Vigilance sur la nutrition - L'Infirmière Magazine n° 362 du 01/07/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 362 du 01/07/2015

 

FORMATION

ZOOM SUR

AFSANÉ SABOUHI  

L’âge et la maladie peuvent altérer l’appétit. Veiller aux besoins nutritionnelsdes personnes âgées et détecter le plus tôt possible les situations critiques sont un enjeu quotidien des équipes des Ehpad.

Même en bonne santé, les personnes âgées ont une sensation d’appétit à jeun moins marquée que les sujets jeunes, et après un repas comparable, leur sensation de satiété est plus importante. Les mécanismes de cette « anorexie liée à l’âge » ne sont pas parfaitement élucidés, mais l’altération des capacités sensorielles ainsi que le ralentissement de la digestion pourraient être impliqués. « Pour autant, c’est une idée fausse de croire que les besoins nutritionnels des personnes âgées sont réduits. Leur dépense énergétique de repos reste quasiment celle d’un adulte », souligne Florence Foucaut, diététicienne au sein de l’Ehpad Les Parentèles à Paris et porte-parole de l’Association française des diététiciens nutritionnistes (AFDN). D’autant que les apports doivent tenir compte des pathologies infectieuses, des escarres ou des décompensations de maladies chroniques, consommatrices d’énergie, ainsi que de l’absorption physiologiquement diminuée des nutriments dans le tube digestif d’une personne âgée.

Menus adaptés, rythme régulier

On estime donc que les besoins énergétiques d’une personne âgée fragile sont au moins équivalents à ceux d’un adulte, c’est-à-dire 2 000 kcal/jour pour un homme et 1 800 kcal/jour pour une femme. En fonction du poids de chacun, les apports nutritionnels sont affinés selon la règle de 36 kcal par kg et par jour. « Mais avec des personnes âgées fragilisées, on ne peut pas être figé sur les dogmes diététiques. Nous avons une résidente qui refuse tous les plats salés. Tant pis, elle ne mange que du sucré ! Comme elle n’est pas diabétique, ce n’est pas si grave… Notre objectif ? Ne pas tomber dans la spirale de la dénutrition et nous adapter aux troubles cognitifs de nos résidents », insiste Florence Foucaut.

Il est notamment important que les personnes âgées conservent des prises alimentaires fractionnées et régulières. Or, selon l’enquête menée par Que Choisir auprès des résidents de 43 Ehpad et publiée en mars dernier, un établissement sur deux ne respecte pas les 3 heures entre les repas et goûter. Ce dernier « est donc une occasion perdue de compléter les apports alimentaires, car les résidents n’ont pas faim », souligne le magazine. Le pire reste l’heure du dîner, servi à 18 h 30 en moyenne. 80 % des établissements ne respectent donc ni le délai nécessaire entre goûter et dîner, ni la durée maximale recommandée pour le jeûne nocturne. « Il y a des contraintes, mais on peut organiser les choses de façon à ne pas trop pénaliser les résidents, affirme la diététicienne. Dans notre Ehpad, le repas du soir doit être servi vers 18 h 30-19 h et le petit déjeuner à partir de 7 h. Pour éviter un jeûne nocturne trop long, nous allons mettre en place des collations vers 22 h 30, adaptées en fonction des pathologies des résidents. 90 % de nos patients ont Alzheimer, ce sont des personnes qui déambulent beaucoup, cette collation du soir nous permettra également d’ajuster leurs apports énergétiques. »

À l’affût de la dénutrition

Infirmières et aides-soignantes sont en première ligne pour repérer les personnes à risque de dénutrition, car elles connaissent bien les résidents et leurs goûts. Lorsqu’une personne âgée s’alimente moins, il est essentiel d’identifier très vite pourquoi. « Est-ce parce qu’elle n’aime pas les plats servis ? Est-ce la gêne pour manger ou pour digérer ? Il faut réagir très vite, car ce peut être aussi le début d’un syndrome de glissement. Dans ce cas, en quelques semaines, il est trop tard », prévient Florence Foucaut.

Outre cette surveillance quotidienne des ingesta, peser très régulièrement - une à deux fois par mois - les personnes âgées est indispensable pour repérer la dénutrition, ainsi que le dosage sanguin d’albumine. Selon la définition retenue par la Haute autorité de santé (HAS) dans ses recommandations en 2007, on considère qu’une personne âgée est dénutrie si elle remplit au moins un des critères suivants :

• une perte de poids de plus de 5 % de sa masse corporelle en un mois ou plus de 10 % en 6 mois ;

• un indice de masse corporelle inférieur à 21 ;

• une albuminémie inférieure à 35 g/L ;

• un score inférieur à 17 au questionnaire du Mini Nutritional Assessment (MNA).

Les conséquences de la dénutrition sont particulièrement préjudiciables. Outre l’amaigrissement et la fonte musculaire, elle peut être à l’origine de déficits immunitaires, d’infections urinaires et respiratoires, d’escarres, de chutes, de fractures… Les gériatres évoquent la « spirale de la dénutrition », un enchaînement de dégradations de l’état de santé initié par la dénutrition, qui marque souvent l’entrée dans un état de fragilité, puis de dépendance. En aggravant le pronostic des maladies sous-jacentes, elle augmente le risque de complications et de décès.

De la dénutrition à la renutrition

Un quart des résidents en maisons de retraite souffrent de dénutrition, plus qu’à domicile (4 à 10 %), mais bien moins qu’à l’hôpital, où elle concerne 30 à 70 % des seniors. « Il n’y a pas de fatalité, mais un manque de personnel sensibilisé. Prendre en charge la dénutrition demande des équipes formées et en effectif suffisant. Délaisser la question de l’alimentation en Ehpad est une forme de maltraitance », affirme la diététicienne. La « renutrition » d’une personne âgée est l’exemple type d’une prise en charge personnalisée et pluridisciplinaire incluant AS, IDE, diététicienne, cuisinier, médecin-coordonnateur et personnel de service. « Nous avions une résidente de 91 ans, que nous pensions en fin de vie, qui ne voulait plus manger du tout. Le médecin a allégé au maximum son ordonnance, on a discuté avec la famille pour savoir ce qui lui ferait vraiment plaisir. Comme elle aimait beaucoup les bouillons, le cuisinier lui a préparé des bouillons enrichis durant plusieurs jours. Puis un midi, elle était de retour à table. C’est très valorisant pour l’équipe de voir que son implication porte ses fruits », souligne Florence Foucaut.

De son côté, la HAS préconise l’enrichissement des repas en protéines. Le choix d’un enrichissement artisanal par ajout de poudre de lait, d’emmental, de crème ou d’œuf, ou industriel par compléments nutritionnels oraux est une politique de structure. « Quel que soit le choix effectué, le message indispensable à faire passer, c’est que ce sont des compléments, pas des substituts de repas. Donner un Fortimel ne doit pas dispenser de prendre du temps pour faire manger la personne », conclut la diététicienne.

INITIATIVE

Une galette à croquer

« Une étude menée au CHU de Nice a montré que 44 % des compléments nutritionnels oraux étaient jetés à peine entamés. Certains patients dénutris sont lassés des textures mixées et du goût de laitage. Je suis donc allée voir le pâtissier-chef de l’hôpital pour mettre au point un aliment solide qui puisse être mangé quel que soit l’état bucco-dentaire afin de pouvoir diversifier les compléments », raconte la chercheuse et chirurgien-dentiste Isabelle Prêcheur. C’est ainsi que sont nées, en 2010, les galettes Protibis, des compléments hyperprotidiques et hyperénergétiques. Faciles à émietter en cas de troubles de la déglutition, à déguster avec les doigts pour les patients atteints de démences, huit galettes apportent près de 12 g de protéines et 244 kcal pour un index glycémique de 45. Une étude menée auprès de 175 résidents de huit Ehpad a montré chez les consommateurs réguliers une augmentation significative du poids et de l’appétit, une cicatrisation plus rapide des escarres et une diminution des diarrhées. Sur le plan qualitatif, les personnes âgées apprécient le goût de ces biscuits.

Autre argument de poids : d’après les résultats de l’expertise médico-économique indépendante demandée par le CHU, l’ajout des galettes parmi les compléments nutritionnels oraux donnés aux personnes dénutries permet une économie de 2,5 € par patient et par jour du fait de la diminution des escarres et des diarrhées et libère 30 minutes quotidiennes de temps infirmier ou aide-soignant.