Les dysphagies en gériatrie - L'Infirmière Magazine n° 362 du 01/07/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 362 du 01/07/2015

 

FORMATION

LA PATHOLOGIE

Virginie ruglio  

Les pathologies neurologiques, fréquentes chez les personnes âgées, peuvent entraîner des troubles de la déglutition, aggravés par certains facteurs. Des troubles qu’il est nécessaire de diagnostiquer pour en limiter les complications.

1. DESCRIPTION

Les troubles de la déglutition (dysphagies oropharyngées ou hautes) sont fréquents chez le patient âgé et très âgé, et s’associent souvent à des déficits œsophagiens. Leur fréquence en institution peut atteindre 70 % selon les types d’exploration.

Qu’est-ce que la déglutition ?

→ La déglutition ne se limite pas à l’alimentation : elle assure en premier lieu la protection des voies aériennes. Le réflexe de déglutition, entité physiologique indépendante, assure la vidange du pharynx pour permettre la respiration(1) ; il prévient la fausse route en alliant protection respiratoire et propulsion du bolus (sécrétion orale, nasale ou bronchique, aliment) depuis le rhinopharynx, la bouche ou le pharynx vers l’œsophage. Ce réflexe peut être déclenché sur stimuli pharyngés et parfois laryngés, en dehors de toute stimulation orale.

→ Les capacités sensitives permettent l’évaluation précise des caractéristiques physiques et chimiques du bolus, pour la construction d’une réponse motrice finement adaptée. La texture du bolus détermine son écoulement dans le carrefour aérodigestif ; température et saveur apportent des informations sensitives déterminantes : plus les aliments sont savoureux et plus leur température diffère de celle du corps, plus ils sont stimulants et facilitent le déclenchement du réflexe de déglutition.

→ Celui ci-consiste en des contractions successives ou chevauchées d’une trentaine de muscles. Schématiquement : contraction de la langue, fermeture et élévation du larynx, bascule de l’épiglotte, contractions pharyngées péristaltiques, ouverture du sphincter supérieur de l’œsophage, et retour à la position de repos avec reprise expiratoire, durant le transport œsophagien vers l’estomac, par contractions péristaltiques (voir schéma ci-dessous).

Fausses routes et toux réflexe

→ Chez la personne saine, à tout âge, des accidents appelés fausses routes peuvent survenir (voir figure ci-contre) : une partie du bolus (sécrétion, aliment solide, liquide, médicament…) entre dans les voies aériennes de manière plus ou moins profonde, que ce soit dans le vestibule laryngé (pénétration) ou dans la trachée (inhalation), et parfois – dans une minorité des cas –, jusqu’à l’obstruction partielle ou totale des voies respiratoires (fausse route asphyxiante).

→ Le risque nul de fausse route n’existe pas. Notre sécurité respiratoire repose en partie sur l’adaptation spontanée de notre comportement lors de l’alimentation (moments réservés à l’ingestion sans autre activité physique simultanée, choix des aliments, de leur volume, des postures…).

→ La toux réflexe est une protection curative de la fausse route : déclenchée par la présence d’une substance dans le vestibule laryngé ou la trachée, elle est immédiate, difficilement répressible, et naturellement suivie d’une ou plusieurs déglutitions à vide.

La déglutition normale du sujet âgé

Chez certains sujets âgés, le vieillissement des diverses structures et l’émoussement des réflexes peuvent entraîner un ralentissement global des mécanismes de déglutition, appelé presbyphagie. Cette déglutition reste cependant fonctionnelle, n’entraînant pas nécessairement de complication, ni de gêne, et ne nécessitant pas de prise en charge. Mais en cas de déficits cognitivo-comportementaux, l’équilibre peut se rompre : le sujet n’adapte plus son comportement et son alimentation à ses capacités fonctionnelles, il devient alors dysphagique(2).

Les dysphagies neurogériatriques

Causes

→ Les dysphagies oropharyngées concernent des phénomènes ayant lieu entre l’oropharynx et le sphincter supérieur de l’œsophage ; on les différencie des dysphagies basses, liées à des troubles du transport œsophagien. Les pathologies ORL, notamment cancéreuses, et leur traitement, peuvent entraîner à tout âge des dysphagies hautes.

Chez le patient âgé, hors causes tumorales, elles peuvent être générées par des troubles sensitivomoteurs même discrets de la région pharyngolaryngée, sur tout type de lésions centrales (vasculaires, dégénératives, tumorales, infectieuses, traumatiques), ou périphériques (paralysies récurrentielles, traumatismes cervicaux…), éventuellement iatrogènes (neuroleptiques…). Les altérations de la vigilance, du comportement, la confusion, d’origines diverses, ainsi que les atteintes muqueuses, peuvent majorer ou révéler des difficultés.

→ Les dysphagies basses ajoutées sont également fréquentes en gériatrie, notamment en contexte de syndromes parkinsoniens et/ou de reflux gastro-œsophagien chronique, complétant des tableaux cliniques souvent complexes.

Symptômes

Traditionnellement, on cite les signes suivants comme évocateurs de troubles de la déglutition : toux au repas, fausses routes évidentes, difficultés de mastication, bavage, reflux nasal etc. En réalité, les tableaux sont souvent trompeurs chez le sujet âgé, avec un ensemble dit « pauci-symptomatique » (pauvreté des signes cliniques).

Le terme de fausse route évoque pour beaucoup de soignants la situation d’urgence d’étouffement alimentaire, ou obstruction des voies aériennes, avec le risque vital immédiat qu’elle comporte. Cette situation représente pourtant une minorité des fausses routes existant en gériatrie : la plupart sont des inhalations de petit volume, notamment de liquides, n’entraînant ni obstruction, ni situation d’urgence vitale immédiate, mais ayant à terme des conséquences multiples et graves. Par ailleurs, il est commun d’associer fausse route avec toux, ce qui est une erreur. L’absence de toux ou de raclement de gorge lors de la déglutition du sujet âgé ne doit pas être un signe rassurant. Les déficits sensitifs et la chronicisation des troubles de la déglutition limitent la réponse réflexe saine aux inhalations : la toux réflexe peut être absente ou différée ; les fausses routes silencieuses ou à bas bruit sont banales en gériatrie(3).

Facteurs aggravants

→ En général, les aliments à risque augmenté pour le patient âgé sont :

– les liquides (d’écoulement rapide), notamment chauds et tièdes (degré de stimulation thermique insuffisant) ;

– les solides fragmentés (d’écoulement anarchique et/ou formant des stases) ;

– les textures mixtes (mélanges hétérogènes solides/ liquides) ;

– les textures trop pâteuses (difficiles à propulser chez le patient affaibli ou souffrant de déficits moteurs) ;

– les aliments et boissons fades (les saveurs sucrées sont plus longtemps mieux perçues, les saveurs acides sont les plus stimulantes).

→ Les situations à risque augmenté pour le patient âgé peuvent être générées par de mauvaises techniques d’aide ou d’accompagnement, quel que soit son lieu de vie, que les aidants soient familiaux ou professionnels(4) :

– conditions de base à risque : mauvaise hygiène buccodentaire (charge bactérienne salivaire, perte de sensibilité), mauvais état des muqueuses (sécheresse, mycoses), inadaptation des prothèses dentaires ;

– installation inadaptée du patient, au lit, au fauteuil, en chambre ou en salle à manger (position semi-assise ou couchée déconseillée) ;

– rythme d’alimentation inadapté ;

– volumes et quantités prises par repas, trop importants ;

– techniques d’aide inadaptées, mauvaise installation de l’aidant ;

– ustensiles inadaptés, notamment pour boire et prendre les médicaments.

Complications

Les troubles de la déglutition engendrent une morbidité, une mortalité et des coûts financiers notables. Leurs principales complications sont :

– les infections respiratoires (jusqu’aux pneumopathies d’inhalation, généralement constituées en foyers pulmonaires de base droite) ;

– la dénutrition/déshydratation (par réduction des ingesta) ;

– la perte de la qualité de vie (perte du plaisir, gêne sociale, dépression).

Au total, le risque vital est présent, qu’il soit immédiat (asphyxie) ou différé (complications).

2. DÉPISTAGE ET ÉVALUATION DIAGNOSTIQUE

Dépistage médical et infirmier

→ Un examen systématique par le médecin, notamment coordinateur d’Ehpad, afin de dépister les troubles de la déglutition est souhaitable, même en l’absence de plainte ou de signe évocateur. La prise en compte des facteurs de risque neurologiques, ORL et gastroentérologiques, d’un état respiratoire pouvant découler d’inhalations chroniques (pneumopathies récidivantes, encombrement bronchique), et un interrogatoire orienté et détaillé du patient et de son entourage sont des éléments importants. Outre l’examen général et buccal, l’examen neurologique à la recherche de dysarthrie, de dysphonie, d’un déficit sensitivomoteur lingual, vélaire ou pharyngé est utile. L’absence de réflexe nauséeux ou le signe du rideau ne sont pas synonymes de dysphagie.

→ Un test de dépistage au verre d’eau est recommandé il peut être pratiqué par le médecin ou par un infirmier formé (voir p. 54).

Examens complémentaires

Des examens complémentaires peuvent être prescrits ; le recours à la vidéoradioscopie de déglutition restant difficile d’accès pour le patient gériatrique et a fortiori dément, la nasofibroscopie de déglutition (à distinguer de la nasofibroscopie laryngée), si elle est réalisable, est l’examen complémentaire de première intention. Elle permet de détecter des anomalies morphologiques et lésionnelles, et de tester à vue divers types de bolus et de compensations éventuelles.

Ces examens peuvent cependant se révéler peu contributifs concernant les adaptations précises à conseiller au quotidien, notamment parce qu’ils ne prennent pas en compte les aspects cognitivo-comportementaux et écologiques (niveau d’autonomie, qualité des techniques d’aide, environnement etc.). Dans l’idéal, ils sont complémentaires à une évaluation clinique orthophonique.

Évaluation orthophonique

→ L’évaluation de la déglutition fait partie du décret d’actes des orthophonistes et des kinésithérapeutes. En gériatrie interviennent souvent les orthophonistes, particulièrement formés aux troubles de la parole et de la voix, aux déficits cognitivo-comportementaux associés et à la prise en charge globale. Sur prescription médicale, l’orthophoniste spécifiquement entraîné procède à un bilan d’investigation ; il étudie les facteurs de risque, l’histoire de la maladie et procède à des interrogatoires ; il effectue un examen clinique et fonctionnel de la voix, de la parole et de la déglutition.

→ Une partie de l’examen fonctionnel repose sur l’observation de la totalité d’un repas : des essais alimentaires isolés ne suffisent pas à appréhender l’ensemble des facteurs entrant en jeu dans la déglutition ; l’orthophoniste estime le risque de fausse route (notamment silencieuse), évalue les éventuelles répercussions des déficits cognitivo-comportementaux du patient en situation d’alimentation, et la pertinence des actions des aidants (positionnement, techniques d’aide…).

→ Au terme de l’évaluation, l’orthophoniste soumet au médecin son diagnostic, précisant les mécanismes en jeu, et fait des propositions thérapeutiques. Ces suggestions résultent d’une réflexion fine prenant en compte les risques, les besoins et envies du patient et les moyens humains et matériels à disposition sur le terrain. Ces éléments sont argumentés et synthétisés dans un compte-rendu de bilan.

1- Guatterie M., Lozano V., « Quelques éléments de physiologie de la déglutition », Kinéréa, 2005 ; n° 42 : 2-9.

2- Lacau Saint-Guily J. « Troubles de la déglutition en gériatrie. Le point de vue de l’ORL », La Revue francophone de gériatrie et de gérontologie, 2000 ; n° 63 : 130-1.

3- Pouderoux P., Jacquot J.-M., Royer E., Finiels H., « Les troubles de la déglutition du sujet âgé. Procédés d’évaluation », La presse médicale, 2001, n° 33 : 1635-44.

4- La réhabilitation de la déglutition chez l’adulte, V. Woisard, M. Puech, Solal Eds, 2011.

ZOOM

Les principales pathologies altérant la déglutition

Affections neurologiques

• Pathologies vasculaire cérébrales

• Maladie de Parkinson et apparentées

• Maladie d’Alzheimer et apparentées

• Tumeurs du système nerveux central

• Traumatismes crâniens

• Sclérose latérale amyotrophique, sclérose en plaques

• Chorée de Huntington, ataxie héréditaire progressive

• Syndrome de Guillain-Barré et neuropathies périphériques

• Affections musculaires, myasthénies, myopathies, polymyosites

Affections de la sphère ORL

• Tumeurs de la cavité buccale, pharynx, larynx, œsophage

• Compressions extrinsèques (thyroïde, adénopathies…)

• Ostéophytes cervicaux compressifs

• Diverticules de Zenker

• Candidoses oropharyngées

Pathologies iatrogènes

• Suites de chirurgie (voies aérodigestives supérieures, œsophage, endartérectomies carotidiennes, thyroïde, rachis cervical, pontages coronariens, fosse postérieure et base du cerveau…

• Radiothérapie cervicale

• Présence de matériel endoluminal au niveau du carrefour pharyngolaryngé

• Médicaments

Divers

• Diabète, dysthyroïdies, sarcoïdose, amylose, maladie de Whipple, syndrome de Sjögren et connectivités, syndrome de Plummer Vinson

• Déshydratation, dénutrition,

• Affections psychiatriques, phobie de la déglutition

• Fins de vie

Source : « Les troubles de la déglutition du sujet âgé, aspects épidémiologiques », Finiels et al., 2001