« ARS, des géants aux pieds entravés » - L'Infirmière Magazine n° 363 du 01/09/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 363 du 01/09/2015

 

INTERVIEW : FRÉDÉRIC PIERRU CHERCHEUR EN SCIENCES SOCIALES ET POLITIQUES AU CNRS-CERAPS, LILLE 2

DOSSIER

Frédéric Pierru, docteur en sciences politiques et sociologue,dresse un bilan du fonctionnement des ARS cinq ans après leur création. Il pointe l’absence d’une vraie approche territoriale des politiques de santé.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Cinq ans après leur mise en place, les ARS ont-elles atteint leurs objectifs ?

FRÉDÉRIC PIERRU : Les ARS font ce qu’elles peuvent dans un contexte économique contraint et dans un cadre politique peu favorable à la territorialité des politiques de santé et au décloisonnement. Elles n’ont les pleins pouvoirs que sur l’hôpital, mais pas sur la médecine de ville, ni sur le médico-social. En effet, ne disposant pas d’outils régionaux, elles ne peuvent pas négocier avec la médecine de ville, qui est régulée par une convention nationale avec l’Assurance maladie. Pour le secteur médico-social, elles doivent composer avec les conseils départementaux. Au mieux, elles peuvent codécider avec la médecine de ville et avec les conseils départementaux. Quant à l’hôpital, les principaux outils de régulation sont arrêtés au niveau national, comme la tarification à l’activité. Les ARS sont des géants aux pieds entravés.

L’I.M. : Il n’y a donc pas de véritable régionalisation ?

F.P. : Nous sommes très loin de la territorialisation des politiques de santé. L’État français reste jacobin. L’adaptation régionale est un discours. Il y a une volonté de déconcentration des services publics, mais la centralisation reste intacte. De plus, avec les contraintes budgétaires, les décisions sont de plus en plus verticales et centralisées. Le fonctionnement des ARS reproduit ce schéma. Certaines personnes qui travaillent dans les ARS le disent : la transversalité est un combat. Un directeur général d’ARS reconnaît que « rester en silos est la meilleure façon de recevoir ce qui doit être du système national ». Au niveau infrarégional, les délégations territoriales des ARS ont peu de pouvoir. Le niveau infrarégional a d’ailleurs beaucoup pâti de la loi HPST (hôpital, patients, santé, territoires).

L’I.M. : Le bilan est-il alors négatif ?

F.P. : Non, les ARS représentent un progrès dans une perspective globale des politiques de santé. Elles ont conduit des acteurs de santé à parler ensemble. Mais cinq ans après, on en voit aussi les limites. Par exemple, avec un objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam) qui fonctionne avec des enveloppes financières fermées, les ARS ne peuvent pas réaliser de miracles.

L’I.M. : Certains estiment qu’il aurait fallu réformer l’administration centrale. Qu’en pensez-vous ?

F.P. : L’idée d’une agence nationale de santé et d’unifier le pilotage fait de plus en plus son chemin. La loi HPST a fusionné les services de l’État et de l’Assurance maladie, mais n’a pas résolu le problème de rivalité entre l’État et la Cnam. Cette concurrence a posé des problèmes lors de la création des ARS. Mais il faut aller plus loin en mettant aussi en place une régionalisation des outils. Le Fonds d’intervention régional (FIR) est un exemple, mais il faut des leviers budgétaires : un Ordam, c’est-à-dire un objectif régional des dépenses d’assurance maladie, et des enveloppes fongibles entre l’hôpital, la ville et le médico-social. Il faudrait également des conventions régionales avec les médecins. Ces outils permettraient d’inciter les acteurs de santé à se réorganiser de façon régionale. Le problème de la démocratie sanitaire se pose aussi. Il serait bien d’avoir un organe délibérant démocratique face au pouvoir exécutif de l’ARS, qui pourrait se prononcer, mais aussi amender. Le Conseil régional pourrait jouer ce rôle.

L’I.M. : La réforme territoriale va conduire plusieurs ARS à fusionner dans le cadre des nouvelles régions. Cela ne risque-t-il pas de freiner les actions des ARS ?

F.P. : Cette réforme n’est pas la bienvenue. Elle va obliger les ARS à se réorganiser, ce qui va générer des problèmes pour leurs personnels et déstabiliser leurs interlocuteurs. Elle va éloigner encore plus le siège de l’ARS du terrain. Les ARS vont piloter des méga-régions à distance, en adaptant un tant soit peu la politique nationale. Ce n’était pas l’ambition des réflexions qui ont conduit à la création des ARS. Le problème du niveau infrarégional n’était déjà pas posé dans la loi HPST. Il va devenir encore plus aigu avec la réforme territoriale.

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