FAUT-IL CONSULTER LES PROCHES ? - L'Infirmière Magazine n° 361 du 01/06/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 361 du 01/06/2015

 

PRÉLÈVEMENT D’ORGANES

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

MARIE-CAPUCINE DISS  

Dans le cadre de la loi de santé, un amendement sur le don d’organes prévoit de limiter le recours au témoignage des proches d’un défunt potentiellement donneur. Ce renforcement du « consentement présumé » ne fait pas l’unanimité.

Jean-Pierre Scotti « Il faut inciter les gens à en parler avant »

Votre fondation et plusieurs associations de patients ont participé à l’élaboration de cet amendement. Pourquoi ?

Les chiffres sont alarmants. En 2014, pour 5 400 greffes effectuées, 20 300 personnes étaient en attente, avec 1 627 donneurs prélevés. Et le nombre de malades en attente d’un greffon augmente 20 fois plus vite que celui des greffes effectuées. Or, à présent, 40 % des proches refusent le prélèvement lors des entretiens. Une démarche d’autant plus complexe à mener que le nombre de familles recomposées augmente. Aujourd’hui, les professionnels de santé n’osent pas prélever si un seul des proches s’y oppose, ce qui est en contradiction avec la loi existante. Selon nous, il ne faut pas demander aux familles de participer à une décision qui peut sauver des vies. 1 000 personnes meurent chaque année par manque de greffons. Sans oublier les dizaines de milliers de patients auxquels on pourrait éviter le recours à la dialyse par une greffe de rein.

L’absence de consultation des proches peut constituer une violence supplémentaire, s’ajoutant à la mort brutale du défunt…

Il faut inciter les gens à en parler avant. Quand le drame arrive, les proches devraient déjà connaître la question qui va leur être posée : « Le défunt avait-il marqué son opposition à un prélèvement d’organes ? » Bien sûr, nous sommes partisans de laisser le libre arbitre aux professionnels du prélèvement, qui sont en contact avec les proches. S’ils sentent une forte opposition, ils auront toujours la possibilité de renoncer à entamer une démarche de prélèvement. De même, le dialogue avec les infirmières coordinatrices doit continuer d’exister. Nous sommes tous des êtres humains en position d’avoir un jour à recevoir ou à donner un organe.

Cet amendement doit donc s’accompagner d’une meilleure connaissance de la loi ?

Nous souscrivons à cet amendement, à condition que la loi soit connue. Il est fondamental de réaliser de vastes campagnes d’information. Nous avons réalisé des enquêtes ces dernières années : seules 13 % des personnes interrogées connaissent les dispositions légales sur le don d’organes. Pour le moment, moins de 100 000 personnes sont inscrites au registre national du refus. Ce chiffre doit largement augmenter, pour refléter la position des Français à ce sujet. Nous proposons qu’en plus de l’inscription au registre, l’opposition au prélèvement d’organes soit inscrite sur la carte vitale, suite à un entretien avec le médecin de famille. Cela assure la confidentialité du choix de ne pas être donneur.

Cette disposition a fait couler beaucoup d’encre. Que pensez-vous de l’opposition qu’elle suscite ?

Cela dépend des formulations qui sont employées. Je regrette ainsi que des expressions comme « nationalisation des corps » aient circulé dans la presse. Il ne s’agira jamais d’un prélèvement d’organes automatique. Pour nous, il s’agit avant tout d’être en harmonie avec les valeurs de la République. Nous revendiquons la Fraternité : tout le monde est potentiellement donneur ; la Liberté : tout le monde est libre de refuser ; et enfin, l’Egalité : même les personnes refusant d’être donneuses pourront être receveuses.

Virginie Gaudin « Être consulté, c’est aussi une manière de se recueillir »

Vous avez fait partie des professionnels qui se sont opposés à la première version de cet amendement. Pourquoi ?

Si on ne consulte plus les familles, cet amendement va réduire le don à sa plus petite forme de consentement. D’ailleurs, il ne s’agira plus de « don », mais de simple « prélèvement ». Le don, c’est une symbolique. Et pour les familles, cette notion de don est fondamentale. Nous craignons que cet amendement enlève toute une dimension éthique à notre activité. Nous avons l’impression que la société d’aujourd’hui veut mettre des lois sur tout alors que l’éthique prend en compte le cas par cas. Chaque famille est différente. Cette souplesse de la loi nous permettait jusqu’à présent de travailler dans les meilleures conditions.

En quoi votre pratique va-t-elle changer ?

En général, l’entretien en vue d’une démarche de prélèvement se fait en deux temps. Il y a d’abord l’annonce du décès par mort encéphalique, puis, dans un second temps, l’annonce de la possibilité du don. Nous ne passons pas à l’annonce du don tant que les proches n’ont pas compris cette notion de mort encéphalique, difficile à saisir. Dans nos entretiens, nous sentons le besoin de cheminement des proches. Quand on sent qu’ils ne sont pas prêts, ou qu’ils n’ont pas bien saisi la situation, on se donne du temps. La nuit et le retour à domicile, sans le défunt, sont souvent très utiles pour mûrir une réflexion. De même, face à un « non », nous prenons le temps de dialoguer. La notion de temps psychique est nécessaire pour intégrer le deuil.

Justement, les partisans de l’amendement mettent en avant le fait qu’il permettrait d’alléger la peine des proches…

Nous manquons pour le moment de littérature sur le ressenti des proches face à l’annonce du don d’organes(1). Mais une chose est certaine : ce n’est pas l’annonce qui est douloureuse pour eux, c’est la perte du proche. Et il est important de souligner que nous ne leur demandons en aucun cas de choisir, ni de prendre position, mais seulement si, de son vivant, le défunt s’est exprimé ou non. Quand certains proches sentent un poids, nous essayons de les déculpabiliser. Il peut arriver, quand nous sentons que c’est difficile pour eux, de leur dire que c’est nous qui prenons la décision d’initier la démarche, pour les décharger d’une responsabilité qui n’est pas la leur. Le recueil de témoignage auprès des proches permet de les rendre acteurs autour du décès. Pour les proches, le fait d’être consultés, c’est aussi une manière de pouvoir se recueillir. Et leur adhésion facilite le travail de deuil.

Comment interprétez-vous la modification de l’amendement ?

Cette modification a été adoptée suite au mouvement d’opposition des professionnels du prélèvement. Pour nous, cette nouvelle version est plus satisfaisante : elle laisse la porte ouverte à d’autres possibilités d’opposition au prélèvement que la seule inscription au registre du refus. Cela nous donne une plus grande liberté d’interprétation et la possibilité de continuer à jouer notre rôle, comme nous l’avons fait jusqu’alors…

1- Les conclusions de la première étude menée sur le sujet par le groupe Famiréa seront bientôt rendues publiques.

JEAN-PIERRE SCOTTI

PRÉSIDENT DE LA FONDATION GREFFE DE VIE

→ 1975 : diplômé de l’Essec, devenu multi-entrepreneur

→ 2005 : fonde « Greffe de vie »

→ 2013 : crée la Fondation de l’Académie de médecine, dont il est trésorier

VIRGINIE GAUDIN

INFIRMIÈRE DE COORDINATION DES DONS D’ORGANES ET DE TISSUS À L’HÔPITAL FOCH

→ 2001 : obtient son DE

→ 2011 : coordination des dons d’organes et de tissus à l’hôpital Foch (Suresnes, 92)

→ 2011-2012 : formations à l’Agence de la biomédecine (« deuil, rites et communautés », « entretien avec les proches »)

POINTS CLÉS

→ Le principe du « consentement présumé ». Depuis la loi Cavaillet de 1976, chaque Français est reconnu comme donneur potentiel, sauf s’il s’est inscrit au registre national du refus. Dans la pratique, les équipes recueillent auprès des proches le témoignage de la non-opposition du défunt avant d’engager toute démarche de prélèvement.

→ Un amendement modifiant les modalités du don a été adopté par l’Assemblée nationale le 10 avril. Il prévoyait l’inscription au registre du refus comme la seule possibilité de s’opposer à un prélèvement. Suite à la protestation des professionnels, l’inscription au registre devient le moyen « principal » d’exprimer son opposition. Cet amendement sera discuté au Sénat.

→ Le prélèvement d’organes concerne principalement les personnes en état de mort encéphalique. D’autres formes se développent : sur donneurs vivants, en greffe rénale et hépatique, ou à partir de donneurs décédés après arrêt cardio-circulatoire.

→ Opinion : 80 % des Français se déclarent prêt à donner leurs organes mais seuls 63 % sont favorables au don d’organes d’un proche.

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