TOUS AUX 12 HEURES ? - L'Infirmière Magazine n° 362 du 01/07/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 362 du 01/07/2015

 

TEMPS DE TRAVAIL

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

AVELINE MARQUES  

De plus en plus d’hôpitaux se laissent séduire par cette organisation du temps de travail. La Direction générale de l’offre de soins (DGOS) a constitué un groupe de travail, qui rendra ses conclusions dans les prochaines semaines. Quitte ou double pour les 12 heures ?

Dr Hélène Beringuier « Il faut changer la réglementation et instaurer des garde-fous »

Assiste-t-on à une généralisation des 12 heures ?

Il y a eu deux vagues d’implantation. La première, dont je n’identifie pas la cause, date des années 90 et concerne les urgences, la réanimation et les sages-femmes. La seconde, en 2002, est liée à la mise en place des 35 heures, sans augmentation suffisante des effectifs ; les hôpitaux ont vu dans les 12 heures la possibilité de baisser le temps de travail sans trop de remous. Et depuis deux ans, cette organisation touche également la chirurgie, la médecine et même le long séjour et la psychiatrie. Il y a une forte demande des personnels, qui veulent plus de jours de repos et des plannings moins perturbés. Les 12 heures sont une adaptation à la désorganisation qui s’est installée à l’hôpital – restrictions budgétaires, absentéisme de moins en moins remplacé… C’est un cercle vicieux.

Cette organisation, dérogatoire, doit-elle devenir la règle ?

Il faut poser la question. Le groupe de travail de la DGOS devrait aboutir à des recommandations. En janvier, une instruction a rappelé les règles du code de travail. Mais on sait que, dans la réalité, elles ne sont pas respectées. Par exemple, la loi impose 12 heures de repos entre deux jours de travail, mais, pour maintenir une relève, la plupart des établissements organisent le travail en 12 h 15, 12 h 30… Il vaudrait mieux changer la réglementation et instaurer des garde-fous : limiter à deux journées ou deux nuits consécutives car la troisième est très pénible ; éviter l’alternance jour-nuit, la plus néfaste ; peut-être mettre en place des horaires décalés pour rester en 10 heures la nuit ? Travailler 2 heures de plus la nuit, alors que c’est en complet désaccord avec le rythme biologique, ce n’est pas rien.

Les 12 heures ont-elles des limites ?

Certaines personnes – celles qui souffrent de pathologies chroniques ou qui prennent de l’âge, par exemple – ne peuvent pas travailler en 12 heures. Si la tendance actuelle se poursuit, que va-t-on faire d’elles ? Si on n’aménage pas le poste de travail d’une IDE enceinte, elle va s’arrêter bien avant le congé maternité ! On ne peut pas généraliser à l’ensemble des services. Les 12 heures sont plus supportables dans les services normés, comme la néonatologie ou la réanimation, où on ne travaille pas en sous-effectif. Quant à la psychiatrie, il vaudrait mieux s’abstenir. Sur les deux dernières heures, dans un service de soins somatiques, si on a un acte à faire, on le fera malgré la fatigue. Mais en psychiatrie ou en gériatrie, où tout repose sur le relationnel et l’écoute, cela pose problème.

Qu’en pensent les médecins du travail ?

La mise en place des 12 heures se fait souvent à marche forcée. Et 50 % des médecins du travail interrogés n’ont jamais été sollicités pour exposer les effets de cette organisation sur la santé. On nous dit qu’il y aura une évaluation, mais il faut l’initier dès le début. À l’image de ce qui s’est pratiqué à l’hôpital de Béziers où le travail en 12 heures a été évalué dès sa mise en place, puis deux ans et quatre ans après : à deux ans, le médecin du travail a constaté une baisse de l’absentéisme – arrêts maladies et accidents du travail –, mais à quatre ans, il est reparti à la hausse. Cette évaluation devrait être menée à une plus grande échelle ; c’est ce que j’ai proposé à la DGOS. On peut récupérer ces données, encore faut-il le vouloir…

Jean-Marie Barbot « Les 12 heures ne doivent surtout pas être imposées »

La journée de 12 heures est-elle une solution d’avenir ?

C’est un phénomène qui touche la majorité des hôpitaux de façon croissante, mais la situation est très disparate selon les établissements. L’enquête nationale que l’AdRHess a menée l’année dernière a montré que 71 % des 136 établissements avaient mis en place les 12 heures, dont 8 % pour plus de 50 % de leur effectif, mais la moitié pour moins de 10 %. Vouloir généraliser cette organisation serait une erreur, il faut préserver le caractère dérogatoire. Mais il ne faut pas la limiter non plus, car cela répond à des besoins économiques bien sûr, mais il s’agit aussi d’améliorer la prise en charge des patients ; de plus, il y a une forte attente des professionnels. L’AdRHess et l’Association française des directeurs de soins ont produit un memorendum sur ce que doit être ou pas la mise en place des 12 heures : l’organisation du temps de travail ne peut pas être déconnectée de l’organisation des soins. Les 12 heures sont pertinentes pour un service de soins continus, lorsque « la contrainte de continuité de service public l’exige en permanence », comme le stipule le décret de 2002. C’est un peu vague, mais la notion de permanence est importante.

Faut-il légiférer sur cette organisation ?

Non, les DRH et directeurs des soins sont les mieux à même de voir quelle est l’organisation optimale, en fonction des besoins des pa?tients, de l’attente des professionnels et de l’activité. Il n’y a pas d’organisation type. On peut même imaginer, au sein d’une même unité, une coexistence de postes en 12 heures et de postes en horaires traditionnels, si certains agents ne veulent pas passer en 12 heures, en cas de grossesse par exemple.

Quels sont les points de vigilance lors du passage aux 12 heures ?

Elles ne doivent surtout pas être imposées. Notre enquête a montré que c’était rarement le cas : dans la majorité des établissements, la demande émane à la fois de la direction et des salariés. Il faut faire preuve de pédagogie avec les équipes, solliciter les représentants du personnel et le comité technique d’établissement. Présenter les avantages, les inconvénients, les changements que cela va engendrer. Car ce n’est pas seulement travailler 4 heures de plus, mais travailler différemment. Les transmissions sont problématiques. Il y a deux solutions : renforcer les transmissions écrites et ciblées ou organiser une prise de poste décalée dans l’équipe. Le service de santé au travail doit éga?lement être associé pour une surveillance médicale renforcée et la prévention des risques psychosociaux. Il faudrait aussi prévoir une évaluation un an après, dans le cadre du CHSCT, pour procéder à d’éventuelles corrections, voire poser la question d’un retour aux horaires classiques.

Qu’en est-il de la psychiatrie ?

32 % des CHS que l’on a interrogés ont une organisation en 12 heures. Encore une fois, dès lors qu’on est dans du travail H24, elle peut être justifiée. Quand j’étais DRH au CH de Versailles, je l’avais mise en place dans une unité d’observation de psychiatrie, à la demande du personnel. À la Fondation Vallée, où l’on traite de psychiatrie infanto-juvénile, avec des prises en charge séquentielles, c’est moins évident. Et je ne crois pas qu’un établissement psychiatrique puisse généraliser les 12 heures.

DR HÉLÈNE BERINGUIER

SECRÉTAIRE GÉNÉRALE DE L’ASSOCIATION NATIONALE DE MÉDECINE DU TRAVAIL ET D’ERGONOMIE DU PERSONNEL DES HÔPITAUX (ANMTEPH)

→ 1985 : médecin du travail au CH de Perpignan

→  2009 : secrétaire générale de l’ANMTEPH

→ Octobre 2014 : intègre le groupe de travail de la DGOS sur les 12 heures

JEAN-MARIE BARBOT

PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION POUR LE DÉVELOPPEMENT DES RHDES ÉTABLISSEMENTS SANITAIRESET SOCIAUX (ADRHESS)

→ 2000-2010 : DRH du CH de Versailles (78)

→ 2008 : président de l’AdRHess

→ 2010 : directeur de la Fondation Vallée, Gentilly (94)

POINTS CLÉS

→ Législation. La durée de travail ne peut excéder 9 heures le jour, 10 heures la nuit. Lorsque les contraintes de continuité du service public l’exigent en permanence, elle peut être portée à 12 heures.

→ Rappel à l’ordre. Une instruction du 7 janvier 2015 a rappelé aux établissementsque « les temps de transmission, d’habillage et de déshabillage, de pause et de restauration sont compris » dans le décompte des 12 heures. La DGOS a également insisté sur le respect des temps de repos : au moins 12 heures/jour et 36 heures/semaine.

→ Groupe de travail. La DGOS a mis en place un groupe de travail dédié, réunissant les syndicats de la Fonction publique hospitalière et la Fédération hospitalière de France. Il est prévu d’y analyser la littérature sur les impacts du travail en 12 heures et que des experts soient entendus.

→ 14 %. Selon l’enquête menée fin 2014 par l’ANMTEPH auprès de 37 établissements publics de santé, représentant près de 110 000 agents, 14 % des personnels travaillent en 12 heures en moyenne (de 0,5 à 56 %).

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