Plaisir, convivialité et sécurité au menu - L'Infirmière Magazine n° 362 du 01/07/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 362 du 01/07/2015

 

FORMATION

BONNES PRATIQUES

Afsané Sabouhi  

La gestion des risques ne doit pas empêcher les établissements pour personnes âgées de demeurer des lieux de vie plaisants et conviviaux. Il en va de la qualité de vie des résidents autant que de leur santé.

La vie des personnes âgées en Ehpad s’inscrit dans un contexte particulier. Des raisons médicales et/ou sociales ont souvent contraint la personne à quitter son domicile, une situation à laquelle elle se résigne, mais qui peut avoir une influence importante sur son bien-être et sur sa qualité de vie. Si ces établissements s’attachent à être des lieux de vie, les résidents ont des profils pathologiques et des degrés de dépendance plus ou moins lourds qui ont nécessairement un impact sur le cadre de vie de chacun, le lieu de vie devant être aussi un lieu de soins.

Recettes pour l’organisation du repas

Entre 2010 et 2012, l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services médico-sociaux (Anesm) a élaboré des recommandations de bonnes pratiques sur la qualité de vie en Ehpad. Elles se déclinent en quatre volets : le premier est consacré à l’accueil du nouveau résident et à son accompagnement, le deuxième au cadre de vie et à l’organisation de la vie quotidienne, le troisième à la vie sociale des résidents et le dernier volet porte sur l’impact des éléments de santé sur la qualité de vie.

Moments privilégiés

Le cas clinique de ce dossier fait directement écho aux problématiques abordées dans le second volet de ces recommandations, paru en 2011 et intitulé « Qualité de vie en Ehpad – Organisation du cadre de vie et de la vie quotidienne ». Il y est notammant souligné l’importance de « faire des repas des moments privilégiés de plaisir et de convivialité ». Pour ce faire, l’Anesm préconise :

• d’organiser les horaires de repas en tenant compte notamment des habitudes de vie de la majorité des résidents, du respect d’une période de jeûne nocturne inférieure à 12 heures, du rythme auquel mangent les résidents et de l’aide dont certains ont besoin au moment du repas ;

• de favoriser les échanges entre les convives en révisant le plan de table autant que nécessaire, en demandant leur consentement aux résidents et en maintenant quelques places libres de façon à pouvoir changer de place quelqu’un qui le demanderait sans bouleverser tout le plan de table. Les recommandations soulignent que « seulement deux résidents sur dix disent pouvoir choisir leurs voisins de table, cette possibilité étant encore moins fréquente pour les résidents ayant besoin de l’aide d’une tierce personne pour se déplacer (13 %) » ;

• de donner l’envie de prendre part aux repas en affichant le menu à plusieurs endroits de l’établissement et en gros caractères, en travaillant la texture, la préhension et le visuel des plats et en stimulant l’appétit des résidents. Les recommandations citent ainsi en exemple un Ehpad dans lequel des huiles essentielles (mandarine, café, etc.) sont diffusées avant les repas dans les espaces de circulation ;

• de respecter les goûts et les habitudes exprimés par la personne ou ses proches en s’appuyant sur une fiche de goûts régulièrement réévaluée, en prévoyant le cas échéant des plats de remplacement, en tenant compte des habitudes de consommation modérée de boissons alcoolisées à table et en sollicitant régulièrement l’avis des résidents sur la qualité gustative des repas ;

• de réfléchir en équipe aux modalités de l’aide apportée par les professionnels, en laissant le temps à chacun de prendre son repas à son rythme, en privilégiant la position assise de l’aidant par rapport à l’aidé et une tenue de type tablier à une blouse pour limiter la connotation hospitalière et en évitant l’usage systématique de bavoirs infantilisants.

Une question de bientraitance

Plus globalement, la question des repas et de l’alimentation en maisons de retraite s’inscrit dans le champ de la bientraitance, l’axe fort de l’amélioration de la qualité à l’œuvre dans ces établissements. En effet, lors de sa création en 2007, l’Anesm avait choisi de consacrer ses premières recommandations à ce thème emblématique (recommandations pilotées par Alice Casagrande, directrice de la formation et de la vie associative à la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs, lire l’entretien ci-contre), affirmant autant sa propre légitimité d’agence que les valeurs fondamentales du secteur. Depuis, les établissements se sont saisis de ces recommandations-cadres et une enquête est en cours pour mesurer le degré de déploiement des pratiques professionnelles concourant à l’amélioration de la qualité de vie et à la bientraitance des personnes âgées dans les Ehpad. L’Anesm prévoit d’en publier les résultats en décembre 2015. Cet état des lieux devrait ainsi faciliter l’identification des leviers et des actions d’amélioration.

PREVENTION

La fausse route en campagne

La Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en Ehpad a annoncé fin mai qu’une campagne nationale de prévention des fausses routes asphyxiques est en cours de validation par le ministère.

« Près de 3 000 personnes meurent chaque année des suites d’une fausse route alimentaire et deux tiers de ces décès par suffocation ont lieu après 75 ans. Mais contrairement aux idées reçues, ces fausses routes ont lieu la plupart du temps dans un contexte d’alimentation semi-liquide, pas avec les aliments solides connus pour ce type de risques comme la banane, le croissant trempé dans le café, les carottes râpées, la purée ou encore la viande hachée », a souligné le Pr Hubert Blain, du Centre de prévention et de traitement des maladies du vieillissement Antonin-Balmes au CHU de Montpellier.

L’affiche, qui sera distribuée dans les Ehpad, et le film de la campagne rappelleront les trois gestes à faire : la manœuvre de Heimlich, celle de la table qui consiste à mettre la personne à plat ventre sur une table, tête et bras pendants pour lui donner des claques entre les deux omoplates, et enfin la réanimation cardiopulmonaire.

INTERVIEW

« LA BIENTRAITANCE, CE N’EST PAS QU’UN MOT »

Alice Casagrande*

Directrice de la formation et de la vie associative à la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs (Fehap)

Comment définissez-vous la notion de bientraitance ?

Le mot évoque d’emblée le souvenir de la maltraitance. Cet envers de la bientraitance est présent à l’esprit de chacun et il me semble que c’est très important. Ce n’est pas une formule, ce mot dit quelque chose de fin sur notre secteur, sur sa conscience du risque de défaillance, comme un appel constant à la vigilance. Mais la bientraitance, c’est avant tout de la joie, la joie d’être ensemble, de rire, de l’eau chaude qui soulage un corps, du toucher qui apaise ou du goût d’un dessert délicieux…

La bientraitance n’est pas qu’un mot avec sa cohorte d’outils, de projets et d’échéances, elle se joue sur des choses extrêmement concrètes. Ce qui ne veut pas dire qu’elle se limite à une question de postures et de conduites individuelles, le focus est au contraire collectif, organisationnel et managérial.

Comment s’articule-t-elle alors avec les contraintes de budget, d’effectifs… ?

L’envie de bien faire est à l’œuvre, c’est évident, mais elle peut être fluctuante, comme tout ce qui est humain. L’organisation doit donc faire avec. Elle doit trouver une régulation entre les intentions d’un collectif professionnel, ses missions, c’est-à-dire ce pourquoi elle est financée, et les personnalités qu’elle accueille. Le cas clinique de ce dossier montre combien cette régulation est délicate. L’alimentation pose la question du plaisir et donc de l’envie de vivre. Comment donner envie de manger ? S’adressant à des résidents Alzheimer qui ont envie de bouger parce que cela les apaise, comment s’organiser pour qu’ils puissent manger et déambuler ? La bientraitance, c’est tenir compte de toutes ces dimensions d’une situation quotidienne.

L’implication de la direction est donc indispensable ?

L’implication de tous est indispensable ! La direction doit s’investir dans la formation, le recrutement et la réorganisation. Mais c’est aussi un sujet de responsabilité individuelle. Chacun est détenteur de savoirs qui participent à rendre l’organisation bien traitante : le directeur, le médecin-coordonnateur, les cadres, mais aussi la toute jeune aide-sognante qui fait remarquer que deux résidents prévus côte à côte par le plan de table ne s’entendent plus du tout.

On dit que la bientraitance est une culture. Est-ce un euphémisme pour justifier qu’elle s’installe lentement ?

Je ne crois pas. Dire que cela ne peut pas être immédiat n’est pas une excuse pour se défausser et ne rien faire. Quel que soit le domaine, faire converger un groupe humain dans le sens des bonnes pratiques n’est jamais une mince affaire. Cela prend du temps.

Mais le temps justement, les soignants en manquent. Il est difficile d’être bien traitant dans ces conditions ?

En effet, la dépendance des résidents s’est accrue sans que les tarifs des établissements ne le prennent en compte pour avoir les effectifs adéquats. Certains souffrent donc d’une sorte d’institutionnalisation du « mal faire » ou du faire à moitié. Cela met en difficulté les résidents qui en souffrent, les familles qui culpabilisent et les soignants qui encaissent jusqu’à craquer. Mais clairement, le temps ne fait pas tout. On peut ne pas être pressé, être en effectif suffisant et avoir des gestes complètement indifférents au résident. La question des moyens et des effectifs est un vrai sujet, mais elle ne doit pas servir d’alibi.

La formation initiale des soignants s’est-elle adaptée à l’émergence de cette culture ?

La gériatrie et la gérontologie sont des disciplines récentes de la médecine. Elles ont connu de grands bouleversements ces trente dernières années : la place de l’éthique, la réforme des études infirmières, le développement de la réflexion critique sur les bonnes pratiques…

La loi de 2002 a donné un immense élan, en formation initiale comme en formation continue. Cependant, nous sommes dans une société qui manque de ressources, ce qui peut amener à faire des choix cruels, et ce, alors que les Français ont une image terrible des Ehpad…

* A piloté la recommandation-cadre de l’Anesm sur la bientraitance, en 2008.

INITIATIVE

Éthique au quotidien

Trophée de l’innovation 2012 de la Fehap(1), le comité éthique inter-associatif (CEIA) – créé à l’initiative de l’association Agapes 10(2) – regroupe régulièrement directeurs, soignants, résidents, familles et bénévoles de dix maisons de retraite de l’agglomération de Troyes (Aube). Son mot d’ordre ?

Le respect des droits des résidents en Ehpad, l’amélioration et l’harmonisation des pratiques.

Le respect avant tout

« L’idée est que chacun puisse se rencontrer, échanger toutes les bonnes idées et partager les mauvaises expériences pour éviter de les reproduire. C’est sain, enrichissant et constructif. Nous ne sommes pas du tout dans une démarche de cahier de doléances », témoigne Bernard Victoire, président du CEIA et du conseil de vie sociale de l’Ehpad dans lequel réside son beau-père.

Si le comité éthique évoque des problématiques lourdes comme la fin de vie, celui-ci s’attache davantage au quotidien. « Prenez la tradition de l’apéritif pour les familles, organisé régulièrement par les équipes, cite Bernard Victoire. L’objectif est que les familles des résidents puissent lier connaissance. Lors de l’une des réunions du comité, une soignante nous raconte que dans son établissement, ce n’est pas la direction qui invite les familles, mais les résidents eux-mêmes. C’est extrêmement simple, ça ne coûte rien, mais ça change beaucoup le ressenti des résidents qui ont vraiment envie de recevoir leur famille chez eux, comme lorsqu’ils recevaient leurs enfants à leur domicile. Cela peut paraître anecdotique, mais en réalité, c’est une vraie question de respect. »

Les dents du bonheur

Autre exemple concret partagé au sein du comité éthique, l’intérêt du marquage des appareils dentaires qui permet de ne pas les égarer lors d’examens hospitaliers, ni de les intervertir par mégarde. « Quand on sait à quel point la perte d’un appareil dentaire peut perturber une personne âgée pour son alimentation et pour son moral, ce progrès, qui relève finalement du bon-sens, méritait de profiter à tous !

En plus, on améliore le bien-être des résidents tout en faisant faire des économies substantielles aux familles et à la Sécurité sociale », souligne le président du comité éthique. Prochaine étape : rallier une quinzaine d’Ehpad voisins à leur démarche et postuler auprès du Comité interassociatif pour la santé, afin de devenir représentant des usagers et de porter encore plus haut la parole des résidents et de leurs familles.

1- Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs.

2- Actions du groupement âge et partage des établissements sociaux de l’Aube.