On s’en lave encore les mains - L'Infirmière Magazine n° 361 du 01/06/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 361 du 01/06/2015

 

HYGIÈNE

DOSSIER

HÉLÈNE COLAU  

Malgré la multiplication des recommandations et des protocoles, les soignantes ont parfois du mal à mettre en œuvre les bonnes pratiques. Afin de lever ces blocages, il est essentiel d’en comprendre les mécanismes.

Moins d’un soignant sur quatre se lave les mains avant d’entrer en contact avec les malades. » À la fin de l’hiver dernier, alors que l’épidémie de grippe bat son plein, cette effarante statistique fait les gros titres. À l’origine de ce constat alarmant, mettant directement en cause les professionnels de santé : une étude menée à l’Hôpital Nord de Marseille, suivant une méthode inédite. Les équipes du service de maladies infectieuses et tropicales ont accepté de porter une puce RFID (Radio Frequency Identification) dans la semelle de leurs chaussures, tandis que des tapis de sol connectés étaient installés devant les diffuseurs de solution hydroalcoolique. Conclusion : il apparaît que seuls 22,6 % des soignants se lavent les mains avant d’entrer en contact avec les malades et 21 % après coup. « Nous avons été très étonnés par ces résultats, reconnaît le Pr Philippe Brouqui, le chef du service. Ce taux est faible alors que nous sommes l’un des services qui consomment le plus de solutés hydroalcooliques. » Les professionnels de santé bafoueraient-ils au quotidien les recommandations les plus élémentaires en matière d’hygiène hospitalière ? Daniel Zaro-Goni, hygiéniste au Centre de coordination de la lutte contre les infections nosocomiales Sud-Ouest (Cclin) et vice-président de la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H), tient à nuancer ce constat. « Certes, la situation est encore perfectible, mais nous avons déjà constaté de grands progrès ces quinze dernières années, explique-t-il. L’apparition des solutions hydroalcooliques a considérablement amélioré l’observance. Aujourd’hui, les mesures d’hygiène des mains sont respectées dans 70 à 80 % des cas, quand ce chiffre n’était que de 60 % au début des années 2000. » La SF2H note également des progrès concernant la pose de cathéters veineux périphériques, un geste invasif qui nécessite une vigilance particulière. Selon un audit réalisé en 2008, sur 40 000 poses étudiées, tous les critères de qualité étaient respectés dans six cas sur dix. En ne prenant en compte que les critères principaux, ce chiffre monte à sept sur dix. « Sept ans plus tard, on serait plus probablement autour de huit sur dix », se félicite Daniel Zaro-Goni. Car d’après les observations de la SF2H, plus la perception du risque est forte, mieux les mesures d’hygiène sont appliquées. Les soignants travaillant dans des services à risques, comme la réanimation ou le bloc opératoire, sont mieux sensibilisés et donc plus impliqués. De même, les infirmières et les aides-soignantes, qui sont en permanence au contact du patient et, de par la nature des tâches qui leur incombent, amenées à réaliser des frictions, se montrent plus observantes que les médecins.

Résistance au changement

Grâce aux efforts de tous, le nombre d’infections associées aux soins a considérablement baissé ces dernières années. Mais il semble qu’un seuil soit aujourd’hui atteint (lire encadré p. 27). Même si le risque zéro n’existe pas, pourquoi est-il désormais si difficile d’amener les soignants à améliorer leurs pratiques ? « On se demande régulièrement quels sont les freins à l’application des recommandations en matière d’hygiène », reprend Daniel Zaro-Goni. La SF2H en a repéré sept à huit. « D’abord, un manque de temps lié à la charge de travail, qui est telle que les équipes sont parfois en souffrance. Ensuite, certains professionnels disent ne pas comprendre les recommandations, ni pourquoi on leur demande de changer leurs pratiques. La résistance au changement est une réaction tout à fait humaine ; peut-être y a-t-il un manque d’accompagnement dans la diffusion des bonnes pratiques ? Enfin, les professionnels considèrent parfois que la mesure proposée est inutile. C’est un frein très puissant. Et souvent, plusieurs de ces facteurs se combinent », rajoute-t-il

Des patients partenaires

Pour dépasser ces blocages, les établissements de santé rivalisent d’ingéniosité. Avec une constante : privilégier la pédagogie par rapport à l’autorité, afin d’amener les soignants à s’approprier les mesures. Dans un premier temps, la plupart des hôpitaux ont formalisé des protocoles, aujourd’hui en place dans 98 à 100 % des services, en s’inspirant des guides de bonnes pratiques édités par la SF2H. Des règles corrigées au fil des retours d’expérience d’autres équipes. Parallèlement, les démarches d’analyse des causes se sont généralisées : quand survient un événement indésirable, les soignants se réunissent pour comprendre l’enchaînement qui y a mené. Les hôpitaux sont ainsi passés de la notion d’hygiène hospitalière à celle de gestion du risque infectieux. Au-delà de ce changement fondamental d’approche, des initiatives originales émergent ici ou là. Les Cclin tentent d’élaborer des supports pédagogiques moins rébarbatifs que les traditionnels protocoles écrits. « Les films, par exemple, ont davantage d’impact sur les professionnelles que les recommandations brutes, explique le Dr Christophe Gautier, praticien hospitalier en hygiène et responsable de l’Antenne régionale de lutte contre les infections nosocomiales (Arlin) Aquitaine. Nous venons d’en mettre un en ligne sur la prévention des infections sur les chambres à cathéter implantables à domicile. Nous y avons décliné les recommandations formulées en 2012 par la SF2H, en montrant qu’à domicile, on pouvait se rapprocher le plus possible de ce qu’on fait à l’hôpital en termes d’hygiène des mains, de tenue… Les professionnelles qui regardent le film peuvent établir un parallèle avec leurs propres pratiques, voir si elles sont à jour et, si besoin, les améliorer. » Le Cclin Paris-Nord, lui, s’est proposé d’impliquer davantage les patients avec son programme « Patient-soignant, travaillons main dans la main ». Le principe : « À chaque admission, le soignant délivre au patient, avec un vocabulaire adapté, clair et compréhensible, plusieurs messages sur l’hygiène des mains, tout en réalisant une démonstration de la technique de friction, détaille le Dr Delphine Verjat-Trannoy, à l’initiative du programme. Cela permet de valoriser les bonnes pratiques des soignants à travers une action positive de transmission de savoir-faire et de les impliquer dans une démarche engageante. »

Un engagement individuel

En effet, dans le domaine de l’hygiène, la notion d’engagement individuel des soignants est fondamentale. Fabien Girandola, enseignant-chercheur en psychologie sociale à l’université d’Aix-Marseille, souligne son importance pour l’évolution des comportements. « L’engagement d’un individu correspond au degré auquel il peut s’assimiler à un acte, il implique un sentiment de liberté, explique-t-il. Une expérience menée en 2010 sur les effets de cet engagement dans la prévention des infections nosocomiales a mis en évidence des résultats très positifs. Par exemple, quinze jours après une intervention engageante [comme l’implication dans un groupe de travail, la réalisation de posters…], les IDE déclaraient nettoyer plus souvent avec un savon antiseptique la zone de ponction. De même, une démarche de communication engageante entreprise dans un service, qui consistait en la mise au point d’un slogan en groupe assortie de la signature d’une charte, a permis de faire passer le port de l’alliance de 43 % à 19 %. Une campagne de communication classique, menée quelque temps plus tôt, n’avait eu aucun effet. »

Une responsabilisation plus brutale, consistant à pointer les défaillances de chacun individuellement, peut aussi se révéler efficace. Ainsi, les professionnels de santé du service des maladies infectieuses de Marseille reçoivent régulièrement des SMS récapitulant leurs propres pratiques en matière d’hygiène. Selon le chef du service, cela a suffi à multiplier par deux le taux de lavage des mains. Il envisage à présent d’aller plus loin, avec une alarme qui se mettrait à sonner à chaque fois qu’un soignant s’approche du lit du malade sans s’être lavé les mains. Des pistes intéressantes, mais atteindre un jour une observation des recommandations de 100 % semble utopique. « Il sera difficile de réduire encore le nombre d’infections associées aux soins, constate Daniel Zaro-Goni. Et puis la question de l’efficience se pose : puisqu’un bon niveau de respect des recommandations a été atteint, faut-il dépenser plus pour un résultat faible ? »

En chiffres

→ À l’hôpital, le respect des règles d’hygiène influe directement sur le nombre d’infections associées aux soins. Selon l’enquête nationale de prévalence des infections nosocomiales menée en 2012 par l’Institut de veille sanitaire sur 1 938 établissements de santé et 300 330 patients, 5,1 % de ces derniers présentaient une ou plusieurs infections nosocomiales actives.

→ Sur toute la France, cela représente 750 000 cas chaque année.

→ En court séjour, cette prévalence grimpe à 5,6 %.

→ On estime que les infections associées aux soins sont à l’origine de 9 000 décès par an, dont 4 200 patients pour lesquels le pronostic vital n’était pas engagé à leur entrée à l’hôpital.

→ Quatre sites infectieux représentaient plus de deux infections nosocomiales sur trois : infection urinaire (30,3 %), pneumonie (14,7 %), infection du site opératoire (14,2 %) et bactériémie (6,4 %).

Les trois micro-organismes les plus fréquents étaient Escherichia coli (24,7 %), Staphylococcus aureus (18,9 %) et Pseudomonas æruginosa (10 %).

→ De 2006 à 2012, la prévalence des patients infectés est restée stable en court séjour et a diminué de 21 % dans les autres types de séjour.