Responsabilité : tout ce que vous devez savoir - L'Infirmière Magazine n° 361 du 01/06/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 361 du 01/06/2015

 

FORMATION

RÉFLEXION

Marie Fuks  

Comme toute faute, l’erreur de côté expose les personnels de bloc opératoires à un risque de poursuite. Le point sur la couverture assurantielle des Ibode avec Catherine Stephan-Berthier, juriste chez Sham.

L’INFIRMIERE MAGAZINE : Aucun règlement, ni aucune loi ne fait allusion à l’erreur de côté en tant que telle. Comment est-elle prise en compte par la réglementation ?

CATHERINE STEPHAN-BERTHIER (C. S.-B.) : Effectivement, il n’existe pas de texte précis sur le sujet. L’erreur de côté va être entendue comme une faute commise lors de la réalisation de soins (en l’occurrence l’acte chirurgical) qui, dès lors qu’elle entraîne un préjudice pour le patient, est susceptible de donner lieu à une recherche de responsabilité.

L’I. M. : Quand intervient une erreur de côté, quelle est la procédure à suivre et qui informer ?

C. S.-B.  : Bien évidemment, le patient doit en être informé dans les meilleurs délais par le médecin responsable de sa prise en charge. Parallèlement, s’agissant d’un évènement indésirable, un signalement interne doit être effectué afin d’évaluer les pratiques et de mettre en place des procédures sécurisées qui permettront d’éviter que l’erreur se reproduise. En outre, le directeur de l’ARS doit être informé en application de l’article L. 1413-14 du code de la santé publique. En pratique, c’est le chef d’établissement qui se charge de le tenir informé.

L’I. M. : Le signalement interne d’un évènement indésirable peut-il entraîner des sanctions ?

C. S.-B. : Exception faite du cas extrêmement rare où l’origine de l’évènement indésirable est volontaire, son signalement n’entraîne, en principe, aucune sanction administrative. D’autant que sa survenue résulte rarement d’un seul individu, mais plus généralement d’un enchaînement de circonstances ou d’un cumul de négligences. L’objectif de la déclaration n’est pas de stigmatiser un ou plusieurs soignants. Elle repose au contraire sur une logique de prise de conscience collective de l’importance de la sécurité au sein des établissements et de la nécessit de faire progresser les pratiques dans l’intérêt des patients et des soignants. Autrement dit, tout évènement indésirable peut et doit être signalé sans crainte par l’Ibode à sa hiérarchie.

L’I. M. : Quelles sont les voies de recours ouvertes aux patients pour être indemnisés de leur préjudice ?

C. S.-B. : Lorsque le patient allègue un préjudice, il peut soit faire une réclamation amiable auprès du directeur de l’établissement, soit saisir la commission de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux (CCI), ou encore saisir une juridiction (tribunal administratif si l’établissement relève du secteur public ou tribunal de grande instance s’il relève du secteur privé). Le patient peut choisir librement le mode de règlement du litige. En procédure amiable, l’assureur de l’établissement prend en charge l’instruction médico-légale du dossier. Il peut notamment faire réaliser une expertise par un médecin de son réseau d’experts afin de vérifier l’éventuelle responsabilité de son assuré, et, le cas échéant, préciser l’étendue des préjudices subis pour déterminer une proposition indemnitaire.

L’I. M. : Le patient peut-il engager un recours dans le but de provoquer des sanctions pénales ?

C. S.-B. : Oui, en portant plainte auprès des services de police ou de gendarmerie afin de déclencher une enquête dirigée par le procureur de la République. Cette enquête peut déboucher sur une mise en examen donnant lieu à un procès pénal.

L’I. M. : La responsabilité personnelle de l’infirmière peut-elle être engagée ?

C. S.-B. : Là encore, il convient de faire une distinction entre la responsabilité civile et la responsabilité pénale. Lorsque l’infirmière est salariée ou agent public, sauf faute personnelle – la faute personnelle est constituée lorsqu’il existe un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d’ordre professionnel ou déontologique, elle est rarrissime –, elle n’engage pas sa propre responsabilité civile. C’est l’établissement employeur qui assume l’éventuelle responsabilité qui découle de ses actes à savoir le dédommagement financier du patient pour dommage subi. En clinique privée, l’Ibode salariée de la clinique intervient au bloc opératoire sous le contrôle du chirurgien libéral. Les juridictions considèrent que l’Ibode devient le préposé du chirurgien le temps de l’intervention ce qui engage la responsabilité de ce dernier en cas de faute. Concernant la responsabilité pénale, l’infirmière, au même titre que les autres membres de l’équipe du bloc opératoire, peut être condamnée du fait d’une négligence ou d’un manquement à une règle de sécurité légale ou règlementaire.

L’I. M. : À quel type de poursuite s’expose-t-elle sur le plan pénal ?

C. S.-B. : Les principales infractions donnant lieu à des poursuites pénales en établissement de santé sont l’homicide involontaire et les blessures involontaires. L’infraction est constituée dès lors qu’un professionnel cause des séquelles ou le décès d’un patient par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement. Elle peut être punie d’une peine d’emprisonnement et/ou d’une amende. Si les indemnités versées au patient sont couvertes par l’assurance, en revanche, aucune assurance ne peut prendre en charge les amendes. En cas de poursuite, le comportement du professionnel ne sera pas considéré comme répréhensible s’il démontre qu’il ne peut être tenu responsable de situations sur lesquelles il ne pouvait agir du fait de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ou du pouvoir et des moyens dont il disposait.

L’I. M. : Quand la responsabilité disciplinaire de l’infirmière peut-elle être recherchée ?

C. S.-B.  : La responsabilité disciplinaire peut être mise en cause en cas de violation d’une règle professionnelle particulière aux infirmières (articles R. 4312-1 à R. 4312-89 du code de la santé publique), ou encore de désobéissance ou d’inobservation de mesures ou d’ordres émanant de son employeur. Dans de telles hypothèses, les sanctions peuvent être l’avertissement, le blâme, la mise à pied voir le licenciement. Ce type de risque ne s’assure pas. Néanmoins, certaines assurances souscrites à titre personnel proposent un accompagnement au titre de la protection juridique pour aider le soignant à préparer sa défense.

L’I. M. : Quelle couverture assurancielle faut-il leur conseiller ?

C. S.-B. : L’infirmière libérale est légalement tenue de souscrire une assurance de responsabilité civile professionnelle (RCP) pour garantir les conséquences pécuniaires de ses éventuelles fautes*. La souscription d’une telle assurance par les infirmières salariées (salariées de droit privé ou agent public) relève, en revanche, d’une démarche volontaire. En cas de poursuite pénale, le contrat RCP a également vocation, par le biais d’une garantie « défense pénale », à prendre en charge ses frais d’avocats. Toutefois, cette garantie défense pénale n’intervient pas en cas de poursuites pénales consécutives à une faute personnelle détachable des fonctions (voir encadré ci-contre).

* Lire notre prochain article sur le sujet dans L’Infirmière Magazine n° 362 de juillet-août, rubrique « Carrière ».

RÉGLEMENTATION

Zoom sur la faute détachable

→ La faute détachable s’oppose à la faute de service. C’est une faute d’une gravité exceptionnelle qui ne peut par son origine être rattachée au fonctionnement du service. L’acte en cause présente l’une des caractéristiques suivantes :

– il se détache de la fonction et ressort de la vie privée de l’agent ;

– il révèle une intention malveillante avec volonté de nuire ;

– il relève de la recherche d’un intérêt personnel ;

– il est inadmissible, inexcusable au regard de la déontologie de la profession. >

→ Alors que la faute de service engage la responsabilité de l’hôpital, la faute détachable, elle, engage la responsabilité personnelle du praticien, ce qui implique la prise en charge d’une condamnation à des dommages et intérêts sur ses deniers personnels et une sanction possible (amende) si la faute est en même temps constitutive d’une infraction pénale.

Source : https://www.macsf.fr, MACSF, Béatrice Courgeon, juriste

EN CHIFFRES

→ 42 % des évènements indésirables graves sont consécutifs à un acte chirurgical, devant les médicaments (39 %) et les infections (19 %) selon l’étude Eneis de 2004.

→ En orthopédie, sur les 2 500 000 interventions par an en moyenne, dont 34 % d’ambulatoire, l’incidence des ESO est comprise entre 0,09 et 4,5 pour 10 000 actes chirurgicaux selon les études(1).

→ Sur les 294 plaintes étudiées entre 2004 et 2005, les erreurs de personne, site ou côté occupent la 3e place, soit 16 % des plaintes (34 cas)(2).

1- H Mendizabal, G. Bollini et cols, « Évènements porteurs de risques déclarés sur le thème “erreurs de site opératoire” en chirurgie orthopédique », Risques et qualité, Vol X – n° 1.

2- De Vries et al, « Prevention of Surgical Malpractice Claims by a Surgical Safety Checklist », Annals of surgery, Janvier 2011.