Les soins se mettent à table - L'Infirmière Magazine n° 361 du 01/06/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 361 du 01/06/2015

 

ALIMENTATION

SUR LE TERRAIN

REPORTAGE

CLAIRE POURPRIX  

Longtemps négligées, la qualité et la présentation des plats sont aujourd’hui l’affaire des services de soins. La 4e Journée nationale de l’Alimentation à l’hôpital, en Ehpad et maisons de retraite, sera d’ailleurs célébrée le 16 juin. Au CHU de Saint-Étienne, la cuisine centrale et les équipes soignantes collaborent pour faire du repas un acte de soins à part entière.

La présentation sur le plateau est soignée, c’est agréable et ça met en appétit ! » Il est 12 h 30 ce mardi lorsque cette patiente du service de gériatrie de court séjour et soins de suite et réadaptation de La Charité, du CHU de Saint-Étienne, s’apprête à déjeuner. Finies les barquettes et autres présentations aseptisées : depuis trois ans, les patients de cette unité bénéficient d’un service à l’assiette, dans une vaisselle en porcelaine, avec serviette en tissu… « Nous recevons les plateaux vers 9 h 30. Nous les vérifions et réalisons des ajustements si besoin. Puis, avant de les distribuer, nous déconditionnons les plats pour les présenter joliment », explique Patricia Berthod, aide-soignante. Avec ses collègues, elles se sont entraînées au maniement des emporte-pièces et ont découvert de nombreuses astuces pour rendre les plats attrayants. Elles prennent ainsi le temps de couper les fruits pour faciliter leur ingestion par les personnes âgées. Ce matin, elles ont même ajouté une pointe de confiture sur les poires pour égayer le tout… « Pour la patiente de la 11, portion normale, elle a de l’appétit en ce moment. » L’infirmière de service accompagne les aides-soignantes lors de la distribution des plateaux. « C’est un moment important dans la transmission des informations, témoigne Michelle Borghese. Je signale les patients qu’il faut stimuler, les précautions à prendre dans certains cas, donne des indications sur les quantités nécessaires, en fonction de l’appétit et des besoins nutritionnels des patients. » Quand elles débarrassent les plateaux, les aides-soignantes gardent l’œil pour vérifier ce qui n’a pas été mangé et remontent l’information aux infirmières. « Lors de la réorganisation du service, il y a trois ans, nous avions constaté que les patients comme les soignants n’étaient pas satisfaits des repas. Il y avait beaucoup de déchets, la présentation était impersonnelle et la durée du repas trop courte, explique le Dr Émilie Achour, gériatre à l’unité court séjour et réadaptation. Nous avons revu les horaires de distribution, étendu le temps du repas et fait en sorte de le rendre plus convivial. » Un réel travail d’équipe a été effectué, en concertation avec la cuisine centrale, élément clé du CHU, dans le cadre notamment du comité de liaison en alimentation et nutrition (Clan) dont le but est d’améliorer la prise en charge nutritionnelle des patients.

100 produits pour un menu

5 h 30. C’est en cuisine que tout commence. Depuis 2004, le CHU de Saint-Étienne est équipé d’une cuisine centrale sur l’Hôpital Nord, qui fabrique 7 500 repas par jour, 5 jours sur 7 en liaison froide. Les besoins sont estimés cinq semaines en amont, grâce aux interventions programmées. Le plan de production est établi dix jours à l’avance, puis affiné au quotidien. Les plats, quasi-intégralement cuisinés maison (hors pâtisseries et mixés), sont conditionnés sur place sur trois chaînes, puis stockés dans les réfrigérateurs. « Le profil alimentaire des patients est saisi sur le logiciel Winrest lors de leur arrivée dans les services. Les allergies, les menus spéciaux élaborés par les diététiciennes, les aversions des patients… : tout est mentionné. Ce système permet de prévoir en temps réel des menus personnalisés », explique André Boucard, ingénieur en restauration.

Charlotte sur la tête et chaussures spéciales aux pieds, chacun s’affaire en cuisine. Réception des marchandises, rangement, découpe, cuisson, conditionnement, stockage, mise en plateau, mise en chariot, mise en température froide, livraison, etc., la cuisine centrale est en lien avec les 130 services du CHU, sur ses quatre sites. « Nous essayons de produire au plus près des besoins, ajoute-t-il. Nous demandons à tous les services de vérifier que chaque patient est bien enregistré dans Winrest à 8 heures et à 13 heures afin de préparer les plateaux. » La vigilance paye : la chasse au gaspillage a permis de supprimer 350 plateaux par jour ! Validation faite par les services, les cartes de menu de tous les patients sont ensuite éditées, puis distribuées aux préparateurs des plateaux. Elles resteront sur les plateaux jusqu’à la chambre des patients, pour contrôler à toutes les étapes de la chaîne que le bon repas est bien délivré à la bonne personne. Le système admet toutefois une certaine souplesse : des ajustements sont toujours possibles en fonction des arrivées, des départs, des interventions non programmées… La cuisine centrale dispose ainsi d’un stock d’épicerie pour les besoins ponctuels en jus de fruits, en produits hyperprotéinés, etc. qu’elle fournit à la demande. Et des distributeurs automatiques sont à disposition des services dans les différents sites du CHU afin de parer à toute éventualité : plats standards, pour diabétique, sans sel, sans résidu… tout est prévu. Au total, l’élaboration d’un menu nécessite une centaine de produits en prenant en compte toutes les déclinaisons possibles. Sans compter que la texture – normale, hachée, moulinée ou lisse – est, elle aussi, variable. Ces efforts sont récompensés puisque l’enquête annuelle menée auprès des patients révèle un taux de satisfaction concernant les repas de 85 %.

Service à l’assiette

17 heures dans le service d’endocrinologie de l’Hôpital Nord. Le chariot de froid vient d’être livré. Les plats, conditionnés en barquette collective, sont disposés dans le chariot de remise en température. Les aides-soignantes préparent les plateaux. Les desserts sont annotés du numéro de la chambre des patients, puis mis au réfrigérateur. Ce jour-là, en accompagnement, il y a le choix entre riz et poêlée forestière. Pour les patients diabétiques, très nombreux dans le service, les aides-soignantes calculent la quantité de pain autorisée. « Les diététiciennes du service ont élaboré un tableau d’équivalence des quantités de féculent, explique Nadège Genest, aide-soignante. Nous savons que 50 g de pain sont égales à 150 g de féculents. De plus, le tableau nous indique la correspondance entre les grammes et le nombre de cuillères afin de servir les bonnes quantités. »

À partir de 18 h 45, après la mesure du taux de glycémie effectuée à 18 h 30, la distribution des repas démarre. Les aides-soignantes arpentent les couloirs avec leur chariot et complètent les plateaux en servant le plat chaud dans des assiettes. « Le service à l’assiette prend du temps, mais il permet un meilleur respect des quantités et préserve la notion de plaisir associé au repas, souligne Marina Grangeon, infirmière. Le diabète est souvent associé à un régime ; or, nous souhaitons casser cette image. Les patients sont d’ailleurs souvent étonnés des quantités qu’ils peuvent manger ! » Et, s’ils ne mangent pas suffisamment, les aides-soignantes le signalent aux infirmières, pour éviter tout risque d’hypoglycémie.

Une affaire de goût

En accordant au repas une place importante dans la prise en charge, les soignants entendent aussi susciter l’intérêt des patients pour leur propre alimentation. Les quatre diététiciennes de l’équipe (2,5 équivalents temps plein) effectuent des entretiens diététiques sur prescription médicale. Elles reçoivent les patients à leur arrivée dans le service, recueillent leurs données personnelles (contexte de vie personnelle, familiale, professionnelle, traitement, pathologie, aspect financier…) et dressent un bilan diététique permettant d’identifier leurs difficultés et de définir ce qui peut être amélioré, en fonction de chaque pathologie (diabète, chirurgie bariatrique, dénutrition…). Les patients sont ensuite orientés sur un atelier diététique. « Il s’agit d’une démarche volontaire. L’objectif n’est pas de leur dire ce qu’ils doivent faire, mais qu’ils se rendent compte par eux-mêmes des points d’amélioration possibles », explique Céline Monchamp, diététicienne.

En gastro-entérologie aussi, l’alimentation des patients se révèle être une tâche très complexe. Le service, qui accueille 60 à 70 % de patients atteints de cancers, a notamment travaillé dans le cadre du Clan sur la présentation des aliments afin de réduire les sensations de dégoût des patients. « Ce travail nous a permis d’échanger avec d’autres services et de revoir nos pratiques sans pour autant accroître notre charge de travail, afin de mettre en place des solutions pérennes », explique Marc Sivard, cadre de santé du service. L’équipe a ainsi décalé les horaires des repas pour les adapter au rythme des patients, introduit des jus de fruit et surtout des glaces, qui se mangent facilement et permettent d’atténuer la sensation de soif. « Nous profitons des moments du repas pour donner des informations, des conseils aux patients, souligne Aurore Pouly, aide-soignante qui a participé au groupe de travail du Clan. Nous pouvons aussi effectuer des changements de dernière minute car la cuisine centrale est très réactive. » Le travail en collaboration avec la cuisine a porté ses fruits : « Nos remarques sont prises en compte, ajoute-t-elle. De nouvelles associations d’aliments sont ainsi proposées pour modifier certains goûts. On nous a aussi expliqué comment bien réchauffer les plats pour obtenir un meilleur rendu. Des petits plus très appréciés ! »

Une problématique pluridisciplinaire

L’expérience du CHU de Saint-Étienne montre que la nutrition des patients a tout à gagner du travail pluridisciplinaire des équipes. « Il y a dix ans, nous avons mis en place le groupe “alimentation du pôle gériatrique” dans le cadre de notre projet de soins visant à associer confort, hygiène, convivialité, nutrition et plaisir. Nous étions partis du constat qu’il y avait beaucoup de gaspillage et d’insatisfaction par rapport à la qualité », expose Séverine Jurdie, copilote du groupe et cadre de santé de gériatrie. De nombreuses mesures ont été prises grâce aux réflexions communes du groupe comprenant médecin, représentant des soignants, diététiciennes des services et de la cuisine, personnels de la cuisine, ergothérapeute et représentant des familles. Cela va de l’ordre de la présentation des plats, de droite à gauche sur le plateau, à l’élaboration de fiches techniques d’installation des patients, en passant par l’acquisition d’une vaisselle colorée (« comme à la maison »)… Des initiatives originales ont vu le jour, comme l’élaboration de menus traditionnels et festifs pour marquer les événements de l’année. Avec, parfois, un service digne d’un restaurant, grâce à un partenariat avec le lycée hôtelier voisin. « Toutes les bonnes pratiques sont réunies dans un classeur à disposition des soignants. On y trouve le livret de restauration établi par la cuisine, complété de nos propres fiches techniques. C’est un outil de formation continue », commente Séverine Jurdie.

Suivi à domicile

L’énergique cadre et son équipe ont encore tout un panier d’idées à développer : mettre ces documents sur l’intranet afin que tous les soignants du CHU en charge de personnes de plus de 75 ans puissent en bénéficier, repenser le menu du soir pour qu’il soit plus facile à manger tout en conservant ses propriétés énergétiques, organiser des après-midi sur le thème de l’alimentation pour les familles des personnes âgées… À l’image de l’atelier chute et nutrition élaboré par Sylvie Favier, cadre de santé du service de rééducation gériatrique de l’Hôpital de jour Cordier, dans le cadre du programme d’éducation thérapeutique pour les patients chuteurs de plus de 75 ans. « Pour avoir des muscles, il faut les nourrir, expose-t-elle. Or, la dénutrition chez les personnes âgées n’est pas rare. » L’atelier, animé par une infirmière, une aide-soignante ou une diététicienne, se décline en quatre séances, ouvertes aux proches des patients. Ces derniers, accueillis deux jours par semaine en hôpital de jour, peuvent aussi bénéficier d’un suivi à domicile. « Nous les aidons à aménager leur cuisine, vérifions ce qu’ils ont dans le frigo… afin de prévenir les chutes. » L’alimentation, considérée comme un soin à part entière, franchit ainsi les portes de l’hôpital pour accompagner les patients dans le suivi de soins.

EN CHIFFRES

La cuisine centrale, c’est :

→ 7 500 repas par jour ;

→ 2 marmites de 300 litres, 1 pastocuiseur, 2 braisières avec bras agitateur, 4 fours multi-cuisson… ;

→ 11 500 barquettes conditionnées par jour ;

→ 3 chaînes de conditionnement ;

→ 2 500 kg de produits frais par jour ;

→ 75 agents en cuisine (119 équivalents temps plein pour toute la restauration), dont 2 diététiciennes ;

→ 130 services approvisionnés ;

→ un coût global par unité d’œuvre de 5,37 € ;

→ 10 M€ de budget annuel pour la restauration ;

→ 200 000 € d’investissement annuel dans de nouveaux équipements.