De l’action préventive à l’écoute - L'Infirmière Magazine n° 363 du 01/09/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 363 du 01/09/2015

 

FORMATION

ENSEIGNEMENT

Afin de consolider la formation initiale des personnels hospitaliers exerçant en psychiatrie, notamment des infirmières, différents programmes ont vu le jour. Objectif : améliorer la qualité des interventions, tout en les sécurisant.

Depuis la réforme des études infirmières en 1992, les IDE n’ayant jamais exercé en psychiatrie expriment des difficultés à se situer et à agir dans la prise en charge des patients souffrant de pathologies mentales. Un constat repris dans une circulaire du 16 janvier 2006(1). Malgré une formation initiale sur la sémiologie psychiatrique, les connaissances de base nécessaires à la pratique profes?sionnelle en psychiatrie sont à compléter. Le plan psychiatrie et santé mentale 2005-2008 considérait la consolidation de la formation initiale et continue des infirmiers exerçant en psychiatrie comme prioritaire. Dans les établissements psychiatriques, la prise en charge des crises d’agitation aiguë des patients, symptomatiques de la pathologie, fait partie du soin. Pour améliorer la qualité des interventions des soignants, certains hôpitaux ont intégré des formations destinées à tout professionnel confronté à un risque d’agitation ou de violence de la part du public (voir ci-dessous, « formations complémentaires »). Ces techniques permettent aussi, si besoin, de gérer les difficultés relationnelles avec les proches ou accompagnants.

1. 105 HEURES POUR RENFORCER SES ACQUIS

Depuis 2005, une formation complémentaire initialement intitulée « Consolidation et intégration des savoirs et des pratiques en soins pour l’exercice infirmier en psychiatrie » est proposée à tous les infirmières nouvellement affectées en service de psychiatrie (nouveaux diplômés ou n’ayant jamais exercé en psychiatrie).

D’une durée de 15 jours (5 × 3 jours) répartis sur deux ans, cette formation (2) - aussi appelée « formation des 105 heures » - a pour objectifs de :

- favoriser une prise de fonction optimale à l’infirmière qui intègre le champ de la psychiatrie ;

- comprendre les interactions entre soignées et soignants en psychiatrie ;

- favoriser une mobilisation des acquis et des connaissances lors des situations de soins ;

- permettre au soignant la construction d’une alliance thérapeutique avec le patient ;

- acquérir une distance relationnelle structurante et contenante avec le patient ;

- développer le raisonnement clinique ;

- s’inscrire dans la réflexion et la prise en charge de l’équipe pluridisciplinaire.

A savoir : les hôpitaux psychiatriques proposent des formations complémentaires de la formation « Consolidations des savoirs en psychiatrie ». Certaines préparent à la gestion de comportements difficiles et de crises d’agitation en vue de sécuriser l’intervention tant pour le patient que pour le soignant dans une situation d’urgence.

3. L’APIC, POUR UNE APPROCHE PRÉVENTIVE

Une formation adaptée au profil de chaque profession

D’origine québécoise, la formation « Approche préventive et intervention contrôlée » (Apic) s’adresse à tout professionnel confronté à des manifestations de violence de la part d’un public. Cette formation proposée aux personnels hospitaliers met l’accent sur l’action préventive avant l’utilisation de techniques d’interventions physiques. « Au centre hospitalier Le Vinatier, la formation a été, dès 2002, proposée aux infirmières, professionnelles de première ligne lors de la gestion de situations difficiles. Dès 2014, l’offre a été étendue à tous les paramédicaux et aux professionnels de l’établissement en contact direct avec les patients (agents de service hospitaliers) et personnels administratifs (bureau des entrée et services tutelle). La formation est également ouverte aux médecins et psychologues », rapporte Christine Cozon, cadre supérieur de santé au CH Le Vinatier à Bron (69). Son contenu est alors adapté à la position professionnelle de chacun vis-à-vis des situations de crise, notamment en ce qui concerne l’approche préventive et l’intervention physique.

Quatre axes de compétences

La formation Apic développe différentes compétences et savoir-faire pour gérer une situation de crise de façon sécurisée pour les patients comme pour les soignants.

→  Agir en sécurité : le soignant apprend à se positionner face à un patient qui présente une agitation verbale et/ou motrice afin de pouvoir établir un contact sécurisé. La distance physique avec le patient doit être suffisante, le positionnement du corps stable pour être en capacité de se protéger si besoin, tout en restant dans une attitude signifiant l’accueil et l’écoute de la problématique du patient. « Il est important d’évaluer la possibilité d’établir un contact verbal malgré l’agitation, souligne Christine Cozon, qui a participé à l’audit sur l’utilisation des chambres d’isolement en psychiatrie réalisé par l’Anaes(2). Il faut toujours proposer un choix au patient pour qu’il soit acteur de la décision. » Par exemple, lui demander : « Monsieur, êtes-vous en capacité de vous calmer et de vous asseoir avec nous. On va pouvoir s’occuper de vos demandes », « Si ce n’est pas possible, on va vous demander d’aller en chambre d’isolement, un endroit plus sécurisé où vous pourrez vous calmer.  » Ou encore lui proposer des solutions possibles pour sortir de la situation et éviter les injonctions directives du type « Maintenant, ce n’est plus possible, vous allez en chambre d’isolement ». Le patient doit être respecté dans sa difficulté à se contrôler et conserver la possibilité de décider d’une alternative avant l’intervention physique des soignants.

→ Évaluer le contexte : cette évaluation porte à la fois sur le contexte, le comportement de la personne agitée (agitation motrice, menaces verbales et/ou physiques) et la capacité des soignants à intervenir (nombre de soignants présents, expériences…). En ce qui concerne l’environnement du patient agité, le soignant repère par exemple les issues pour sortir d’une pièce et la présence d’objets dangereux à portée de main du patient. Il observe également autour de lui ce qui peut gêner ou risquer de blesser le patient en cas d’intervention physique (une table, une valise…).

L’évaluation du patient se fait à partir d’échelles des comportements proposées en formation (voir la grille du potentiel de dangerosité, p. 58). Une fois acquise, l’échelle permet une intervention adaptée au degré de violence et de dangerosité du comportement du patient. Les soignants doivent aussi auto-évaluer leurs capacités présentes. Ont-ils vécu une situation d’agression récemment ? Se sentent-ils à même d’intervenir ? Après quoi, chaque soignant peut se positionner, soit en prenant une position de leader dans le déroulement de l’intervention, soit en laissant ce rôle à un collègue plus à même de gérer l’intervention du collectif soignant.

→ Maîtriser l’intervention physique : si une intervention physique s’avère nécessaire, la formation propose des techniques qui permettent de se protéger, de protéger les collègues et de ne pas blesser le patient. La maîtrise des gestes de contention est enseignée pour que l’intervention se fasse dans le respect du corps du patient et de sa dignité. D’autant que le déroulement de cette intervention sera repris avec le patient et aura une influence sur les relations futures soignants-soigné et donc sur la prise en charge.

→ Repasser le film de l’intervention : une révision post-incident de la situation vise à développer une clôture positive et concrète de l’incident dont il faut tirer des enseignements pour d’éventuelles futures situations de crise. L’équipe doit s’interroger sur ce qui pourrait être amélioré et comment. « Cette révision postincident est essentielle pour l’équipe d’intervention, car elle lui permet de clôturer ce type d’événement toujours difficile pour un soignant et pour une équipe, mais également pour sécuriser les situations à venir. Elle doit donc se dérouler dans un esprit positif, en considérant avant tout que ce qui a été fait était ce qu’il y avait de mieux à faire à un instant T. Ne pas glisser dans la critique des uns et des autres est important et considérer que chacun a agit du mieux qu’il a pu à ce moment », précise Christine Cozon. Sachant que « l’intervention doit être mise en place très rapidement face à l’urgence et qu’elle sollicite un savoir-être et un savoir-faire qui ne se développent qu’avec l’expérience ».

Bilan au CH Le Vinatier

« Au centre hospitalier Le Vinatier, la formation existe depuis dix ans à raison de 10 à 12 sessions de 20 participants par an. Toutes les sessions sont complètes et il y a des listes d’attente, constate Christine Cozon. Les évaluations des formations par les participants sont très positives. Ils rapportent des améliorations de leurs pratiques avec une meilleure gestion des situations et des méthodes d’intervention jugées plus appropriées, plus sereines et plus sécurisantes. »

5. OMÉGA

Certains hôpitaux ont opté pour le programme Oméga, autre formation québécoise à la sécurité du travail pour les professionnels confrontés à des épisodes de violence de la part du public. Avec une approche similaire à celle de l’Apic, la formation Oméga repose sur des techniques verbales, psychologiques et physiques pour intervenir dans des situations de crise. Le travail en équipe est valorisé.

Principes du programme

Les objectifs visent une intervention adaptée et sécurisée. Il s’agit de :

- limiter au maximum la nécessité de contrôle physique. Posséder une technique unique et efficace pour le premier contact verbal en situation d’agressivité ;

- la sécurité de soi, des collègues et des patients tant des points de vue psychologique, social et déontologique que physique. Acquérir des techniques de protection physique faciles à apprendre et à appliquer ;

- respect de soi, des collègues et des patients concernant leurs capacités, leurs limites et leur dignité ;

- le professionnalisme en regard des règles de l’art et des codes professionnels ;

- la responsabilisation des intervenants, c’est à dire leur capacité à assumer les conséquences de leurs choix et gestes. Pouvoir évaluer les différences individuelles, les forces et les limites de chacun afin d’optimiser l’efficacité des techniques proposées. Également, la responsabilisation du patient ou de l’accompagnant à qui sont signifiées les conséquences de leurs gestes.

La pacification de crise

Cette méthode d’écoute emphatique - mise au point par Michel Plante, psychologue québécois -, permet de distinguer rapidement de quel type d’agressivité le patient relève. Dans le cas de crises émotionnelles (réactionnelles), largement majoritaires en santé mentale, elle peut suffire à elle seule à résoudre l’épisode de violence(3). En termes de bénéfices secondaires, elle génère beaucoup d’information sur le vécu du patient et ses difficultés. Elle a donc une valeur indiscutable du point de vue clinique tout en étant très sécuritaire et simple à utiliser. La pacification de crise est un élément de la formation Oméga utilisable jusqu’à un certain niveau de dangerosité (voir tableau ci-contre) alors que l’intervention physique n’est pas encore nécessaire.

1 - « Cahier des charges de la formation consolidation des savoirs », circulaire du 16 janvier 2006 relative à la mise en œuvre du tutorat pour les nouveaux infirmiers exerçant en psychiatrie.

2 - Cette formation est aujourd’hui dénommée « Consolidations des savoirs en psychatrie ».

3 - « L’audit clinique appliqué à l’utilisation des chambres d’isolement en psychiatrie », Anaes (Haute autorité de santé depuis 2005), juin 1998.

4 - « La formation Oméga : apprendre à gérer les crises de violence », Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur affaires sociales (Québec), 1999.

POINT DE VUE

« Rester dans le soin »

CHRISTINE COZON CADRE SUPÉRIEUR DE SANTÉ AU CH LE VINATIER À BRON (69)

« En psychiatrie, le recours systématique à une intervention physique immédiate des soignants pour gérer le comportement difficile ou l’agitation physique d’un patient présente un risque pour le soin, le soignant et le patient. D’où l’importance pour le soignant d’évaluer la situation avant d’intervenir physiquement et de maîtriser sa technique d’intervention. Face à l’urgence de la crise, chaque soignant réagit d’abord avec ce qu’il est, son expérience, ses capacités à maîtriser son stress. Ce type de situation de soin quasi quotidienne est exigeante pour chaque soignant travaillant en psychiatrie, son intervention doit respecter le patient dans a problématique psychiatrique et prendre en compte les difficultés exprimées quel que soit leurs modes d’expression.

La violence, un symptôme

Car l’agitation et la violence doivent prendre sens et s’inscrire dans la clinique psychiatrique. Pour cela, la méthode Apic(1) permet au soignant de se positionner de façon sécuritaire, instaure la notion de temporalité pour permettre une observation/évaluation rapide pour communiquer avec le patient. Le but est de prévenir et d’éviter autant que faire se peut l’intervention physique. La formation Apic est complétée au centre hospitalier Le Vinatier par une formation intitulée “approche clinique de la violence” pour inscrire l’intervention Apic dans une dynamique soignante. Il est en effet important de restituer la violence comme un symptôme dans l’expression d’une pathologie psychiatrique. La crise d’agitation est le reflet de la désorganisation psychique due à la maladie mentale.

Le soignant doit rester dans le soin, le respect du patient même en cas d’urgence, et toujours avoir pour but de créer ou maintenir une alliance thérapeutique avec le patient. »

1 - Approche préventive et intervention contrôlée.

LE SAVIEZ-VOUS ?

La très grande majorité des blessures subies par les personnels dans des situations de violence* se produisent lors d’une tentative de contact avec la personne agressive initiée par le professionnel lui-même : soin, approche physique trop rapide, proximité, mise en isolement ou sous contention.

* « Crise de violence », Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur affaires sociales (Québec), 2006.

ÉTUDIANTS EN IFSI

Les UE en lien avec les thèmes traités dans ce dossier

Les unités d’enseignement et extraits de contenus plus spécifiquement ciblés sur la psychiatrie et/ou le suicide :

→ UE 2.6.S2 « Processus psychopathologiques » : modèles d’analyse des troubles psychiques et modèles de thérapie des troubles psychiques. Symptomatologie, notamment troubles de l’humeur (idées de suicide). Prise en charge : dispositif de soin, projet de soin, attitude réflexive sur sa pratique etc. Sous le même intitulé, UE 2.6.S5 : dispositif de sectorisation, thérapies relationnelles et psychothérapies, thérapie dans la quotidienneté, institutionnelle ;

→ UE 4.2.S2 « Soins relationnels » : les concepts (relation, communication, négociation, médiation, …), la communication par le langage non verbal. Sous le même intitulé, UE 4.2.S3 : relation d’aide, entretiens infirmiers, alliance thérapeutique, relation adaptée à des situations spécifiques (crise, conflits…) et UE 4.2.S5 : attitudes cliniques et postures professionnelles, distance et proximité dans la relation, projection… ;

→ UE 1.1.S1 « Psychologie, sociologie, anthropologie » : principaux concepts de base en psychologie, développement de la personne et de la personnalité. Sous le même intitulé, UE 1.1.S2 : dynamique dans les relations de soin : alliance, proximité, agressivité… ;

→ UE 1.2.S3 « Santé publique et économie de la santé » : politique de santé mentale, dispositif psychiatrique ;

→ UE 1.3 S1 « Législation, éthique, déontologie » : droits des patients en santé mentale et psychiatrie ;

→ UE 2.11.S5 « Pharmacologie et thérapeutiques » : prescription médicale et infirmière, responsabilité, réglementation ;

→ UE 3.1.S1 et UE 3.1.S2 « Raisonnement et démarche clinique infirmière » ;

→ UE 3.5.S.4 « Encadrement des professionnels de soins » ;

→ UE 4.1.S1 « Soins de confort et de bien-être » : bonnes pratiques et sécurité dans les soins.