« Rendre plus clairs les protocoles » - L'Infirmière Magazine n° 361 du 01/06/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 361 du 01/06/2015

 

INTERVIEW
EDITH SALÈS-WUILLEMIN PROFESSEURE DE PSYCHOLOGIE SOCIALE À L’UNIVERSITÉ DE BOURGOGNE. CHERCHEURE AU LABORATOIRE SPMS (SOCIO-PSYCHOLOGIE ET MANAGEMENT DU SPORT, EA 4180)

DOSSIER

Edith Salès-Wuillemin est l’auteur de plusieurs études sur la représentation de l’hygiène et les modes de raisonnement des soignants(1).

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Comment les soignantes se représentent-elles la notion d’hygiène ?

EDITH SALÈS-WUILLEMIN : Tout dépend du stade où elles en sont dans leur formation. En première année d’Ifsi, les étudiantes sont focalisées sur des règles abstraites et normatives. La référence au protocole de lavage des mains apparaît de manière significative en deuxième année, la notion d’asepsie surtout en troisième année. Par la suite, les gestes associés à l’hygiène varient avec les fonctions exercées : les infirmières pensent asepsie quand les aides-soignantes raisonnent en termes de désinfection. Par ailleurs, le mot « propreté » recouvre plusieurs réalités : chez les infirmières, elle est microbienne ; chez les aides-soignantes, elle est plus visuelle. Elles utilisent des mots comme « net, sans trace ». Cela fait écho à leur travail, car si l’asepsie est essentielle pour les infirmières, les aides-soignantes doivent plutôt assurer la propreté de l’environnement du patient.

L’I. M. : Quel est l’impact de ces représentations sur la pratique professionnelle ?

E. S.-W. : Il est bidirectionnel. La représentation oriente la pratique, car je réalise le geste qui permettra d’atteindre l’idée que je me fais de l’hygiène. Mais, d’un autre côté, l’évolution des pratiques fait changer les représentations.

Dans le milieu professionnel, comme il existe un référentiel commun, tout le monde pense que les autres procèdent de la même façon qu’eux-mêmes. On se dit « c’est le B.A.-BA », et du coup, on ne s’interroge pas. Or, on peut avoir des représentations très diverses de quelque chose d’apparemment aussi simple que le lavage des mains. Quand on demande aux soignantes d’en parler plus précisément, par exemple du point de vue de la durée, leur réponse peut être « une minute », « trois minutes », voire « un certain temps ». Cela traduit évidemment des pratiques différentes !

L’I. M. : Cela peut-il affecter le respect des recommandations ?

E. S.-W. : Si les professionnelles savent qu’il existe des protocoles, elles n’en ont souvent pas une représentation exhaustive ! Celui sur l’hygiène des mains, par exemple, fait une vingtaine de pages si l’on considère les différentes techniques (lavage simple, hygiénique, chirurgical, friction hydroalcoolique), qui viennent s’ajouter au protocole de soin proprement dit. Les infirmières ne prennent pas forcément le temps de s’interroger : pourquoi faut-il faire ces gestes-là ? Pourquoi trois minutes ? Pourquoi insister sur les espaces interdigitaux ? Or, si l’on ne sait pas pourquoi une étape est importante, la supprimer ne paraît pas critique. Certaines soignantes imaginent pouvoir remplacer la durée de lavage par la fréquence ; des aides-soignantes se disent qu’un mauvais lavage n’est pas grave, puisqu’elles ne touchent pas le patient… Si elles comprenaient mieux les protocoles, elles ne feraient pas de telles erreurs !

La représentation de certains produits, comme la solution hydroalcoolique, est également problématique. Pour les anciennes, elle ne lave pas et le lavage traditionnel au savon reste préférable. Mais elles n’ont pas toujours le temps de l’effectuer correctement. Et même si la solution hydroalcoolique est plus efficace, elles ne vont l’utiliser que dans les situations les moins risquées. Pour un geste technique, comme une pose de cathéter, elles vont préférer un lavage au savon. Enfin, elles ont tendance à surdoser le savon, avec le risque que le rinçage soit insuffisant, et à sous-doser la solution hydroalcoolique au détriment de l’efficacité…

L’I. M. : Comment pourrait-on améliorer les représentations de l’hygiène et, ainsi, les pratiques des infirmières ?

E. S.-W. : Dès la formation initiale, on pourrait placer les étudiantes dans des situations critiques, où un arbre de décision s’ouvre à elles : cela permet de visualiser les conséquences de ses choix. Ensuite, on pourrait les faire travailler par associations d’idées sur la signification attribuée aux mots : décrire les produits qu’elles utilisent, etc. On pourrait aussi revoir les protocoles, avec des hygiénistes, en focalisant sur les points d’incompréhension afin de les rendre plus clairs et donc plus faciles à mettre en œuvre. Pour cela, on pourrait les reformuler, mettre certains passages en gras, utiliser un code couleurs… Des choses simples qui permettraient de faire ressortir le message essentiel, actuellement noyé.

1- Morlot, R., Salès-Wuillemin, E. (2008), « Effet des pratiques et des connaissances sur la représentation sociale d’un objet : application à l’hygiène hospitalière », Revue internationale de psychologie sociale, 21, 4, 89-114 ; Salès-Wuillemin, E., Morlot, R., Masse, L. Kohler, C. (2009). « La représentation sociale de l’hygiène chez les professionnels de santé : intérêt du recueil par entretien et de l’analyse discursive des opérateurs de liaison issus du modèle des Schèmes cognitifs de base (SCB) », Cahiers internationaux de psychologie sociale, 81, 43-72 ; Salès-Wuillemin, E. Morlot, R., Fontaine, A. (2011) Psychologie sociale, communication, langage : de la théorie aux applications, Éd. De Boeck.