGLEMENTATION

Isolement et hospitalisation en soins libres

→ L’hospitalisation en soins libres (SL) des malades atteints de troubles mentaux est la règle, les soins sous contrainte l’exception. Un patient en SL a les mêmes droits que tout autre malade hospitalisé pour une autre cause, dont celui d’aller et venir librement. Les patients en HL ne peuvent donc « en aucun cas être installés dans des services fermés à clé, ni a fortiori dans des chambres verrouillées ».

→ La circulaire de juillet 1993 rédigée par Simone Veil, ministre de la Santé, précise que pour des raisons tenant à sa sécurité, il est cependant possible d’isoler le patient quelques heures en attendant la résolution de la situation d’urgence ou la transformation de son mode d’hospitalisation en hospitalisation sous contrainte.